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Je viens de regarder le débat Piketty-Lordon :
Tout son intérêt porte sur la question du changement institutionnel et, principalement, sur le rôle de la social-démocratie et de la violence dans l’évolution des sociétés capitalistes.
Fil à dérouler ⬇️⬇️⬇️
Avant de rentrer à proprement parler dans le débat, il est décisif d’étudier l’intervention liminaire de Piketty dans laquelle il donne des arguments qui permettent d’interroger sa perspective social-démocrate.
En quelques minutes il énonce les origines de la réduction des inégalités dans la première moitié du 20ème siècle en Europe :
👉La rivalité économique entre les nations
👉Les crises économiques
👉Les guerres (14 et 39)
👉La peur du contre-modèle communiste
Même s’il pourrait être discuté, ce passage est excellent et, pour ceux qui ont le temps, il faut l'écouter ou le lire (ici ma retranscription, entre 7 min 49s et 13 min 05 s).
Piketty y explique que ce qu’il l’a frappé en menant ses premières recherches historiques « c’est à quel point la réduction des inégalités au 20ème siècle, elle s’est faite vraiment dans la violence, dans la crise, dans les révolutions, dans les rapports de force. »
« Cela n’a pas été la conséquence paisible d’un processus électoral rationnel où le suffrage universel aurait mené mécaniquement à l’adoption, de façon apaisée, à des politiques permettant de réduire les inégalités ».
En plus des crises et de la guerre, il a même fallut le contre-modèle communiste pour imposer le changement institutionnel: « Je crois qu’il faut insister sur le fait que la réduction des inégalités au 20ème siècle elle est très liée à l’existence d’un contre-modèle communiste. »
Dès lors, la première question que l’on se pose (et que l’on aurait aimé que Lordon pose) est : quel fut le rôle de la social-démocratie dans ce processus de réduction des inégalités en France ?
En effet, même Piketty n’en fait pas mention en première approximation !
C’est Piketty, et pas Lordon, qui insiste sur l’importance historique du communisme dans le changement institutionnel en Europe au 20ème siècle. Les outils principaux d’accommodation de la social-démocratie – notamment l’électoralisme – ont échoué. La guerre a eu lieu.
On pourrait alors renverser la perspective habituelle selon laquelle le 20ème siècle est celui de l’échec du communisme en disant plutôt que c’est l’échec de la social-démocratie. Échec à empêcher la guerre et échec à gérer à long terme un capitalisme apprivoisé/régulé.
La ruse de l’histoire est que la social-démocratie s’est retrouvée aux commandes du fait de la force du mouvement communiste au sens large – pour s’opposer à lui... Une fois la menace vaincue, à l’Est mais aussi en France, la social-démocratie avait rempli sa fonction historique.
Alors vient la question décisive :
Puisque la social-démocratie (ses stratégies, son idéologie, ses outils) n’a pas réussi à impulser le changement institutionnel dans la première partie du 20ème siècle (ni ensuite…), en quoi elle serait à même de le faire aujourd’hui ?
L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’éviter la résolution des contradictions du capitalisme par la crise économique, la guerre et d’autres perspectives de ce type. L’enjeu n’est pas : « plus radical que moi tu meurs » mais essayons de ne pas mourir du tout !
La façon dont Lordon a abordé le débat a eu pour effet de repousser cette question. Mais, on y revient pleinement dès lors que Lordon cherche à contester la possibilité même que les capitalistes puissent accepter le « socialisme participatif » proposé par Piketty.
Piketty propose en effet que les droits de vote des apporteurs en capital soient limités par exemple à 5% pour les grandes entreprises (propriété sociale) et que les impôts soient tels qu’ils fixent une limite à la propriété, par exemple 10 millions d’€ (propriété temporaire).
Lordon interroge Piketty sur les « conditions politiques » de réalisation d’un tel programme. Là encore, le passage est très intéressant à lire (ici ma retranscription de 1h 01 min 10 s à 1h 03min 45 s).
Pour Lordon, il y a un conflit de radicalité – cf. Piketty lui avait reproché d’être trop radical et de ce fait de ne pas être une opposition crédible au capitalisme – mais, « les plus radicalisés ne sont pas ceux qu’on croit » car « la radicalité elle vient d’en haut ! »
En 30 ans de néolibéralisme les capitalistes « ont pris le pli maintenant de gagner tout ce qu’ils voulaient, comme ils voulaient et ça rentre comme dans du beurre. Ces gens-là sont déterminés à ne plus rien lâcher.
Donc la distribution, purement politique, de 50% des droits de vote aux salariés, très honnêtement, je ne vois pas la moindre marge de manœuvre pour une chose comme ça. » Dès lors, toutes les organisations sociales-démocrates « sont vouées au ridicule historique ».
A ce moment du débat on pense bien sûr à toute une série d’analyses portant sur les #GiletsJaunes et Macron. Dans son ouvrage @RomaricGodin a bien résumé la situation : le projet spécifique de Macron n’est pas le néolibéralisme mais la stratégie pour l’imposer – l’autoritarisme.
Depuis le débat Piketty Lordon de 2015 (Ce soir ou jamais), les épisodes de la loi travail, des gilets jaunes et de la réforme de retraites ont montré que ce régime politique est prêt à tout pour que ses privilèges ne soient pas remis en cause.
.@RomaricGodin compare dans son livre Macron à Thiers– celui-là même qui a fait tirer sur les communards de 1871 pour sauver la IIIème République de La Sociale! Il s’agit de la même IIIème République dont Piketty rappelle qu’elle a préféré la guerre à la réduction des inégalités.
Avancer dans ces raisonnements supposerait certainement une analyse de la violence de classe.
👉Jusqu’où les classes dominantes sont-elles prêtes à aller pour préserver leur domination ?
A partir de quand les classes dominées entrent-elle massivement en résistance ?
Ces questions sont d’autant plus importantes à une époque où, main dans la main, l’État et le capital disposent d’un armement face aux citoyens qui n’a pas de commune mesure dans l’histoire. Qui aurait pris la Bastille face aux escadrons de CRS et de BRAV ?
Dans un premier, temps Piketty ne répond pas à la question et demande à Lordon ce qu’il préconise. Celui-ci cite le travail de Friot sur le salariat et s’en suit un débat sur la petite et la grande propriété lucrative.

Mais, comme le dit Lordon plus loin (1h 28 min 58 s) :
« toi comme moi on est en train de faire des plans sur la comète. […], dans la situation présente […] celle du capitalisme néolibéral de 2020, quelle sont les probabilités d’advenue spontanée de ces choses […] ? Je veux dire, elles sont rigoureusement nulles. »
Malheureusement, dans la suite du débat la question des conditions de possibilité du changement institutionnel (social-démocrate ou non) ne sera plus qu’effleurée. Piketty explique néanmoins que la réduction des inégalités dépend de deux conditions :
Premièrement, il faut des crises d’ampleur « dont personne ne peut dire la forme qu’elles prendront ». Cette condition est nécessaire mais non suffisante puisqu’il faut, deuxièmement, des idéologies « qui ont fait […] l’objet d’une appropriation citoyenne ».
On se pose alors deux questions :
1) Aucune réduction des inégalités n’est envisageable en dehors de la violence ?
2) Concernant 1945, étaient-ce les idées sociales-démocrates ou communistes qui trouvaient une approbation plus large parmi les citoyens ? (cf. plus haut.)
La fin du débat se perd dans des discussions sur l’Union Européenne sans que les prémices sur les conditions de possibilité du changement institutionnel (qu’on l’appelle dépassement du capitalisme ou modification du régime inégalitaire) ne soient ni résolues ni débattues…
Notons au passage une autre contradiction de Piketty lorsque qu’il explique pourquoi il soutient des candidats lors des élections : si le changement institutionnel n’a rien à voir avec « un processus électoral rationnel » et « apaisé », pourquoi légitimer les élections ?
A la fin reste la question centrale : si la société d’après 1945 n’est pas le produit de la social-démocratie mais des crises et de la violence, comment fait-on aujourd’hui, que l’on soit social-démocrate ou pas, pour empêcher que tous ces malheurs reviennent ?
Est-il possible d’éviter ces crises ? Si non, comment en limiter les effets ? Comment s’y préparer ? La question demeure aussi pertinente pour la proposition de Lordon d’étendre le salaire à vie et les caisses d’investissement comme le suggère Friot.
Comment lutte-t-on contre une réforme des retraites dont personne ne veut parce qu’elle va paupériser le plus grand nombre ? Suffit-il aux courageux personnels hôpitaux de crier SOS pour que les gouvernants les entendent ?
S’il n’y a pas de force intrinsèque des idées vraies et que les dominants sont prêts à user toutes les cordes de la violence de classe, comment impose-t-on le changement aux capitalistes sinon en cherchant à renverser le capitalisme ?
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