Thread by @qffwffq

Pour illustrer ce superbe échec collectif (enfin surtout celui d'une génération qui n'a pas voulu anticiper sa propre dépendance) voici une histoire triste mais qui va peut être changer votre vision des résidents d'EHPAD.

https://twitter.com/lemondefr/status/1223524669501902848

Je fais souvent des expertises pour protection juridique (en simplifiant beaucoup, pour savoir si les gens ont besoin d'une curatelle ou d'une tutelle).

Et vous serez surpris d'apprendre que dans les EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes ÂGÉES DÉPENDANTES) il y plus de personnes âgées dépendantes qu'ailleurs.

Du coup je vais souvent dans les EHPAD pour interroger les résidents (souvent à la demande d'un juge) afin d'estimer leur niveau éventuel de besoin d'une protection juridique.

Donc on discute. On discute de plein de choses, le but étant de décrire le niveau d'altération de leur facultés.

Et quand vous discutez, vous commencez par des questions sur le quotidien, pour ne pas intimider les gens et pour qu'ils n'aient pas l'impression que de cette discussion dépend leur avenir (alors que techniquement si un peu quand même).

Il y a un mois environ j'ai discuté avec Monsieur X, 77 ans. Monsieur X a toute sa tête comme on dit, mais il n'a que la moitié de son corps. Il est hémiplégique et peine à parler suite à un AVC.

Il participe à toutes les activités de L'EHPAD, chant, lecture du journal local, scrabble (avec des pièces énormes qui pourraient servir de plateau repas). Il a de la visite de ses enfants une fois par mois.

Et il est infiniment triste, seule la quantité à limite de la dose toxique d'antidépresseurs, l'empêchant d'être suicidaire.

On discute et pendant qu'on discute, il m'observe. Puis il m'interrompt et avec un regard très vif me demande : "il est comment le dernier ?"

On était en train de parler de la gestion de son compte bancaire et de son livret A alors autant dire que j'ai pas vraiment compris sa question.

Mais il insiste en me tapotant le torse avec sa main, tout en souriant, et en me demandant :" vous l'avez vu ! C'est quoi la fin ?".

Je regarde sa main. Elle pointe mon t-shirt dont le motif est partiellement visible sous mon pull. C'est un t-shirt starwars rouge avec des Tie fighter sur fond de couché de soleil.

Et là on discute de Starwars. Je lui raconte la fin du IX il me dit tout le mal qu'il pense du VIII et le bien qu'il pense du VII et du III... qu'il n'a pas vu.

Je réalise qu'il avait 35 ans en 1977 quand le premier est sorti. Il me raconte à quel point il était fan. Comment il a acheté les premières consoles quand elle étaient en 8 couleurs et qu'il fallait trouver des TV à tube cathodique avec des prises compatibles pour les brancher.

Bref, il me raconte sa vie de fan de SF, musique, jeux vidéo.

Nous sommes interrompus par une aide-soignante qui sans le brusquer vient rappeler que c'est l'heure de l'atelier musique où ils vont chanter "c'est aujourd'hui dimanche (de Marcel Amont).

Il s'éteint.

Je lui demande ce qu'il pense de la protection juridique. Pendant que l'aide-soignante pousse doucement son fauteuil vers la salle commune qui sent déjà le repas de midi, il répond sans se retourner, qu'il s'en tape....

...parce que la seule chose dont il avait besoin d'être protégé c'est "ça" (en faisant un grand geste englobant L'EHPAD, son fauteuil et l'aide-soignante).

Bon bref, vous n'avez pas besoin, ni n'avez attendu mon histoire pour deviner que la dépendance c'était moche.

Mais peut-être que certains réaliseront que les Résidents Âgés Dépendants a qui on inflige "c'est aujourd'hui Dimanche" de Marcel Amont sont aussi des...

...gens dont la culture est bien plus proche de la nôtre que de clichés qu'on plaque sur eux.

Et que, ne serait-ce que de s'en rendre compte et adapter les EHPAD, contribuerait à réduire leur niveau de dépression.