Thread by @bapt_labeyrie

Connaissez-vous la lutte contre la grêle avec des canons ou des fusées ? Ça se pratique depuis trèèès longtemps en agriculture. Ou comment montrer qu’on oublie l’expérience de nos ancêtres, et qu’on préfère suivre des croyances plutôt que des avis scientifiques. THREAD ⬇️

D’abord le principe de cette lutte contre la grêle : il est assez simple et
il y a plusieurs méthodes. 1- Tirer des coups de canon vers les nuages, en
pensant que les ondes de choc seront assez puissantes pour déstabiliser la
formation de grêlons. #Ambitieux

2- Envoyer des « sels » directement dans les nuages, souvent de l’iodure
d’argent ou de sodium, avec des canons ou des fusées, et espérer créer là-dedans une réaction qui réduit la formation de grêle. Et moins de grêle = moins de dégâts dans les cultures.

Cette idée de lutter contre la grêle est très ancienne. Dès le 14e siècle, on retrouve des tentatives de chasse aux tempêtes par des bruits forts et des explosions. Dans les églises, on fait alors sonner les clochers à l’arrivée des tempêtes en espérant les repousser.

A la fin du XIXe siècle, des travaux faits en Italie suggèrent qu’on peut empêcher la formation de grêlons avec l’injection de particules dans un nuage. Un autrichien, Albert Stiger, conçoit alors des canons capables d’envoyer de la
poudre très haut (300 m selon lui).

Il expérimente ses canons pendant 2 ans en réalisant quelques tirs en condition réelle sur des orages. Résultat : pas de grêle dans les endroits où il a
tiré. C’est alors une révolution dans les campagnes, surtout pour les viticulteurs, qui sont les plus touchés.

En 1900, des dizaines de milliers de canons ( !! ) sont déjà déployés en Italie,
Autriche, France, Suisse... Cela ne se fait pas sans mal, on déplore de
nombreux morts et blessés graves parmi les paysans qui manipulent quand même du matériel très dangereux.

A ce stade, on ne sait pas bien comment ça marche. Sont-ce les ondes du coup de canon qui empêchent la formation de grêle ? Ou ça vient de la
poudre ? En tout cas, agriculteurs et responsables politiques sont tous
convaincus que c’est une solution miracle.

Dans le même temps, des scientifiques météorologues commencent à se pencher sur la question, dont on peut citer Joseph Pernter et J-R. Plumandon, et se montrent peu convaincus par l’efficacité du truc. Comme la plupart de la communauté scientifique d’ailleurs.

Et pour cause, des cas d’échecs sont aussi largement décrits dans les campagnes. Des vallées entières sont ravagées par la grêle, alors que des coups de canon ont été méticuleusement tirés. #Mince

Des congrès sont organisés. Les scientifiques sont sollicités pour statuer sur une question simple : est-ce que ça fonctionne ou pas ? Ils font une
recommandation assez logique : faire des expérimentations plus rigoureuses
et à grande échelle.

Des expérimentations vont donc être conduites partout en Europe… Et ne vont rien donner. Vers 1905, face aux échecs de ces expérimentations et les conclusions négatives des scientifiques, les canons sont complètement abandonnés.

Ce n’est que la première partie de l’histoire. En 1946, V. Schaeffer découvre aux Etats-Unis qu’en ensemençant des nuages avec des particules, on fait précipiter la vapeur d’eau dans un nuage. On fait pleuvoir quoi. C’est une découverte scientifique majeure.

Mais alors si ensemencer des nuages fait pleuvoir, il serait donc possible de soit faire pleuvoir un orage avant que la grêle se forme, soit réduire la formation de gros grêlons dévastateurs. Sur le principe ça se tient.

Les américains commencent à ensemencer les nuages à tout va, avec de l’iodure d’argent, pour protéger leurs cultures. La méthode a changé et c’est à l’américaine, avec des fusées et des avions : 170000 km² sont couverts en 1972, soit l’équivalent du tiers de la France.

Et rebelote : sur le terrain, il y a des situations d’échecs. Donc, on redemande
à des scientifiques de dire si cette technologie est vraiment efficace. Cette
fois-ci c’est Stanley Changnon (physicien météorologiste américain émérite) et
ses collègues qui s’y collent.

Ils reprennent toutes les expérimentations menées sur le territoire depuis les
années 50 et regardent si elles ont été concluantes. Sur 6 grandes études, 1
seule montre des résultats positifs significatifs. C’est très maigre.

Pire, sur un des 6 projets, la tendance montre plutôt une augmentation de la grêle quand on ensemence des nuages. C’est ballot. Ils consultent également tous les scientifiques compétents et experts du sujet pour recueillir leurs avis, et ils sont plutôt défavorables.

Les conclusions de Stanley Changnon et ses collègues sont alors assez négatives et font que les technologies d’ensemencement des nuages pour lutter contre la grêle sont largement abandonnées dans tous les Etats-Unis dès la fin des années 70.

Ce type d’expérimentations est aussi mené ailleurs dans le monde. On s’amuse à faire ça en URSS, en Suisse, en Argentine, en France... Mais aucune de ces
expériences ne réussit à démontrer une quelconque efficacité sur les dégâts en
culture. C’est toujours le cas aujourd’hui.

La palme revient à Vittori et Stout en Italie dans les 60s, qui testent à nouveau
les canons, en oubliant les conclusions émises 60 ans auparavant dans leur
propre pays. Inutile de vous dire que leurs investigations ne mènent à rien à
part dépenser plusieurs millions de lires.

Dans les années 80, Stanley Changnon avait relevé l’ironie d’une forme de répétition des évènements en citant George Santayana : « Ceux qui ne peuvent pas se rappeler du passé, sont condamnés à le répéter. » Bien vu George.

Plus récemment en 2010, l’Organisation Météorologique Mondiale a tenté de statuer la question en déclarant qu’aucun résultat d’efficacité de ces techniques n’était démontré et concluant. C’est clair, mais ils auraient pu se mouiller un peu plus.

Malgré tout ça, et bien devinez quoi : en France, il y a toujours des canons et
des fusées dans certaines exploitations agricoles pour lutter contre la
grêle ! Avec des entreprises qui vendent leurs systèmes de canons et tout. En
2019. #ouioui

Aujourd’hui il y a même des systèmes de ballons gonflés à l’hélium qui s’envolent et diffusent les sels directement dans les nuages. Ça ne fait pas de bruit. Mais l’efficacité de cette méthode de lutte contre la grêle n’est pas plus démontrée.

Les canons eux font du bruit, beaucoup. En 2017 dans la Drôme, un collectif de riverains a attaqué en justice un collectif d’arboriculteurs et viticulteurs pour nuisances sonores. #bonneambiance #relationdebonvoisinnage Les canons ont été équipés de « silencieux ».

Chacun a le droit d’avoir ses convictions. Mais en plus de ne
pas garantir d’efficacité, ces dispositifs de lutte sont chers, créent parfois des
conflits nouveaux, et détériorent l’image des agriculteurs, déjà trop écornée…

Les agriculteurs sont aussi victimes des vendeurs de ces technologies qui utilisent toutes les stratégies de vente agressives et efficaces pour les déployer dans les exploitations. C’est regrettable.

Il y a malheureusement un vrai manque d’information scientifique objective sur ces technologies. Et les expériences acquises sont oubliées et/ou ne se
transmettent pas. (C’est un peu ce que je tente de rétablir ici).

Bref, j’en termine. Il y a dans cette histoire une vraie leçon. Depuis des siècles, face au problème de la grêle, on tente de déployer des potentielles solutions non validées scientifiquement. C’est une erreur. Quand on oublie l’expérience de nos ancêtres, on répète nos erreurs.

Fin du thread ! + de détail et les sources dans mon article publié dans la revue
infos @_CTIFL de février.

Je tague quelques comptes susceptibles d’être intéressés par ce thread :
@Fabiensapiens @astropierre @ordrespontane @Damkyan_Omega @AcademieAgri @Meteos_ @AEGRW @GeWoessner @BigBangSciCom @dlouapre @emma_ducros @meteofrance @Reporterre