Thread by @laBioauLabo

Bonjour à tous, aujourd'hui on va parler d'un concept associé au microbiote: les probiotiques.👇

Malheureusement il n'existe pas à ce jour de cadre légal européen qui définisse rigoureusement cette notion, et vous allez comprendre pourquoi c'est problématique.

La théorie probiotique (bien que le mot n'ait pas été utilisé à l'époque) peut remonter à 1907, avec le Prix Nobel Élie Metchnikoff. Il avait remarqué à l'époque que les agriculteurs bulgares qui consommaient du yaourt avaient tendance à être en meilleure santé.

Il formule donc la théorie selon laquelle la dépendance de nos bactéries intestinales à notre nourriture rend possible l'idée de remplacer des microbes pathogènes par des microbes bénéfiques.

En 2002, la FAO, suite à un rapport de l'OMS, a issu un guide pour l'utilisation des probiotiques dans la santé. Il est disponible ici:
fao.org/food/food-safe…

L'idée est donc que l'on pourrait consommer des bactéries vivantes qui, lorsqu'elles sont ingérées, viendraient modifier notre microbiote intestinal et produire des effets bénéfiques.

Ah le fameux Bifidus "actif" et les bactéries lactiques du Yakult! Sauf qu'en fait, comme pour tout, le marché grandissant des probiotiques a conduit à l'affichage de vertus bénéfiques jamais démontrées de façon solide.

En 2018, l'équipe d'Eran Elinav, en Israël, publie un article dans Cell (doi.org/10.1016/j.cell…) publie une étude montrant que les probiotiques "empiriques" (par exemples ceux vendus en pharmacie sans ordonnance) ne se retrouvent que très rarement dans le microbiote fécal.

Son étude montre que les effets des probiotiques seraient dépendants de chaque personne et donc que la consommation de probiotiques pour un individu en bonne santé n'aurait pas grand sens.

Si vous êtes curieux, voici le lien d'une revue très intéressante à ce sujet:
dx.doi.org/10.1038/s41591…

Donc au lieu de balancer un cocktail de bactéries lactiques, pourquoi ne pas s'assurer des effets et bien caractériser ce qui se passe?

À ce sujet, je voudrais partager avec vous une histoire de probiotiques, de sa conception jusqu'à l'étude clinique. Ça se passe dans le laboratoire de Patrice Cani, en Bruxelles.

En 2013, son équipe publie dans PNAS que la bactérie Akkermansia muciniphila est capable d'améliorer certains phénotypes liés à l'obésité chez des souris.
dx.doi.org/10.1073/pnas.1…

Cette amélioration passerait notamment par une amélioration de l'intégrité du mucus intestinal. Étonnant, car cette bactérie est sensée se nourrir du mucus (d'où son nom muciniphila).

Son équipe ne va pas s'arrêter là, et en 2017 publie dans Nature Medicine une étude qui identifie les mécanismes par lesquels cette bactérie agirait pour améliorer les phénotypes obèses.
dx.doi.org/10.1038/nm.4236

Chose surprenante: lorsque la bactérie est inactivée par la chaleur (chauffée à 70°C), les effets sont encore plus forts!

Comment est-ce possible, alors que le concept de probiotiques repose sur des bactéries vivantes?
Son équipe identifie alors une protéine membranaire de la bactérie, la protéine Amuc_1100, alors non caractérisée, qui expliquerait ce phénotype.

En effet, lorsque les souris sont traitées avec la protéine seule, les effets sont toujours présents. Cette protéine serait reconnue par l'intestin de l'hôte, activerait le système endocannabinoïde et améliorerait ainsi les phénotypes obèses.

Bon, "y'a plus qu'à" passer chez l'Homme. Et je vous ai dit que c'était une belle histoire. La dernière partie (pour l'instant) a été publiée dans Nature Medicine en 2019.
dx.doi.org/10.1038/s41591…

Il s'agit d'une étude préliminaire sur des individus non obèses mais présentant des caractéristiques du syndrome métabolique (par exemple une légère hyperglycémie à jeun, une légère hypertriglycéridémie, etc...).

On a donné à ces individus soit un placebo, soit la bactérie vivante, soit la bactérie inactivée à la chaleur. Et encore une fois les meilleurs résultats sont liés à la bactérie inactivée par la chaleur!

C'est là que ça devient hyper intéressant. Parce que du coup cette bactérie inactivée (donc morte) n'est pas un probiotique légalement (qui implique des bactéries vivantes).

Et pour une fois on tient la belle histoire: de la souris, on trouve une bactérie (présente aussi chez l'Homme). On identifie un mécanisme et ensuite on va tester ça chez l'Homme. Personnellement c'est le genre d'histoire scientifique que je trouve magnifique.

Dans notre laboratoire, nous sommes intéressés par les thématiques de malnutrition. Grâce à des travaux sur la Drosophile, il a été possible d'identifier une bactérie de la Drosophile (non présente ni sur la souris, ni sur l'Homme), Lactobacillus plantarum.

Particulièrement la souche WJL de cette bactérie est capable d'induire la croissance chez la larve de Drosophile:
dx.doi.org/10.1016/j.cmet….

Et chez la souris, lorsque des souris axéniques (oui, encore!) ont été mono-colonisées avec la bactérie et qu'on les a soumises à un stress nutritionnel (malnutrition protéique), la présence de la bactérie permet de relancer la croissance.

L'article sur la souris est disponible ici:
dx.doi.org/10.1126/scienc…

Prochaine étape: tester cette bactérie sur des souris ayant un microbiote "normal", dans ce contexte de malnutrition. Peut-elle permettre de relancer la croissance de la souris?

Mon objectif (à titre personnel) n'est pas de développer le remède miracle contre la malnutrition. Les gamins en malnutrition il faut pas leur donner une bactérie, il faut les nourrir en premier lieu!

Sauf que les données épidémiologiques montrent que malheureusement la renutrition ne suffit pas à réduire les retards de croissance et de cognition. Et si en modifiant également l'environnement microbien pendant la période de renutrition on arrivait à limiter les effets néfastes?

La réponse à venir pendant les dix-vingt-trente prochaines années! 😉
Cet après-midi on parlera microbiote et système nerveux entérique, à tout à l'heure!

@threadreaderapp please unroll