Le Figaro vient de publier un dossier sur la "véritable histoire" (entendre: non "manichéenne") de la guerre de Sécession. Pourquoi malgré sa lamentable nullité en parler ici? Parce que les enjeux dépassent le seul cadre états-unien. 
Le dossier se présente comme une analyse de la "flambée" de "fureur mémorielle" qui traverserait les Etats-Unis sur la question de l'esclavage, et qui contaminerait la France. La cible du dossier est ainsi la "repentance occidentale" lefigaro.fr/histoire/2017/…
D'après le dossier, l'esclavage fut une cause de la guerre parmi d'autres, comme les "oppositions" économiques et culturelles entre Nord et Sud – comme si celles-ci n'étaient pas directement liées à l'esclavage. En fait, le but du Sud fut de défendre voire d'étendre l'esclavage.
Ce point permet ensuite aux auteurs de faire de la guerre de Sécession une guerre opposant des hommes blancs, tous valeureux et chevaleresques. Dans les deux camps, des "héros" mériteraient l'admiration. Ce relativisme brode sur une historiographie réactionnaire (et raciste).
Jefferson Davis, président de la Confédération esclavagiste, est présenté comme une "icône": "riche planteur", "intelligent" et "soucieux de sa propre dignité"! "Homme de grande expérience", ce "modèle de gentleman" incarne les "valeurs sudistes"!
Nathan Bedford Forrest, esclavagiste, criminel de guerre et fondateur du Ku Klux Klan qui détruisit par la terreur raciste la démocratie interraciale de l'après-guerre, devient un "héros populaire" loué pour sa "personnalité forte" et son "génie militaire"!
Le film raciste Autant en emporte le vent (1939), qui célèbre le bon vieux temps de l’esclavage et la joie des esclaves sur les plantations, est présenté comme "l'otage du communautarisme moderne" injustement menacé de "purgatoire" par une "mémoire exacerbée"!
Le Figaro va jusqu'à déclarer que Autant en emporte le vent aurait "réussi l'exploit de donner une aura universelle [sic] au Sud vaincu"! Raison pour laquelle, sans doute, il sert de titre à l'éditorial d'ouverture du magazine.
De proche en proche, le dossier en arrive à montrer que l'esclavage a "fissuré" ce qui jusque-là pouvait être considéré comme "l'exemplarité d'une jeune nation". Autrement dit, l'esclavage fut une péripétie et pas un fondement d'une histoire jusque-là modèle.
Sur ces bases, le dossier évacue totalement le rôle décisif des anciens esclaves dans la victoire du Nord. La guerre fut une révolte massive des esclaves, la plus grande de l'histoire de l'humanité. Contrairement au Figaro, eux ne se méprenaient pas sur les causes de la guerre.
Cette histoire ne concerne pas que les Etats-Unis. L'esclavage fut une institution globale dans le monde atlantique jusqu'à la fin du 19e siècle. La France, qui déporta 1,4 million d'Africains vers l'Amérique, en a très largement bénéficié.
A l'heure où l'on parle d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage en France, des dossiers aussi affligeants que celui du Figaro n'invitent certes pas à l'intelligence sur ces questions liberation.fr/debats/2017/11…
Une historiographie scientifiquement rassie et politiquement douteuse ne peut constituer un cadre d'analyse sérieux pour notre temps.
Erratum: pour le Figaro, celui qui est "intelligent", "soucieux de sa dignité", représentant des "valeurs sudistes", c'est Jefferson Davis. Robert E. Lee, commandant en chef des armées sudistes, est le "gentleman"! Pas un n'échappe à la louange...
