Adoncques. L’affaire du livreur, a.k.a. si tu veux mythonner sur Twitter une affaire que tu as vu juger, évite de prendre un dossier plaidé par @Maitre_Eolas#CEstBallot Je crois que c’est une première pour moi en 16 ans de blog et 13 sur Twitter de parler d’une de mes affaires.
Il va de soi que je ne parlerai que de ce qui a été publiquement dit et débattu à l’audience, ce qui s’est passé entre lui et nous restera à jamais secret. Ne déduisez rien de ce silence : vous vous tromperiez immanquablement.
Je dis nous car nous étions plusieurs : le récit supprimé par son auteur disait vrai là-dessus : j’accompagnais en tutorat deux confrères pour leur première comparution immédiate.
La victime n’est pas présente. Elle a demandé à être représentée par l’avocat des plaignants (qu’on appelle à tort l’avocat des victimes, puisqu’il cesse d’être leur avocat dès l’instant où ils deviennent victimes). Notre client arrive dans le box.
La plaignante explique qu’elle avait commandé un repas à domicile sur Uber eats. Le livreur lui aurait demandé un verre d’eau qu’elle lui aurait apportée. Après l’avoir bu, il lui aurait demandé son numéro, ce qu’elle déclina.
Il aurait alors avancé d’un pas, bloquant ainsi la porte et lui aurait caressé la poitrine, et l’entrejambe. Elle lui aurait alors crié d’arrêter et partir, ce qu’il aurait fait. Aussitôt après, elle appelle la police et signale l’incident à Uber.
Elle est allée porter plainte le soir même, livrant le récit que je viens de vous faire. Pour info, la plaignante a 19 ans.
La police a pris sa plainte très au sérieux, et a aussitôt lancé une enquête pour identifier le livreur.
Uber Eats, saisi par réquisition 60-1 CPP, donne les informations en sa possession. Il s’avère qu’il travaille sous une identité d’emprunt, mais la plaignante confirme que la photo qui s’est affichée sur l’application était celle de son agresseur supposé.
Le verre est saisi par la police et mis sous scellé pour relever empreintes papillaires et ADN. Si l’identité est fausse, le numéro de mobile est vrai puisqu’il sert au livreur à recevoir ses commandes.
Le Plan de Vidéo Protection de Paris (PVPP) est sollicité, chou blanc : il n’a pas filmé l’arrivée ni le départ du livreur, d’où le surnom affectueux du PVPP chez les avocats : le Pas Vu Pas Pris.
Le numéro de mobile correspond à un abonnement chez un opérateur qui sur réquisitions, fournit l’identité de l’abonné. Bingo. On a un nom et une adresse, ainsi qu’un mail, qui ne sont pas celui du nom d’emprunt.
L’opérateur fournit la liste des bornes activées par le téléphone le jour des faits : bingo encore, le téléphone bornait bien à proximité du domicile de la plaignante à l’heure des faits.
La police va à l’adresse du mis en cause associée à son abonnement mobile pour une vérification de domicile : pas bingo, son nom n’apparaît pas sur les boites aux lettres. #Caramba
La police fait une réquisition sur l’adresse mail, qui n’aboutit pas, car ils ont fait deux fautes de frappe dans l’adresse.
Les enquêteurs ne lâchent pas l’affaire (on est 5 jours après les faits). Ils relèvent le numéro privilégié, i.e. le plus appelé, le font identifier, et contactent son titulaire pour avoir des informations sur son correspondant.
Il confirme l’identité de ce titulaire, celle déjà connue, donne des éléments d’identification et donne l’adresse du foyer où il est domicilié administrativement.
Ayant réuni toutes les informations qu’ils pouvaient, ils appellent le numéro du mis en cause. Qui répond. Ils lui demandent de venir au poste, il accepte. Et se présente effectivement.
La police le place aussitôt en garde à vue, constatant qu’il parle mal le français, contacte un interprète. La plaignante est contactée, elle est d’accord pour être confrontée à lui, sous réserve d’être accompagnée de sa mère.
Le mis en cause demande à être assisté d’un avocat, premier indice de son innocence.
Il reconnait avoir effectué une livraison chez la plaignante, explique qu’icelle habitant au 6e étage sans ascenseur, il est arrivé à bout de souffle et a bien demandé un verre d’eau (rendant inutiles les analyses ADN).
Il explique avoir trouvé cette jeune femme jolie et lui avoir demandé son numéro de portable, ce qu’elle a décliné. Il n’a pas insisté et est parti. Un point important qui donnera lieu à malentendu (enfin malentendu je me comprends) :
La police lui demande comment était vêtue la plaignante. Il répond un peu à côté en disant qu’il lui est arrivé d’être accueilli pas des client(e)s en nuisette, voire enroulée dans des serviettes et avoir eu des avances y compris d’hommes.
S’il confirme avoir bloqué la porte avec son pied pendant qu’elle allait chercher un verre d’eau, il nie absolument l’avoir touchée, et être parti aussitôt après avoir bu. Il est d’accord pour être confronté à la plaignante.
La plaignante est contactée, mais elle est partie en province chez ses parents et ne pourra venir au commissariat dans le temps de la garde à vue. Le gardé à vue est inconnu de tous les fichiers de police.
La préfecture est contactée, qui se dit intéressée par le profil du gardé à vue, en situation irrégulière et va prendre une obligation de quitter le territoire à son encontre puisqu’il est en situation irrégulière.
Une expertise psy a lieu en garde à vue comme la loi l’exige, qui ne décèle aucune anomalie. Le parquet estime avoir tout fait, et décide d’une comparution immédiate du fait de la situation irrégulière du mis en cause, pas sûr de le revoir sur une simple convoc.
Une obligation de quitter le territoire lui est notifiée, sans délai de départ volontaire donc délai de recours de 48 heures, et le voilà qui arrive devant le tribunal. Pas de bol pour la préfecture, on assure aussi les recours contre les mesures d’éloignements.
La présidente d’audience résume les faits rappelés ci-dessus, constate l’absence de la plaignante. Le prévenu accepte de répondre aux questions du tribunal.
Sur le papier, c’est parole contre parole. Aucun élément objectif ne permet de confirmer l’agression. La présence sur les lieux du prévenu s’explique, le verre d’eau aussi.
Il faut reconnaitre à la présidente qu’elle aura tout tenté pour faire dire au prévenu une phrase maladroite qui pourrait être utilisée contre lui. On a eu droit au sophisme traditionnel « pourquoi la plaignante mentirait-elle, elle n’a aucune raison ? »,
La présidente a aussi tenté d’exploiter le fait que quand Uber a suspendu le compte du prévenu, il a demandé pardon à la plate-forme, ce qui pourrait être un aveu, mais le prévenu explique que le français n’est pas sa langue maternelle.
Le prévenu ne tombe dans aucune chausse-trappe, malgré les efforts en ce sens du tribunal dont je ne remets pas en cause l’impartialité, il s’est juste assuré que le procureur n’aurait pas de questions à poser puisqu’il avait déjà posé toutes les questions à charge.
L’avocat de la plaignante n’ayant aucun argument pour étayer l’hypothèse de la culpabilité se contente de dire que celle-ci est « manifeste » et demande 10000 euros de dommages-intérêts.
Notre défense était simple : absence de toute preuve de l’agression, les éléments du dossier ne contredisent en rien le récit du prévenu, qui en outre a déjà effectué 750 livraisons pour Uber Eats et a une note de 94%.
Puisque le tribunal a mis le débat sur le terrain des probabilités (« la plaignante n’a pas de raison de mentir, pourquoi mentirait-elle ?»), nous avons mis en perspective la contraposée : pourquoi un vendeur bien noté mettrait-il en péril son gagne-pain,
et agresserait une cliente, sachant qu’elle aurait ses références et pourrait l’identifier et se plaindre ? Si le tribunal veut jouer à ça on peut être deux, et notre main n’est pas la plus mauvaise.
Le parquet a requis 10 mois avec sursis, essentiellement sur la base de « pourquoi la plaignante aurait-elle menti ? », sans considération pour l’abolition de la présomption d’innocence que cela implique.
Le tribunal a finalement relaxé le prévenu, au bénéfice du doute, les seules déclarations de la plaignante, qui plus est qui n’a jamais été confrontée au prévenu, ne pouvant être suffisantes.
Et contrairement à ce qui avait été dit dans le récit mytho publié avant d’être supprimé : jamais JAMAIS la défense n’a dit, laissé entendre ou même pensé à engager des poursuites contre la plaignante.
Car in fine la vérité est celle-ci : nous ne savons pas ce qui s’est réellement passé. Ce n’est pas une question de « qui croire ? » Vous pouvez croire qui vous voulez, à pile ou face ou par idéologie. C’est que peut-on prouver qu’il s’est passé. La réponse est : rien de probant.
Le parquet aurait dû requérir la relaxe, qui en droit s’imposait, du moins (il faut bien que je lance une polémique, on vient de perdre face à l’Ecosse), s’il était ce qu’il prétend être : une sorte de super-partie impartiale au-dessus de la mêlée.
Je ne lui en veux pas, n’ayant jamais cru une seconde qu’il avait cette qualité. Néanmoins, notez que, contrairement à ce qu’on lit régulièrement : la plainte a été prise au sérieux, a donné lieu à des investigations poussées,
et le parquet a pris fait et cause pour la plaignante, et ce même au mépris des faits. Et je ne parlerai pas de l’impartialité du tribunal, faute de l’avoir vue à cette audience. Cette relaxe est un immense soulagement pour la défense.
Et ne refusez pas pour autant un verre d’eau aux livreurs qui vous amènent vos repas. Ça reste des êtres humains, dont vous ne soupçonnez pas la galère qu’ils peuvent vivre.
PS : l’obligation administrative de quitter le territoire perdure malgré sa relaxe. Bien fait pour lui, il n’avait qu’à naître en France. Le tribunal administratif n’est en rien tenu de l’annuler malgré cette relaxe. La séparation des pouvoirs marche très bien dans ce sens.
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Pourquoi est-ce une ânerie sans nom de propsoer la suppression des crédits de réductions de peine (CRP). Poke @E_DupondM, il a été avocat dans une autre vie, ça peut l’intéresser).
@E_DupondM Rappelons d’abord que le droit de l’application des peines a fondamentalement un seul objet : lutter contre la récidive. A priori, on est tous d’accord là dessus. La non-récidive a un nom : c’est la réinsertion du condamné.
Faire en sorte que le jour où il ressortira (car la plupart des condamnés ressortiront, vu qu’ils ne se prennent pas perpétuité, même si oui, on meurt en prison), il ait un endroit où dormir, un travail pour gagner sa vie (qu’il aura pu apprendre en détention)...
La Bretagne et la région Bretagne sont deux choses différentes. La première est historique, et Nantes en fait partie, et la seconde est administrative, et son chef-lieu est Angers, alors que Nantes n’a jamais fait partie de l’Anjou.
De même, dans la carte judiciaire, plus inspirée par les provinces historiques, le TJ de Nantes relève de la cour d’appel de Rennes, et non de celle d’Angers, siège pourtant de la région des Pays de la Loire.
Enfin, le drapeau breton qui flotte devant la mairie de Nantes est le Gwen-ha-du, le drapeau de la Bretagne depuis 1925, mais le drapeau de la région, c’est ça (de 1982 à 2005) et désormais ça.
#Thread Poetic justice ou Schadenfreude, à vous de décider.
L’appel en matière criminelle a été introduit par la loi du 15juin 2000. Avant, tous les arrêts d’assises n’étaient pas susceptibles d’appel.
Oui, toutes les peines de mort en France ont été prononcées sans appel possible.
La loi du 15 juin 2000 réservait la possibilité de l’appel à l’accusé condamné. Le parquet ne pouvait pas faire appel d’un acquittement, tout comme il ne peut pas se pourvoir en cassation contre un acquittement (art. 572 du CPP, inchangé encore aujourd’hui).
Merci M. le premier ministre, non pour votre réponse, nous allons voir que ça n’en est pas une, mais pour me fournir ce support pour une petite leçon de rhétorique politique. Deux sophismes dans ce tweet : un écran de fumée et un homme de paille.
L’écran de fumée : je dis que le premier ministre veille à ne pas parler de recrutement de magistrats et de greffiers (indispensable pour que la justice fonctionne correctement), car il ne s’agit pas de recrutements de greffiers et de magistrats.
et il répond à côté en soulignant le nombre des recrutements alors que le sujet était leur nature. Oui, 866 CDD ont été signés ; aucun ne sont des magistrats pouvant juger, certains feront fonction de greffiers sans la formation nécessaire, et tous partiront au terme de leur CDD.
Même si un acquittement final et purement politique s’annonce, cette première journée du procès en impeachment s’est très mal passée pour Trump. Ses avocats ont été franchement mauvais, et mal préparés par rapport aux représentants de l’accusation. C’en était embarrassant.
Même Trump s’en est rendu compte, qui d’après son entourage en était à hurler sur sa télé.
La question du jour était une question préalable sur la constitutionnalité de poursuivre un président ayant quitté ses fonctions.
Ils ont été tellement mauvais qu’ils ont convaincu un sénateur (Cassidy, R-LA) de changer d’avis et voter contre eux.
En droit français, le viol suppose la preuve d’une pénétration sexuelle (par le sexe ou dans le sexe), et du fait que l’auteur avait conscience que ladite pénétration a eu lieu avec violence, contrainte, menace ou surprise.
La question ne se pose pas en termes de consentement, pour une raison très simple. Le consentement, ça se passe dans la tête de la victime. Or on juge l’auteur de l’acte. C’est dans sa tête à lui qu’il faut se placer.