Thread by @Mangeon4

Saviez-vous que les réacteurs 5 et 6 de la centrale #nucléaire de Gravelines devaient être les tranches 1 et 2 de la centrale nucléaire de Darkhovin (#Iran) ?

Un petit thread pour une histoire assez incroyable !

1/ Depuis 1941, l’Iran est dirigé par un « Shah », Mahammad Reza Pahlavi, soutenu par les pays occidentaux et notamment les USA. En 1967, le premier réacteur #nucléaire de recherche iranien démarre. Il est fourni par les #USA.

2/ Le pouvoir iranien du Shah est critiqué en Iran par des intellectuels laïcs et libéraux, des mouvements populaires mais aussi par des religieux comme Rouhollah Moussavi Khomeini, qui s’exile du pays en 1964 (photo prise lors d’un discours en 1963).

3/ Le Shah a alors la confiance des pays occidentaux et ratifie en 1970 le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

4/ En 1973, à la suite de la crise pétrolière, l’Iran devient le premier fournisseur de pétrole pour la France. Pour la fin du XXe siècle, l’#Iran souhaite se doter de 23 000 MW d’énergie nucléaire et affiche ses ambitions en matière de nucléaire militaire.

5/ En Juin 1974, le Shah visite les installations françaises de Saclay et de Marcoule. A l’issue de ce voyage, l’Iran et la France annoncent un partenariat pour une utilisation pacifique de l’énergie #nucléaire.

6/ Le Shah d’Iran déclare : « Je suis impressionné par la technique française (…). Je suis prêt à prendre une part dans votre usine d’enrichissement. Mon intention serait que le plus grand nombre de nos centrales soit fourni par la France. »

7/ En effet, dans le même temps démarre le projet d’usine d’enrichissement par diffusion gazeuse Eurodif (George Besse I). Plusieurs pays européens possèdent des parts de l’usine. L’Iran a également un droit de prélèvement de 10% sur l’uranium enrichi par l’usine.

8/ La France et l’Iran se mettent également d’accord pour la construction de 5 tranches de 900 MWe sur le sol iranien. Les allemands sont également sur les rangs et signent, en 1975, un contrat pour construire une centrale sur le site de Bouchehr.

9/ Les représentants français et l’Organisation de l’énergie atomique d’IRAN (OEAI) prévoient dans un premier temps deux tranches dont la maitrise d’œuvre est donnée à Framatome. Le président français Giscard se rend en Iran en 1976.

10/ La centrale sera construite à Darkhovin, au sud d’Ahvaz sur le fleuve Karun. Mais, à la fin des 70’s, la crise économique et la colère monte en Iran. Le pays tente de troquer les centrales Françaises contre du pétrole et tarde à signer les contrats définitifs.

11/ En octobre 1977, l’Iran signe enfin la commande ferme de 2 réacteurs au consortium Français (Creusot-Loire-Framatome, Alsthom-Atlantique et Spie-Batignolles). La fourniture du combustible sera assurée par la COGEMA (CEA).

12/ Au mois de juillet 1978, les travaux préparatoires du chantier débutent en Iran. En France, la fabrique des « gros composants » est lancée à l’usine de Chalon-Saint-Marcel alors que la formation des futurs operateurs s’accélère à Paris.

13) Pour rappel, nous sommes en plein « Plan Messmer » de construction du parc de réacteurs à eau pressurisée en France. Les gros composants (Cuves, générateurs de vapeurs et pressuriseurs) sont construits à la chaine.

14/ La conception/construction de la centrale est complexe notamment en raison du sous-sol très sismique de la région autour du site de Darkhovin. La centrale de Cruas, fondée sur des appuis parasismiques (notamment pour démontrer le savoir faire français) sert de modèle.

15/ Le 4 septembre 1978, une manifestation rassemble 1 million de personne à Téhéran. Le 8 septembre, une centaine de morts sont à déplorer lors du « jeudi noir » sur la place Jaleh. La révolution iranienne est en marche.

16/ Rapidement, le pouvoir du Shah se disloque et des grèves éclatent en novembre/décembre sur le site de Darkhovin. La légende raconte que la dernière paye des ouvriers du chantier a parcouru 400 km de Téhéran à Darkhovin dans des conditions dantesques.

17/ En fonction des check point, le conducteur devait montrer des portraits du Shah ou de son futur successeur l’ayatollah Khomeiny pour pouvoir continuer son trajet !

18/ La situation devenant trop tendue, les travaux doivent être interrompus. Le 16 janvier 1979, le Shah quitte définitivement l’Iran. Sur le site Iranien la situation est intenable et les départs vers la France s’organisent progressivement.

19/ Comble de cette histoire, alors que le Shah fuit l’Iran, son successeur, l’ayatollah Khomeiny est en France, à Neauphle-le-Château et revient triomphalement en Iran le 1er février 1979 sur un vol Air France.

20 Le contrat #nucléaire entre la #France et l’#Iran tombe à l’eau. 450 employés du consortium français sont rapatriés et le marché est définitivement résilié le 4 juin 1979.

21/ Problème de taille : Les composants lourds des 2 tranches de Darkhovin sont déjà construits en France. L’idée est de les récupérer pour la centrale de Gravelines, qui a déjà 4 réacteurs en construction. Le chantier des tranches 5 et 6 débute en octobre 1979.

22/ Les réacteurs 5 et 6 de Gravelines sont mis en service commercial en 1985. Les soubresauts de l’histoire font de cette centrale nucléaire, surnommée « la géante », la plus importante d’Europe de l’Ouest avec 6 tranches de 900 MWe.

23/ Suite à la révolution de 1979, l’empire d’Iran se transforme en république islamique. Le programme #nucléaire iranien va devenir au centre de l’attention de la communauté internationale.

24/ Le projet d’une centrale à Darkhovin sera repris par la Chine dans les années 1990 puis rapidement abandonné. Au milieu des années 2000, l’Iran décide de continuer seule la construction d’un réacteur sur le site…

25/ La chantier de construction de la centrale du Bouchehr, abandonnée par l’Allemagne, est bombardée pendant la guerre Iran-Irak. Finalement la Russie coopère avec l’Iran pour un nouveau projet : un réacteur de type « VVER » qui démarre le 3 septembre 2011.

26/ PS : Ce récit est forcément très condensé et je ne suis pas spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient. Merci d’être indulgents !

27/ Sources, photos et vidéos :
ina.fr/video/CAA79005…
ina.fr/video/CAA78016…
ina.fr/video/LXC01018…
Archives Revue Générale Nucléaire (N°1 1978, n°4 1978, n°4 1980, N°5 1980, N° 6 1982 et 1984, N°2 2011)