Thread by @Fabiensapiens

Vous connaissez l’effet Dunning-Kruger ? Je vais vous parler un peu lui et de moi…
Le thread que j’ai posté hier a fait un bruit inattendu. Beaucoup l’ont apprécié, visiblement.
Trop, sans doute, pour une humeur du dimanche matin…

On m’a dit que mon analogie était foireuse : c’est possible. On m’a aussi accusé de ne pas vouloir changer mes habitudes, de rester dans le confort. C’est là qu’il faut que je vous explique l’évolution de mes certitudes en nutrition : Dunning-Kruger.

Dunning-Kruger, c’est l’idée que, quand on en sait un peu sur un sujet, on a tendance à être très confiant sur ce qu’on sait. Puis, avec plus d’expérience, on se met à douter. Avant d’éventuellement devenir un expert du domaine, et retrouver une confiance basée sur du solide.

Quel rapport avec mes (in)certitudes en nutrition ? Et bien voici. Il y a une quinzaine d’années, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement au sujet. Des soucis de santé, les médecins démunis, on se met à chercher ailleurs.

D’un côté, je tentais vraiment d’acquérir des bases de nutrition, et de l’autre, on entend plein de choses… En 2005, aussi, j’ai redécouvert l’agriculture (mes parents étaient éleveurs, entre autres activités), sous la forme de la permaculture, de l’agroécologie…

On a monté une association qui s’appelait Le Sens de l’Humus, à Montreuil, pour tester quelques méthodes et monter un chantier d’insertion. Pendant 3 ans, on y a travaillé à temps plein. On était jeunes, on était beaux, et on avait des certitudes :
senshumus.wordpress.com

L’agroécologie nourrirait le monde, à condition de réduire sérieusement les produits animaux, d’être décroissants. L’élevage industriel était dangereux pour la planète... On avait quand même une qualité : on s’intéressait à ce que faisaient les agriculteurs.

Ma compagne de l’époque et co-fondatrice de l’asso était née dans une ferme laitière en Thiérache, son frère tenait l’exploitation, on y passait du temps. On a visité des agriculteurs en semis direct. On a filé des coups de main à des agriculteurs bios.

Côté santé, il semblait que je puisse espérer aller mieux en supprimant les produits laitiers de mon alimentation. J’étais convaincu que, globalement, la conso de produits animaux devait et pouvait être fortement réduite. En commençant par la mienne.

Je suis rentré chez moi, en Corse. On a créé une autre association d’agroécologie. On a monté un marché de producteurs, soutenu de jeunes installés. Pas seulement en bio. L’asso a ensuite monté un drive de producteurs.
unalenza.wordpress.com

Mais côté santé, pour moi, ça empirait : intestins en vrac ; dents déminéralisées, déchaussées, déplacées ; articulations et muscles incroyablement fragilisés ; dépression rampante, puis plus rampante du tout. J’ai été déclaré travailleur handicapé.

J’ai été embauché à l’université comme chargé de projet éco-campus. Pendant presque 4 ans, j’ai tenté tant bien que mal de remplir ma mission, rentrant chaque soir chez moi pour m’effondrer incapable de bouger.

Parmi les actions qu’on a menées, une action d’approvisionnement local, avec le Crous et des coopératives d’agriculteur. Le Crous propose désormais un repas local par semaine. Pas évident en Corse.

J’ai terminé comme j’ai pu mon Master, je voulais faire une thèse. Sur l’évolution humaine, les mythes qu’on y attache, et l’usage que l’on en fait dans le débat public. Comme se réclamer de nos ancêtres pour déterminer ce qu’on doit manger.

Pendant tout ce temps, j’en ai mangé, des légumineuses, pour remplacer la viande autant que je pouvais. Le prosélytisme végétarien m’énervait, mais j’écrivais des trucs comme ça, dans cette période (ici, 2013) :

La réduction de la viande, j’y suis passé, je l’ai prônée, j’ai divisé par 3 ma consommation animale. J’étais bien au-delà du lundi sans viande. Et j’y croyais, fermement. Sauf qu’aujourd’hui, je doute : Dunning-Kruger.

Et puis des gens qui avaient eu le même parcours que moi m’ont suggéré de m’intéresser aux vitamines lipo-solubles, aux collagènes. Peut-être mes problèmes nouveaux étaient-ils liés à une carence de ce côté.

J’ai repris mon étude de la nutrition. Je venais de terminer mon master, j’avais pris l’habitude de chercher plus en détail. J’ai repris le travail à zéro, à partir des publications originales. Sur l’évolution de l’alimentation, sur la nutrition moderne.

Le résultat de ce parcours, c’est que je ne suis plus sûr de grand-chose. Ni en nutrition, ni en agriculture. Dans le processus de Dunning-Kruger, je ne suis pas loin du doute maximal. Je sais qu’il va falloir travailler beaucoup, maintenant, pour des miettes de certitudes.

C’est pour ça que l’offensive généralisée contre l’élevage, les actions contre la viande m’inquiètent. Parce que la question est complexe, que les réponses me semblent simplistes. Et je n’aime pas l’agri-bashing. On ne mord pas la main qui nous nourrit.