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Dec 26 47 tweets 16 min read
[📖ÉTUDE] Que devient la propagande de la #Russie depuis la #déplateformisation de RT et Sputnik ?

▶️Rôle déterminant de Telegram et de la blogosphère nationaliste, création de faux sites, stratégies de contournement...les ressorts propagandistes sont loin d'avoir été cassés 👇
Pendant longtemps, et disons le tout de go, par commodité, si ce n'est facilité, une grande partie des études ou des articles s'intéressant à la propagande russe a fait des médias officiels de la Russie, que sont RT et Sputnik, des points d'entrée privilégiés.
Avec @jbdelhomme, en 2021, nous avions d'ailleurs consacré une étude à l'analyse de l'édition 🇫🇷 de Sputnik, soit un corpus de 176K articles, pour une période allant de 2014 à 2022, afin d'étudier les stratégies éditoriales du média.

Lien vers l'étude👇
…servatoire-strategique-information.fr/wp-content/upl…
La déplateformisation de ces médias d'influence survenue au printemps, consécutivement à la guerre en #Ukraine, nous a donc questionnés sur les stratégies mises en place par ces acteurs pour contourner les sanctions et continuer leur "mission".
Ces interrogations ont donné lieu à un travail au long cours que nous avons rendu public vendredi dernier dans @LEXPRESS. Sans ambitionner d'être exhaustif, nous proposons avec cette étude un état des lieux des nouveaux visages de la propagande russe.
lexpress.fr/economie/high-…
L'étude en complet est, quant à elle, accessible au lien ci-dessous sur le site d'@IDS_Partners 👇

ids-partners.com/post/la-propag…
Initialement, l'étude devait porter sur une thématique très précise qui nous a intrigués au cours de ces derniers mois.

▶️ La circulation du narratif autour des urkonazis ou ukrofascistes (bien que le second vocable soit bien moins utilisé), destiné à discréditer les Ukrainiens.
En France, des personnalités proches de l'extrême droite, et de mouvances politiques marginales de notre paysage politique, n'ont pas hésité à faire leur miel de ce terme pour venir étayer leur vision du monde favorable à la Russie, et ce quelles que soient les circonstances.
Et ce mot-valise, loin de se cantonner au périmètre francophone, s'est également répandu dans les écosystèmes linguistiques italophone, hispanophone et, bien entendu, russophone, comme le synthétise la cartographie Twitter ci-dessous 👇
Pour nous, ce terme a été appréhendé comme un traceur. Si les utilisateurs qui recourent à ce vocable, loin s'en faut, ne sont pas nécessairement des trolls russes patentés, ils n'en sont pas moins les relais d'un narratif qui ne laisse aucun doute quant à son intentionnalité.
Il n'est qu'à observer les dynamiques de circulation du narratif ukronazi dans une série d'écosystèmes cibles pour se convaincre du caractère quelque peu coordonné ou opportun de ces relais, de concert avec la première phrase du conflit marquée par un fort effet de sidération.
Pour revenir à la France, tout au long du printemps, Xavier Moreau, sur sa chaîne YouTube, aujourd'hui bannie par YouTube, a usé et abusé du vocable dans son compte rendu quotidien des opérations militaires.

Voir à ce sujet cet article de @DeskRussie 👇

desk-russie.eu/2022/09/16/voy…
Toutefois, il nous est apparu, que des acteurs comme Xavier Moreau, généralement qualifiés "d'idiots utiles" (dans la terminologie qui prévalait au siècle dernier) ou de "passeurs de contenus, comme nous le faisons dans l'étude, ne sont qu'une face très émergée de l'iceberg.
S'intéresser uniquement à ces "passeurs de contenus" revêt donc un intérêt somme toute très limité.

Dans la mesure où ceux-ci sont des passeurs et non de vrais producteurs d'informations, il s'avère donc intéressant d'essayer de remonter aux sources des narratifs eux-mêmes.
À ce stade, l'étude peut prendre deux voies :

1⃣ Adopter une approche linéaire, verticale et descendante et relier chacun des passeurs identifiés à un centre informationnel et matriciel unique.

2⃣ Adopter une approche dialectique, pluri-centrée, si ce n'est décentralisée.
Or, les travaux que nous avons pu mener au cours de ces dernières années, nous conduisent à préférer l'option n°2 et à rejeter l'idée de dispositifs de propagande verticaux et rationnels, afin de privilégier des schémas prenant en compte une sorte de "marché" 🇷🇺 de la propagande.
Lorsque nous avons étudié les premières traces de la circulation du narratif ukronazi sur le web russophone, nous avons trouvé dès le début des années 2010, des tribunes/billets de blogs, venant "d'intellectuels" nationalistes, notamment proches de l'eurasime à la Douguine.
Ces acteurs, sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans une proche étude, ne sauraient tous être appréhendés comme des pions dans un vaste échiquier piloté par des "services".
Des blogueurs des années 2010 aux animateurs de chaînes Telegram, il y a un continuum indéniable.
Cela explique la raison pour laquelle nous recourons au terme de "blogosphère" pour qualifier les chaînes russophones Telegram actives dans le suivi de la guerre en Ukraine.

Ces chaînes ne sont pas si éloignées des blogs LiveJournal (et autres) des années 2010.
Plutôt que de voir ces acteurs comme de simples propagandistes, nécessairement aux ordres, rendant des comptes à des autorités politiques et/ou militaires, la relation est, selon nous, multilatérale, avec des marges de manoeuvre et une liberté de ton qui ne sont pas négligeables.
Nous pouvons ainsi émettre l'hypothèse que certains narratifs, diffusés par des acteurs plus "officiels", sont moins des créations ex nihilo opportunes que des emprunts à un magma idéologique nourrit au quotidien par des nationalistes + ou - (in)dépendants.
La chaîne Telegram "Rybar", suivie par plus d'1M abonnés, constitue un bon exemple. Un article récemment publié par The Bell révélait qu'elle serait animée par une dizaine de personnes, proches du Ministère de la Défense et de Prigojine (donc de #Wagner)
thebell.io/en/unmasking-r…
Comme souvent sur ce type de sujet, la prudence est de mise.

Néanmoins, cela expliquerait pourquoi une chaîne comme Rybar peut avoir une certaine "liberté de ton", comme elle en a fait la démonstration au cours des revers militaires russes de septembre/octobre.
Par-delà la seul cas de Rybar, cela explique(rait) pourquoi cette blogosphère nationaliste active sur Telegram peut s'autoriser tout aussi bien à commenter, parfois de manière (fort) critique, les opérations militaires en Ukraine, que la vie politique russe.
Si la démocratie n'existe pas (vraiment) en 🇷🇺. Et que les ersatz de liberté de la presse n'ont pas résisté aux conséquences de la guerre en Ukraine, et à l'énième tour de vis autoritaire dans le pays, cette blogosphère jouit, elle, d'une liberté prononcée
lefigaro.fr/international/…
Dans notre étude, nous avons constitué un panel de 1.800 chaînes Telegram russophones publiant sur la guerre en Ukraine.

Certaines de ces chaînes sont suivies par plusieurs centaines de milliers de personnes et jouent le rôle de véritables "médias".
En utilisant différentes approches statistiques, nous avons proposé une structuration de cette blogosphère Telegram en 3 blocs :

1⃣ Un bloc nationaliste
2⃣ Un écosystème institutionnel
3⃣ Un écosystème local (sur lequel nous aurons l'occasion de revenir plus bas)
Concernant les sujets abordés par ces 1.800 chaînes, la thématique de la guerre en Ukraine est la plus représentée (34,6%), devant le suivi des opérations militaires (22,1%). La circulation, parmi celles-ci, du narratif ukronazi est particulièrement forte, avec 18,4% des posts.
Concernant le bloc nationaliste, sa liberté de ton vis-à-vis du commandement militaire russe (notamment lors du retrait de #Kherson), son idéologie nationaliste jusqu’au-boutiste et son influence croissante interrogent sur le rôle que ces blogueurs pourraient jouer à l'avenir.
Ces interrogations, du fait de la proximité entre certaines chaînes de ce bloc nationaliste et Evgueni Prigojine, s'inscrivent dans la continuité des questionnements actuels sur les ambitions réelles du groupe Wagner et de sa figure de proue en Ukraine et/ou en Russie.
L'analyse de ce panel de chaînes Telegram russophones, et notamment du bloc que nous avons qualifié de "local" soulève d'autres interrogations, cette fois-ci quant à la nature des animateurs de ces chaînes et leurs liens avec Moscou.
Car si nous avons, à plusieurs reprises dans l'étude et dans ce #thread, souligné la "liberté de ton" des blogueurs nationalistes, comment analyser la nuée de chaînes Telegram locales créées, notamment en mars et en avril, pour "suivre" l'actualité dans des villes ukrainiennes ?
Comme l'illustre le mapping ci-dessous, c'est essentiellement au sein de l'écosystème dit "local" que l'on retrouve les néo-chaînes Telegram, et notamment celles créées en mars et en avril, de manière donc concomitante aux grandes opérations militaires en #Ukraine.
Si l'on peut admettre l'hypothèse de blogueurs nationalistes, entretenant des liens + ou - étroits (ou relâchés donc), avec le Kremlin (par synecdoque), il est fort improbable que des individus de la "société civile" puissent piloter des chaînes sur l'actualité locales en Ukraine
La "main de Moscou" derrière ces néo-chaînes locales devient d'autant plus probable dès lors qu'on analyse les axes éditoriaux qui les caractérisent.

Paysages, météo et autres actualités positives...cela ne manque pas de rappeler l'animation des chaînes TG plus "officielles".
Ces chaînes, notamment celles appartenant à ce que nous avons qualifié d'écosystème "News RU" ont donc pour finalité dans les villes conquises (certaines ont depuis être reprises par les Ukrainiens dans les contre-offensives lancées depuis août) de normaliser la présence russe.
Une frange de ces (néo-)chaînes locales est la déclinaison Telegram d'un écosystème de 23 sites ayant des urls, une identité visuelle et un mode de publishing permettant de les regrouper comme faisant partie d'une seul et même opération (voir par exp : kherson-news.ru)
Comme pour l'écosystème local sur Telegram, ce cluster de sites internet se caractérise par une volonté manifeste d'avoir le maillage du territoire ukrainien le plus fin possible, comme nous pouvons le constater avec cette carte 👇
Si nous ne savons pas précisément qui anime un tel réseau de sites (bien que nous ayons naturellement quelques hypothèses en lien avec un "cuisinier" tristement célèbre), son mode de fonctionnement faisant de Telegram sa pierre angulaire éditoriale est quelque peu novateur.
Ce réseau de sites, dont l'essentiel de la force de frappe éditoriale provient des publications des blogueurs nationalistes et de certaines chaînes locales actives sur Telegram, est également optimisé pour le SEO, notamment à destination des russophones utilisant Yandex 👇
Que ce soit sur Telegram ou sur le web "classique," à l'image de ce réseau de sites, ou encore sur Facebook ou Twitter, force est donc de constater que malgré la #déplateformisation en Europe des navires amiraux qu'étaient RT et Sputnik, le feu est toujours actif sous la cendre.
La #déplateformisation de RT et Sputnik nous invite donc à changer de focale et à nous concentrer sur cette partie immergée de l'iceberg, qui produit des narratifs, des éléments de langage et du contenu au quotidien, avec ou sans l'aval du Kremlin (toujours par synecdoque).
Ce (nécessaire) changement de focale, nous invite également à ne pas reproduire les mêmes erreurs, et à ne pas prendre les "passeurs de contenus" (ou "idiots-utiles") pour des producteurs de narratifs et donc de propagande.
Plutôt que de montrer du doigt tel ou tel "passeur", pour ce qu'il dit, il s'avère plus intéressant d'analyser ce qu'il énonce pour mettre au jour des "concepts" et autres structures de phrase donnant à penser que le discours est "importé" de l'étranger, et en l'espèce de Russie.
C'est ainsi que nous avons procédé concernant la diffusion du narratif ukronazi.

Au fil des mois, nous avons donc progressivement élargi le scope de notre étude pour nous intéresser aux sources russes auxquelles s'abreuvent les propagandistes aux quatre coins du monde.
De même qu'il est intéressant, dans une perspective centrée sur la 🇷🇺, de voir la production de la désinformation comme un "marché" (plutôt que comme une structure verticale et hiérarchisée), il est, tout aussi intéressant, de voir sa diffusion comme un "marché international".
Et voilà, c'est fini pour aujourd'hui :)

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Dec 3, 2020
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lemonde.fr/les-decodeurs/…
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