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Conférence plénière d’Isabelle Clair : « Genre, féminisme et enquête de terrain » #GenreManifeste
Isabelle Clair commence la séance en rappelant l’importance d’un réseau comme @Philomel_Genre : pour l’interdisciplinarité dans les études de genre, pour pouvoir parler entre expert·es du genre aussi et ne pas être sans cesse obligé·es de reprendre les b-a-ba.
La conférence parlera de méthodologie féministe : on verra la façon dont l’épistémologie féministe permet de nourrir la réflexion sur les méthodes. En quoi les bibliothèques féministes peuvent questionner les manières de faire du terrain ?
Ce que permet le féminisme : réfléchir aux manières de mener les enquêtes, aux enjeux de pouvoir dans les enquêtes, dans les relations avec les étudiants, avec les collègues. Contrer certains tabous de la pratique du métier de sociologue, discuter la position d’autorité du savant
La théorie féministe enjoint de tenir ensemble le lien que d’autres perspectives théoriques tendent à effacer : entre nos vies personnelles et nos vies professionnelles et scientifiques notamment –
les enjeux déontologiques et politiques de la relation d’enquête appartiennent aussi à la manière de faire la science et d’y réfléchir.
Rappel : genre ≠ féminisme. Dans notre contexte académique et politique, « genre » s’est généralisé. Il est moins subversif qu’il y a un certain temps de parler de féminisme à l’Université. Le revers de cela : le « genre » devient un fourre-tout,
une manne facile, et dévoyé quand il est utilisé à l’écart des théories féministes – quelque chose à quoi on doit faire attention en tant qu’universitaires.
I. Clair a travaillé sur la sexualité dans les enquêtes de terrain. La sexualité, à la fois hyper présente tout le temps, et taboue tout le temps ; à la rigueur on en parle parfois sous le terme de « séduction », mais en termes proprement sociologiques c’est plus rare.
Seconde raison qui a poussé I. Clair à se pencher sur ce sujet : dans un séminaire de socio parlant des conflits moraux posés par les enquêtes, est arrivé qu’une jeune étudiante étrangère se soit fait agresser par un enquêté – et il n’était pas possible pour elle d’en parler.
Ça a mis tout son terrain en péril ; impasse totale. Le rôle du directeur ou de la directrice est important : les féministes ont tendance à parler de ces sujets, les autres non et alors par conséquent les étudiant·es eux-mêmes ont du mal à parler.
Quels ressorts du silence sur la sexualité dans les terrains ? Isabelle Clair a fait quelques observations sur la littérature existante sur la sociologie : que se passe-t-il quand le sujet de la sexualité intervient ?
1er ressort du silence : l’autocensure dans le compte-rendu d’enquête. Difficulté à parler du corps, du/de la sociologue en particulier : pudeur, manque d’habitude, mais aussi normes sociales (femmes, hommes hors du système hétéro-cis-normatif… –
Les personnes qui sont les plus concernées par les questions de sexualité sont aussi celles qui peuvent le moins en parler).
2e ressort du silence : les sociologues qui ne travaillent pas sur la sexualité ne problématisent pas la sexualité en général. Considèrent que le rapport de classe est le seul rapport hiérarchique pertinent par exemple ; ne voient pas les enjeux sexuels.
3e : L’angoisse.
Pour étudier la sexualité dans les relations d’enquête, se tourner vers la théorie des scripts sexuels ; voir la relation d’enquête comme un contexte particulier favorisant l’érotisation des échanges. On peut considérer la relation d’enquête comme une relation scriptée.
Parenthèse sur cette théorie : le script sexuel se tient sur trois éléments qui se nourrissent mutuellement :
1. Un scénario culturel (ce qui est sexuel, convenable, ou pas, niveau collectif des imaginaires) ;
2. Les interactions interpersonnelles (qui sexualisent ou non la relation) ;
3. Scripts intrapsychiques (histoires de chacun·e, vie psychique de chacun·e).
Éléments proches d’un script sexuel dans la relation d’enquête : une demande (insistante) de relation, avec des jeux de séduction de la part du/de la sociologue ; la rencontre, l’échange prolongé (selon le lieu, le moment, des suspicions sexuelles plus ou moins fortes),
une demande d’intimité (dialogue à l’écart, face à face), parfois une relation suivie. Dramaturgie sexuelle cachée dans la relation d’enquête donc, mais rarement anticipée et jamais mentionnée dans les méthodes sociologiques.
Malgré l’absence de contenu sexuel effectif dans la demande de l’enquêteur ou de l’enquêtrice, la personne enquêtée peut « reconnaître » le script sexuel, croire qu’il y a un message de disponibilité sexuelle. Décalage entre les deux personnes dans ce cas.
Des risques non négligeables en particulier pour les enquêtrices du coup : très important de pouvoir les décrypter.
[TW viol] Guillaumin disait que « les femmes sont le sexe » : des objets portés à l’appréciation des hoes. Une interaction femme/homme est susceptible d’être interprétée comme sexuelle. Quand une enquêtrice demande un entretien, elle peut alors sembler agressive sexuellement ;
[TW] il y a alors un renversement du script sexuel ; les hommes peuvent se croire autorisés à faire certains gestes, certaines avances, et à se mettre en colère quand ils sont refusés. On parle bien de viols : quelques exemples d’enquêtrices violées par leur enquêté.
L’érotisation d’une enquête ne débouche évidemment pas toujours sur des agressions, mais il faut rappeler ce risque tout de même, et en parler avec les étudiant·Es.
Des stratégies déployées chez les chercheuses : par exemple glisser dans la conversation qu’elles ont déjà un compagnon (« puisque chacun sait qu’il ne suffit malheureusement pas de dire non »). Ce sont des réflexes appris de longue date,
ils n’arrivent pas d’un coup en contexte sociologique ; mais ce qu’il faut noter : ils reviennent tout de suite dès qu’on se retrouve en contexte de travail sociologique majoritairement masculin.
On finit en parlant des apports de la prise en compte de ce questionnement féministe pour la sociologie :
1. Épistémologique : la sexualité devient un fait social, son analyse est une entreprise sociologique normale. Si on passe outre, on reconduit la vieille croyance qu’il y a une neutralité du sociologue par rapport à son enquête.
La non-transparence de la relation d’enquête ne tient pas qu’aux différents positionnements dans l’enquête, mais tient aussi à l’expérience sociale de l’enquêteur·ice, notamment à son expérience de la domination.
Il ne s’agit pas de dire qu’on se prend soi-même pour objet ; pas de dire non plus qu’on ne parle que de soi quand on parle des autres; pas de dire qu’il y a un lien mécanique entre sa vie privée et sa recherche. Mais reconnaître qu’il y a des influences.
2. Méthodologique : permet de mieux réfléchir aux relations avec les enquêté·es. Le fait de se faire draguer ou agresser a évidemment un effet sur le jugement que l’enquêteur·ice peut faire sur son enquếté·e. Ça veut dire étendre la liste des critères
de la réflexivité méthodologique, et reconnaître que la position de savant·e est une position de pouvoir. À l’origine de tout ça aussi : la marginalisation des femmes ou des personnes issues de diverses minorités dans l’Université –
pas slmt une question d’oubli que les hommes etc. font du cas des femmes ou des minorisé·es. Quand les minorisé·es arrivent sur le champ universitaire bien sûr ils et elles se placent « contre » le savoir/pouvoir tel que construit par les installés (hommes dominants).
3. Déontologique : perpétuer la sexualité taboue c’est renforcer la solitude du terrain, la culture professionnelle de l’indicible travaillée par ces enjeux de pouvoir. Si on parle de sexualité, ce n’est pas tellement pour enjoindre les personnes à en parler plus,
à confesser leur sexualité – et surtout pas celles sur qui ça risque de retomber négativement –, mais pour s’interroger sur les tris que les chercheurs – particulièrement les plus dominants – font quand ils doivent parler d’eux-mêmes dans l’exercice réflexif.
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