Thread by @troglodette

Prêt pour le fil consacré à l'horticulture japonaise à l'époque Edo ? 🍃🌸

On commence ! Tout d'abord quelques mots sur la conférencière, Sophie le Berre. Elle a un parcours atypique qui force le respect puisqu'elle a repris ses études à la quarantaine à l'INALCO et a passé son master tout récemment (sur l'horticulture japonaise donc)

Sophie Le Berre commence par présenter le Japon durant la période Edo, qui va de 1603 à 1848. Période de paix, déjà, avec des particularités politiques qui auront un impact sur la botanique

Période féodale aussi, puisque le Japon est éclaté en près de 300 fiefs. Le pouvoir est entre les mains des Shogun qui sont à Edo (= Tokyo) tandis que l'Empereur n'a qu'un statut « spirituel » et demeure à Kyoto.

(Si Shogun n'évoque pour vous que de lugubres discothèques de province, wikipédia est votre ami)

Vous me direz : OSEF, et les plantes dans tout ça ? On y vient.

Les Shogun ont à cœur d'unifier le Japon et de garder un œil sur les roitelets disséminés à travers le pays. Pour ce faire ils imposent à ces derniers de passer une année sur deux à Edo

(Je lis en plus sur wiki qu'ils devaient laisser leur famille à Edo en guise d'otages haha grosse ambiance)

Ces seigneurs n'ayant pas l'intention de dormir sous les ponts pendant leur année à Edo, ils se sont fait construire quelques palais sur place 😏

La plupart de ces seigneurs s'offrent ainsi deux voire trois résidences à Edo (Tokyo, suivez un peu!), chacune avec des jardins somptueux. Ces jardins accueillent parties de chasse, joutes poétiques, etc.

Donc si on fait le calcul : 2/3 résidences multipliées par 300 seigneurs ça fait un paquet de jardins ! 🌲🍃🌷🌳🍁

De cette profusion de jardins il reste quelques témoins comme le jardin Hama-Rikyū.

(Notez comme j'ai évité l'inévitable "entre tradition et modernité"!)

A côté de ça, Sophie le Berre souligne que les racines spirituelles du Japon de l'époque expliquent aussi cette prédisposition à l'horticulture

Shintoïsme --> sacralisation de la nature
Bouddhisme --> offrandes florales à Bouddha

Ces offrandes sont à l'origine de l'Ikebana, l'art de l'arrangement floral japonais

Pour la cérémonie du thé on parlera de Chabana. Une seul fleur, pas trop capiteuse, penchée vers les invités avec le plus de simplicité possible. 🌼🍵

Mais revenons à nos seigneurs et Shogun. Les Shogun ne sont pas que des militaires, ce sont aussi des collectionneurs de plantes ☝️

Les seigneurs, voulant plaire aux Shogun, se mettent à l'horticulture et une émulation ++ se crée.

Les pépinières se multiplient et des zones entières se spécialisent dans la création de nouveaux cultivars comme le village de Somei.

C'est d'ailleurs dans ce village que naît le sakura (cerisier) star du Japon: le Somei Yoshino.

C'est aussi l'essor des marchés aux fleurs, des concours au cours desquels les seigneurs rivalisent de raffinement, etc

Qui dit essor de l'horticulture dit essor de la céramique! Certaines estampes montrent des étals encombrés de pots tous plus beaux les uns que les autres (évidemment je ne retrouve pas les dites estampes)

Les goûts floraux de l'époque sont pour le bizarre, la forme étrange, les couleurs contrastées

Par exemple, on préfèrera les camélias panachés aux camélias blancs.

Comme ça :)

Alors quelles étaient les plantes à la mode durant l'époque Edo?

Au XVIIe, le camélia que je viens de citer. Symbole de noblesse/aristocratie etc.

Mais aussi les azalées. (ici les azalées du sanctuaire Nezu)

🌸🌸🌸🌸🌸🌸🌸🌸Avalanche d'azalées dans vos TL🌸🌸🌸🌸🌸🌸🌸🌸

Sont également prisées les pivoines, venues de Chine.

Et puis, évidemment, les chrysanthèmes. Ils mériteraient un fil à part tant il y a à dire!

Leur charge symbolique est énorme, leur culture ultra codifiée, etc. Par exemple, le sceau impérial est un chrysanthème.

On en trouve de toute taille, forme, couleur... ils font l'objet d'expo début novembre au Japon

Évidemment ces formes torturées ont inspiré les artistes :)

A partir de la fin XVIIe, les érables séduisent de plus en plus grâce à leur feuillage.

Cette estampe d'Hiroshige montre des gens profitant de la vie sous des érables, oklm sur des bancs prévus à cet effet

Ce qui amène Sophie le Berre à une remarque: Quand le Japon sort de son isolement à la fin du XIXe, une des choses qui frappe les occidentaux, c'est l'oisiveté des japonais

On a aujourd'hui une image des japonais comme d'un peuple industrieux à l'extrême alors que c'est précisément l'inverse qui marquait les visiteurs de l'archipel il y a à peine 2 siècles

Autre remarque: les estampes qui représentent un jardin montrent généralement chaque plante sous son meilleur jour en dépit de la cohérence saisonnière

Par exemple on verra côte à côte un cerisier en fleurs et un érable dans sa livrée d'automne 🍁🌸

Une fois les jardins bien dotés en plantes ligneuses, on se tourne vers les plantes herbacées!

Les iris sont particulièrement appréciés à partir du XIXe siècle

😍

Vous trouverez à Tokyo des jardins aux iris comme le jardin Horikiri

N'oublions pas le lotus, fleur sacrée du bouddhisme

Tous ces cultivars japonais arrivent en France à la fin du XIXe siècle, grâce notamment à l'exposition universelle de 1878!

Le Japon exporte dès lors son savoir faire aux USA et en Europe, via des pépinières comme la Yokohama Nursery (et son catalogue 😍)

Les japonais conservent un lien aux fleurs assez unique, je ne connais pas beaucoup de peuples qui accordent une telle importance à la floraison d'une espèce. Et c'est chouette.

Voilà! C'est la fin de ce long thread fleuri. J'espère que vous avez aimé. Je clos avec cette estampe d'un chat en robe de chambre. Bonne nuit! 💤

Yo! J'ajoute 2/3 bricolages parce qu'hier il se faisait tard.

L'ère Edo étant pacifique, beaucoup de Samouraï herborisent sur leur temps libre. C'est donc en grande partie à une caste militaire qu'on doit cet âge d'or floral!

Certains, comme Iwasaki Tsunemasa, étaient des scientifiques accomplis. Il nous a laissé des planches éblouissantes.

Regardez moi ces merveilles. (oui oui, vous reconnaissez bien la fritillaire pintade!)

Et donc ce qui m'a marqué, c'est que l'horticulture et l'amour des fleurs ne sont pas spécialement assimilés à la féminité.

Alors qu'en occident...!

Là par exemple je lis la Lettre Écarlate d'Hawthorne. Il décrit un vieux militaire passionné par les fleurs, et ajoute aussitôt que cette passion "est digne d'une jeune fille"

Donc voilà, je trouvais marrant et intéressant de constater que l'amour des fleurs n'est pas spécialement "efféminé" au japon. #PointGender

Je n'ai pas parlé des orchidées, mais en la matière le Japon tue un peu le game avec des spécimens incroyables comme l'orchidée colombe ✨🕊️

Cet intérêt pour les fleurs a inspiré les peintres et graveurs, mais aussi les poètes. Voici quelques haïkus consacrés aux espèces dont nous avons parlé plus haut!

Un seul bruit
au clair de lune,
la chute des camélias blancs

Takakuwa Rankô

Sur la pivoine blanche
netteté
de la fourmi

Buson Yosa

Herbes d'iris
accrochées à mes pieds —
lacets pour sandales !

Matsuo Bashō

Sur la montagne
La lune éclaire aussi -
Le voleur de fleurs.

Kobayashi Issa

Empourprant les montagnes du soir
les azalées –
nulle maison en vue.

Masaoka Shiki

Le mont s’assombrit
éteignant le vermillon
des feuilles d’érable

Yosa Buson

Autre merveille horticole japonaise: les pivoines d'hiver, ou Kanbotan (comment ça ce fil est trop long?!)

Leur particularité? Elles sont coiffées d'une natte qui protège leurs efflorescences de la neige 🌸❄️