Thread by @JulienBrygo

[Thread] Vous connaissez « Cauchemar en cuisine », cette émission où un manager de transition déguisé en chef étoilé vient humilier des restaurateurs pas assez gastronomiques, avant de retaper leur resto et d’y faire couler le lait et le miel grâce à son délicieux pognon ?

Cette émission est un résumé de l'esprit de la charité allié au coaching en entreprise. Elle montre des travailleurs lessivés, dépassés, pas branchés, empêtrés dans les relations toxiques de travail. Elle montre la vie de centaines de milliers de travailleurs des services.

L’épisode d’hier était tourné à Dunkerque, dans un resto mexicain. Une cuisinière (14 ans d’expérience) aux fourneaux ; la gérante en salle. La patronne a imposé des horaires pourris à sa cuisinière (pour le même salaire), laquelle ne peut plus voir ses enfants ni son mari.

« Je passe bien plus de temps dans cette cuisine que chez moi. » Elle perd ses cheveux, est à deux doigts de l'épuisement. Elle craque. Mais Etchebest, qui cachetonne à plusieurs dizaines de milliers d’euros chaque mois, vient lui gueuler dessus. C'est dans son rôle visiblement.

(il la soupçonne d’avoir voulu dissimuler l’état de saleté de sa cuisine). Il n'en a rien à carrer de celui qui nettoie et cuisine, ni des horaires, ni des enfants, ni de la vie de merde des commis de la restauration.

Lui, comme tout bon manager parachuté, il voudrait qu'elle se défonce au boulot, qu'elle cesse de chouiner, qu'elle sacrifie TOUTE sa vie pour ce resto de merde. Il va donc lui dire. Et leur faire passer une épreuve.

Du coup, il invite 40 zigs à venir manger (elles n’en ont qu’une dizaine maxi chaque soir). C’est donc la catastrophe. Les plats ont 2 heures de retard, c’est pas bon, c’est pas bien dressé. Elles n’ont jamais ça, lais Etchebest les pousse à « donner le meilleur d’elles-mêmes ».

La cuistotte lance à l’homme au liseré : « Moi je passe pas ma vie à faire le mariole à la télé, vous la voulez ma vie ? » Bosser comme smicarde dans un resto de merde, avec une patronne qui vous impose des horaires qui vous pourrissent la vie, c’est hors sujet pour Etchebest.

Résultat : il met en scène une fausse réconciliation entre la patronne et sa cuisinière. « Il faut vous donner à fond », dit-il en gros à la femme au bord de la crise de nerfs. Son message à la cheffe : « Il faut que vous vous affirmiez comme patronne. »

Il sort la maille et en une semaine, retape son resto de fond en comble. Nouvelle friteuse, nouveau plan de travail, nouvelle déco. Un nouveau départ. La caméra les filme bras dessus-bras dessous.

Etchebest lui apprend à faire un « écrasé de pommes de terre » et fait comme si la cuisinière l’avait inventé. Toute sa famille vient manger. C’est certainement meilleur que du réchauffé, mais la vie, la routine, les habitudes...

et la sensation de faire un boulot de merde avait conduit la cuisinière à ne plus faire les efforts de créativité culinaire qu’aime tant le mariole de M6

Quand tu dois gérer les stocks, la cuisine, le ménage, la plonge, les services, forcement, tu préfères les carottes râpées en vrac que de te coltiner l’épluchage de produits frais. Ça ne nous plait pas en tant que fins gourmets, mais c’est la vie dans la majorité des restos.

L’émission se termine. Tout va bien se passer, dit Etchebest. Pas un mot des horaires de travail, du salaire, des conditions de travail dans ces PME où règne aussi la domination patronale décomplexée.

Pour Etchebest, seul compte l’esprit de courage, l’abnégation, la volonté d’assurer. Il ne s’agit pas de cuisine, mais de la valeur travail, celle qui vous pousse à charbonner toute votre vie pour pas un rond et pour des patrons cons comme des présentateurs télé.

Heureusement, la fin est joyeuse. On l’apprend avant le générique : la cuisinière choisira de quitter cette taule quelques semaines après le tournage.

(À noter que cette émission a été regardée hier soir par plus de 2 600 000 personnes, selon les chiffres de Saint-audimat)