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Chapitre 9 : Comment le tiers état a tué le respect.
Le roi et certains nobles réagissent enfin ! et lancent sur les députés une opération séduction au sein même du château de Versailles. Qui sortira vainqueur entre les loups et la bergerie ?
Beaucoup de députés du tiers n’éprouvaient aucune animosité envers le souverain et sa Cour, en arrivant à Versailles. La plupart sont juste curieux.
Certains se déguisent en nobles (habit noir, épée au côté, réservée aux nobles justement) pour faire du tourisme au château.
Ils y constatent que Marie-Antoinette est une femme plutôt cool, bravant l’étiquette en faisant s’asseoir une femme enceinte pendant un spectacle, alors que le public doit normalement rester debout (une vraie entorse à la règle, dans le contexte).
Un soir, des jeux de société et de jardin sont organisés au château : les députés peuvent s’y rendre et participer, quel que soit leur ordre. Cela permet à des députés de voir pour la première fois les souverains de près, et ils en sont généralement béats.
Le couple royal mène une légère opération séduction. Ce spectacle, qui ravirait plus d’un royaliste aujourd’hui, ne ravit pas forcément ceux de l’époque (Ferrières) :
La Cour a très bien repéré que les députés voulaient voir le château : des visites guidées sont organisées, on emmène les députés du tiers dans des lieux habituellement fermés.
Les députés du tiers s’attroupent très souvent au Petit Trianon. Constatant que cette petite maison construite pour la tranquillité de la Reine est assez sobre, ils soupçonnent leurs guides de cacher des pièces luxueuses.
L’opération séduction prend d’autres formes : la Cour fait distribuer aux députés du tiers 100 invitations pour chaque représentation d’un spectacle donné dans un théâtre du château. La suite est fascinante :
Des voix du tiers s’élèvent pour « ne pas accepter les billets afin de donner publiquement les témoignages de l’improbation (...) de l’établissement dispendieux d’un spectacle ». « Cependant, on ne convient de rien à cet égard, et depuis on a suivi le spectacle ».
Les députés se réunissent tout de même. Issue des discussions : « On s’est décidé depuis, mais sans délibération ou arrêté pris dans l’assemblée, à ne pas refuser d’assister au spectacle offert par Sa Majesté ». 🥴
Le 12 mai, le roi note dans son journal : « première comédie ».
Les jours suivants, la comédie continue en effet : les députés se jettent sur la seconde représentation du spectacle, après avoir entendu les bons retours de ceux venus voir la première.
Un peu plus tard, un député proposant de voter une motion pour refuser de manière officielle les invitations du roi est copieusement hué par ses collègues du tiers.
Ces amusements ne changent pourtant pas le cœur et l’opinion du tiers : pendant une représentation théâtrale offerte aux députés par le roi, un d’eux geint qu’on ne le laisse pas s’asseoir dans une loge presque vide et plus confortable que la sienne...1/2
2/2 ...On lui explique que la loge est réservée aux ministres ; cela ne fait que l’encourager, et voici le député enjambant la rambarde pour s’incruster à côté de deux nobles dames de la Cour.
Le marquis de Bombelles constate, en commentant cet acte culotté et surtout impuni, que le respect est mort :
« Chaque jour, l’autorité du roi perd cent pour cent, et le respect dû à sa personne, ainsi qu’à son palais, est presque, en cet instant, un mot vide de sens ».
Les nobles, face à l’organisation militante des Bretons et autres clubs, ne restent pas les bras croisés.
Certains laissent les députés venir manger et jouer avec eux dans leurs appartements du château, pour les influencer, et organiser une défense de la monarchie.
Le marquis de Ferrières est l’un de ces députés, ravis de côtoyer des personnages aussi prestigieux que le comte d’Artois (futur Charles X). Il écrit à sa femme : « Aurais-tu pensé, ma bonne amie, que ton pauvre mari se trouverait lié avec les grands ? »
Ferrières a mis les pieds dans le cercle des Polignac, et doit s’en éloigner quand il comprend que derrière les sourires, il se trame des intrigues et des querelles dangereuses. On accuse par murmures les Polignac « d’empêcher le travail des états ».
Ferrières se rapproche d’autres nobles, mais repart déçu : certains d’entre eux, moins enjoués que les Polignac et le comte d’Artois, s’étonnent de sa culture et de son esprit, étrangement brillants selon eux pour quelqu’un ne fréquentant pas la Cour.
En face, les cercles libéraux, aux ordres mélangés, écoutent les potins d’anciens petits officiers du château, renvoyés successivement par les ministres soucieux de faire des économies, « qui racontent tout ce qu’ils savent, et ils en savent bien long » (Ferrières).
Plus le temps passe, plus le tiers méprise et déteste la Cour. Certains insultent même deux dames (le 8 mai), sur la terrasse du château.
Il faut dire que les membres de la Cour ne pensent qu’à leurs petites intrigues, et ne comprennent pas la profondeur de la crise en cours.
Même le marquis de Ferrières, désabusé, prophétise : « Ils n’ont aucune habileté, aucune connaissance des hommes ni des affaires. Ils sont si au-dessous de la circonstance qu’il est probable qu’ils ne s’en tireront pas ». Nous ne sommes qu’en mai 1789...
Au château, une nouvelle restriction budgétaire supprime de nombreux postes, et notamment la Fauconnerie.
En guise d’adieu, la Fauconnerie, arrivée à un niveau d’excellence exceptionnel, organise une chasse spectaculaire devant un public venu nombreux, et souvent de loin.
Les faucons sont présentés avec un chaperon couvrant leurs yeux. Le chaperon est ensuite retiré, les oiseaux peuvent prendre leur envol et attaquer les proies. Les malheureuses perdrix viennent se réfugier sous les chevaux, et sont attrapées à la main.
Les faucons ont été classés par force : les plus forts apprennent à cibler le gibier à poils, les autres s’occupent du gibier à plumes. Rien que le fait de leur apprendre cette distinction révèle un niveau de dressage tout à fait remarquable.
Chaque faucon s’agrippe sur la tête d’une bête (chevreuils, sangliers) et lui fait un trou sur le crâne avec le bec qui foudroie l’animal.
Les sangliers sont les plus difficiles à stopper, à cause de leurs bonds violents. Uns d’eux résiste pendant 3/4 d’heure !
Ensuite, le fauconnier siffle, et l’oiseau chasseur revient immédiatement se poser sur le bras de son dresseur, sous les applaudissements.
Le pouvoir pense que la sauce prend, que le divertissement calmera les ardeurs. Les Bretons viennent s’amuser, mais ne sont pas dupes...
Le roi, persuadé par Necker que tout va bien depuis son discours du 5 mai, s’occupe surtout d’aller régulièrement voir son fils (Louis-Joseph) malade à Meudon.
La situation du petit (8 ans) ne s’améliore pas : on doit désormais le porter à bout de bras pour le déplacer.
Le dauphin souffre, mais parle encore, et surprend par la précocité de ses réflexions :
« Cela fend le cœur de le voir souffrir continuellement avec une résignation et une constance qui lui inspirent des réflexions étonnantes pour un garçon de son âge » (ambassadeur d’Espagne).
Cette impression de gâchis est confirmée par le marquis de Bombelles : « Ce qui est réellement pénible, c’est de voir lutter aussi longtemps et aussi douloureusement contre la mort une victime aussi intéressante ».
Cette désolation s’explique par le fait qu’il s’agisse de l’héritier : en voyant un prince enfant si intelligent agoniser, on perd un potentiel grand roi...
Sa précocité frappe aussi des esprits chrétiens comme ceux de la Cour, puisqu’elle rappelle celle du Christ au Temple.
Le silence et l’absence du roi indispose les députés, et divers commentateurs pensent que le souverain est peu soucieux et ennuyé des EG.
En réalité, celui-ci refuse l’intervention pour ne pas sembler despotique, et imagine que les EG peuvent travailler sans lui.
Pendant ce temps, Necker reçoit à longueur de journée les députés du tiers dans sa maison.
Pourtant, celui-ci prétend ne recevoir personne pour ne pas être accusé de corruption, tandis que les députés visiteurs nient leurs visites pour ne pas passer pour des vendus du pouvoir...
En fait, loin d’être désintéressé par les EG, Louis XVI commence à s’inquiéter au bout de deux semaines de débats absurdes entre les ordres, et de l’immobilisme de l’assemblée.
Il décide de relancer la machine en intervenant.
Nous verrons cette intervention lors du chapitre suivant, et surtout sa réaction en chaîne (chapitre suivant et suivantS) vers la journée historique du 17 juin 1789, journée pendant laquelle fut proclamée la fin de la monarchie absolue...
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