Thread by @LarrereMathilde

Allez je vous fait une Histoire droit à la retraite

(ce sera un fil un peu long mais bon)

1)Pendant longtemps, le sort des vieilles personnes sans ressources n’a relevé d’abord de leurs familles ou, qd elle faisait défaut, de la charité, à l’initiative d’organismes religieux, ou de la solidarité à l’initiative des corporations pour leurs membres.

2)Le premier à penser à une retraite est le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

3)Bon il faut savoir que de nombreux marins partaient avec les bateaux du roi pour se faire pirates. En leur promettant une pension, le ministre du roi espérait les en décourager

4)Le second système de pension a été pour les danseurs de l’opéra quelques années après. L'opéra en grève et en lutte en ce moment d’ailleurs
(photos Serge d'Igazio)

5)Sous la Révolution, on commence enfin à penser que les individus ont des droits sociaux, et l’Etat des devoirs sociaux, notamment celui « d’assurer aux vieillards et aux veuves des secours contre l’indigence », mais sans prendre de décisions durables.

6)Il faut dire que la reconnaissance des droits sociaux fut de courte durée pendant la révolution (juin 1793-juillet 1794) et que les logiques du libéralisme économique l’emportèrent après Thermidor

7)L’idée fait cependant son chemin
Progressivement des régimes de retraite ont été mis en place, d’abord pour les agents de l’État, dans le souci de fidéliser des personnels. (alors peu nombreux et très qualifiés)

8)Les premiers à en bénéficier dans la première moitié du 19e sc sont les militaires ainsi que les professeurs et instituteurs

9)Et enfin en 1853 une retraite est instaurée pour tous les agents de l’État
Ces retraite des fonctionnaires étaient versées à partir de 60 ans et après 38 années de services et un tiers de la pension est reversé à la veuve.

10)60 ans et 38 années, cela semble presque idéal de nos jours !
Certes mais pb, les retraites étant tellement faibles, les fonctionnaires partaient en retraite plus tard, certains même à 80 ans

11)on pourra noter que cette loi distinguait les services actifs (postes, douanes, forêts, contributions indirectes, tabacs et… les instituteurs !!) qui permettent le départ à 55 ans, et les services sédentaires, où il faut attendre 60 ans.

12)Les profs ont de fait été traités plutôt correctement dans l’histoire de la retraite. C’est pourquoi la réforme actuelle va vraiment à rebours de l’histoire des retraites

13)On peut réécouter les mots de Macron à Rodez : « Pour les prof le mot d’ordre a longtemps été "Vous allez vous serrer la ceinture, vous serez mal payés toute votre vie, mais votre retraite elle sera mieux calculée que pour les autres". »

14)Or les profs seront tjrs mal payés ( qui plus est moins qu’avant, moins qu’ailleurs) , auront tjrs des boulots bien plus difficiles qu’on veut le reconnaître, mais en plus, ils vont avec la nouvelle loi perdre énormément à la retraite

15)D’autres lois suivent fin 19e sc, pour des corporations particulières, ainsi la retraite des mineurs (1894 Constitution obligatoire de caisses de retraite pour les mineurs alimentées pour un tiers par l'exploitant et pour deux tiers par les mineurs.)

16)Ou encore la retraite des cheminots de la compagnie d’état (il y avait à l’épq des compagnies privées) (1909) puis des autres compagnies
(photo serge d'Igazio)

17)Ces régimes spéciaux s’expliquent car ce sont deux professions phares et particulièrement pénibles de la révo industrielle, dans un contexte où la main d’œuvre manquait cruellement, et qu’il fallait bien trouver des moyens de fidéliser une main d’œuvre qualifiée et rare

18)Reste que pour une grande partie des travailleurs, il ne reste, quand elle s’exerce, que la solidarité familiale ; sinon, l’hospice.

19)Certes en 1850, avait été créée une Caisse nationale de retraite ; elle recueillait les versements volontaires des particuliers, et leur servait à partir de 50 ans une rente qui était garantie par l’Etat (à cette époque, la monnaie est stable !).

20)Mais cette caisse intéressera surtout la petite bourgeoisie, les ouvriers n’ayant pas les moyens de cotiser. Après un demi-siècle, elle ne concerne que moins de 10 % des plus de 60 ans, et seulement 3,5 % des ouvriers âgés.

21)Il faut bien voir qu’alors la probabilité d’arriver à l’âge de la retraite était faible, surtout dans les classes populaires. Pénibilité du travail, conditions de vie, insuffisance de l’alimentation et médecine balbutiante =>l’espérance de vie est en deçà de 60 ans

22)La question des retraites est à nouveau posée début 20e sc, car on a enfin un majorité radicale et socialiste à l’assemblée. Le mouvement ouvrier réclame des retraites dignes
Les débats sont longs et débouchent sur le projet de loi de 1910

23)L’état se préoccupe donc pour la première fois aussi clairement du sort des plus âgés. Et le reconnaît comme un droit. C’est de fait important.

24)Le pb c’était le contenu de la loi…

Ces retraites étaient financées par des cotisations des ouvriers et des patrons (à égalité) (9 fr/ hommes, 6fr/ femmes, 5,4 fr/ moins de 18 ans).

25) Les cotisations étant confiées à des caisses publiques ou privées, et majorées d'un intérêt fixé par l'Etat, qui s'engageait à verser une rente annuelle de 300 francs à chaque retraité âgé de 65 ans, ayant cotisé au moins trente ans.

26)C’était donc un système par capitalisation garanti par l’Etat

27)Reste que, ce n’était pas du tout avantageux pour les ouvriers. Si on imagine un ouvrier qui cotise 30 ans, il a mis de coté : 3240fr. Arrivé à 65 ans, il touche par an 300 francs

28)S’il veut toucher tout ce qu’il a mis de coté (donc les 3240 fr) il faut qu’il vive encore 10 ans après sa retraite, donc jusqu’à 75 ans
Ce qui était très très rare.
C’est s’il vit après qu’il touche plus que ce qu’il a cotisé (et pioche dans les cotisations patronales)

29)Par ailleurs la loi ne concernait que les petits salaires et que les carrières complètes. Résultat les femmes risquaient d’être mises à l’écart.
On s’en foutait pas mal des femmes de toute façon, puisque la loi ne prévoyait pas de réversion pour les veuves

30)La CGT se dressa donc contre la loi, qu’elle appelait « la retraite pour les morts », ou l’escroquerie. Retraite pour les morts car seul 5% des ouvriers atteignaient 65 ans, l’âge retenu

31)Pour la CGT il s’agissait ni plus ni moins que de voler aux ouvriers les cotisations puisqu’ils ne toucheraient pas de retraites pour bcp !

32)Pour la CGT, le système allait surtout permettre à l’état de capitaliser des sommes énormes (160 000 fr /an), dont on ne savait ce qu’il ferait (pour la CGT de 1910, le risque étant que cela serve à la guerre)

33)Tout ça pour une pension misérable si jamais on dépasse les 65 ans...

34)A la Chambre, qq socialistes comme Guesde ou Bracke dénoncent dans les mêmes termes le projet de loi

35)Ce dessin de Jules Grandjouan dénonce la loi : alors que les bourgeois (ainsi que les chiens policiers) prennent part au banquet, il ne restent qu’un os dans l’assiette des retraites des ouvriers qui peinent à gravir l’escalier de l’âge pour en bénéficier.

36)Il faut voir qu’une bonne partie du patronat, qui n’avait aucune envie de cotiser, tout en hurlant contre la loi, prédisant, comme tjours la faillite, est tout à fait satisfait de la campagne de la CGT .

37)
Il faut voir que la CGT avait un autre plan de retraite voté en congrés en 1901. Une retraite donc bcp plus inclusive, avec un départ plus tôt (55 ans), avec réversion 100% pour les veuves et ne reposant pas sur les cotisations ni ouvrières, ni patronales

38)La CGT refusait les cotisations patronales comme ouvrières, car elle considérait que les patrons ne les prélèveraient pas sur leurs profits, mais trouveraient le moyen de la faire supporter aux salariés

39)Pour la CGT c’était à l’Etat de prendre en charge le financement des retraites ouvrières?
Elle réclamait un budget des retraites, comme il y avait un budget de la guerre, un budget des Beaux-Arts etc, alimenté par l’impôt : ainsi, tout le monde y participerait.

40)En 1901 elle avait même réfléchi aux solutions pour trouver les budgets nécessaires :
La suppression du budget du culte et son affectation à la Caisse des retraites (budget qui fut de facto supprimé en 1905)
La confiscation des biens des congrégations religieuses...

41)ou encore, l'abolition des armées permanentes, la vente des diamants de la couronne, la suppression de la présidence de la République

42)Ceux qui à la CGT n’allait pas aussi loin défendait a minima en 1910 un système de retraite par répartition et non par capitalisation

43)Cepdt, qq socialistes, et non des moindres, ont défendu la loi en 1910, et je dis non des moindres car Jaurès fut l'un de ses défenseurs

44)Pour lui, il fallait la faire passer, même s’il était tout à fait conscient de ses limites, car c’était une brèche nécessaire dans un système qui auparavant ne reconnaissait aucun droit aux vieux travailleurs

45)En gros il disait que certes ce n’était qu’un pied dans la porte, mais que c’est mieux que de laisser la porte se refermer, et que c’était une bonne base pour ensuite améliorer les choses !

46)Pour lui, plein d’espoir, la loi pourrait ensuite être améliorée, l’âge abaissé (et de fait l’âge fut abaissé un an après le vote à 60 ans), les pensions revalorisées, et il envisageait même une participation des salariés à la gestion des retraites

47)et, pour pallier les insuffisances d’une retraite pour les morts, Jaurès proposait d’instaurer une retraite par les morts, c’est-à-dire en partie financée par l’imposition des patrimoines et des héritages.

48)La loi passa néanmoins, a une forte majorité avec votes d’une partie des socialistes qui suivirent Jaurès

49)Comme je le disais, l’âge fut abaissé l’année suivante mais en 1912, les cotisations ne furent plus obligatoires… autant dire que nombreux patrons cessèrent de les verser, et pas mal d'ouvriers également (la CGT les encourageait à ne pas cotiser)

50)La guerre arriva là dessus mettant un sacré bordel. Car évidemment les hommes mobilisés ne cotisaient plus (résultat, pour ceux qui choisirent de cotiser au retour du front… leur années de guerre ne furent pas comptées pour la retraite ! sympa non?)

51)Tout était donc à refaire au lendemain de la guerre

mais je reprends plus tard, j'en ai un peu marre là!

bon je reprends
je vais être plus rapide, car je m'y connais moins en 20e siècle, soyez indulgent-es please...

52)Nouvelle loi en 1928, réformée en 1930.
Elles créent une retraite par capitalisation, sur cotisation obligatoire, uniquement pour les faibles salaires. Résultat, il fallait attendre donc 30 ans de cotisation, donc… 1960 !
Donc c'était pas mieux...

53)Qui plus est… la crise économique, l’inflation, fit exploser le système.

54) La capitalisation se révélait une catastrophe. Un homme qui avait placé 100 fr en 1914 pour sa retraite à venir, sous forme de titre à revenu fixe, si en 1938 il voulait récupérer son placement… il ne valait plus que 6f !

55) A la veille guerre, il apparaît de façon évidente qu’il faut faire qq chose pour les personnes agées
Un reportage du magazine Regard dénonçait en 1938 la dramatique situation des pauvres vieux et vieilles personnes

56)Dans ces années 1940, nombreux furent ces vieux pauvres. Ce d’autant que les chaines de sociabilité et solidarité familiale, communautaire s’effondraient. Pas seulement par individualisme mais parce que nb des retraité des années 40 avaient perdu leurs enfants dans la guerre

57)C’est sous Vichy qu’on pense pour la première fois à appliquer une retraite par répartition, depuis tjours défendu par le mouvement ouvrier, et pas par capitalisation (loi du 14 mars 1941 mais seulement pour les plus démunis)

58)En 1945, le système de répartition est désormais mis en place pour la grande majorité des retraites : la branche vieillesse de la Sécurité sociale assure une pension, de 20 % du salaire si la retraite est prise dès 60 ans, ou de 40 % à 65 ans, âge légal de la retraite.

59)Par la suite, on prit aussi de plus en plus en compte question retraite des femmes, et des veuves, jusque-là négligées… Il faut voir que la question des femmes pose des pbs particuliers

60)Car leurs carrières sont souvent hachées, interrompues par les maternités, leurs salaires injustement plus faibles, quand elles ne sont pas niées comme travailleuses qd elles travaillent aux cotés d’un travailleur indépendant (agriculteur, commerçant)

61)Ajoutez à ça qu’au 20e siècle l’espérance de vie se creuse entre les hommes et les femmes. Avant les femmes mourraient plus jeunes que leurs compagnons, des suites de couches… Mais au 20e sc, on a désormais de nombreuses veuves… et rien de prévu pour elles

62)Les travailleuses qui ont bénéficié le plus tôt de droits sociaux sont les institutrices (qui avant toutes les autres ont eu des retraites, mais aussi des congés maternité indemnisés)

63)En 1945, un réversion de 40% du salaire du pensionné défunt était prévue pour les veuves de plus de 65 ans (avant 65 ans non…). cela restait peu, et les féministes se battent pour améliorer la situation des femmes à la retraite et des veuves

64)Les années 70 apportent enfin des progrès notables, du moins pour les femmes : les lois Boulin allongent la durée de cotisation (de 30 à 37, 5 ans) mais pour la 1ère fois prennent en compte le congé maternité et le nb d’enfants dans le calcul des droits à la retraite

65)En 1975, une possibilité de départ anticipé à la retraite à partir de 60 ans est ouverte dans le régime général aux mères de trois enfants qui ont totalisé trente années de cotisation.

66)Le taux de réversion va aussi progressivement s’améliorer pour atteindre 54 % au milieu des années 80.
(les féministes réclamaient 75%)

67)En 1982, le président François Mitterrand revient sur l’âge de départ à 60 ans (une de ses promesses de campagne) pour les assurés qui justifiaient d’une durée de cotisation de 37,5 ans dans plusieurs régimes de base.

68)Mais à partir de 1993, patatras, retour en arrière.
tout est détricoté, supprimé, agravé

Et je vous renvoie à tous les articles qui montrent combien la réforme actuelle risque d’aggraver les conditions de vie des plus âgés, de faire des femmes de grandes perdantes, et de creuser les inégalités.

voila, je sais que c'est rapide (même si ça fait long sur twitter) mais difficile d'en dire bcp plus dans ce format.
j'ai fait au mieux
désolée pour les oublis, les allusions.