Eliane Viennot, autrice de "Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin !", lors de la table ronde "le sexisme dans la langue", organisée par @maisonfumetti / BM de Nantes / le labo des savoirs. 
C'était super bien de réaliser à quel point la complexité de la langue française a été construite artificiellement pour en évincer les femmes, et en éloigner soigneusement l'accès aux classes sociales basses.
Pour aller plus loin : je suis issu d'un milieu paysan, prolo-paysan. Du côté de mon père, sa famille travaillait et gérait des terres qui ne leur appartenaient pas (métayage je suppose), du côté de ma mère, petits boulots et dur labeur agricole, sur des terres de fermiers.
A l'école, j'ai très vite compris que bien parler, bien maîtriser le français, serait un atout d'ascension sociale (même si je n'étais pas conscient de ce concept). J'ai vu des camarades d'école se faire faucher sur les dictées, avec des 10, 20, 30 fautes…
Là où au pire j'en avais que 1 ou 2. Dans ma famille on me montrait parfois des lettres d'autrefois, des grands parents, qui n'avaient été que jusqu'au certificat, mais dont on vantait la belle graphie exemplaire, et l'absence de fautes d'orthographe.
un jour, en cm2, j'ai dit à l'oral, dans une discussion entre copains, à la question "où sont les … (je ne sais plus quoi, mais un terme au féminin)" : "A sont là."
J'ai dit "A" par déformation de "Elle" ou "Elles", comme on dit beaucoup dans le coin où j'ai grandi.
J'ai dit "A" par déformation de "Elle" ou "Elles", comme on dit beaucoup dans le coin où j'ai grandi.
J'ai été repris gentiment par ma maîtresse d'école. C'est un moment dont j'identifie bien dans ma conscience du bien parler. Je marque souvent les double négations (ne pas) à l'oral, je parle de manière plutôt claire et distincte, par rejet de mon milieu social et géographique.
Aujourd'hui je me rends compte que cette langue que j'ai pris soin de maîtriser, pour m'élever de là d'où je viens, est justement le vecteur de domination d'élites, d'un pouvoir pyramidal, vertical et très centralisateur. En maîtrisant cette langue, je valide malgré moi ce fait.
C'est très attristant, ça me rends perplexe. Tout comme ça me rend perplexe aujourd'hui de voir mes enfants écrire et dessiner beaucoup, mais d'être déjà dans ce truc constant "papa ce mot s'écrit comment"… les Ph et les F, toutes ces variantes pour un seul et même son…
la première fois où mon fils a mis des textes dans un dessin, mon premier réflexe a été de lui dire "ça ne s'écrit pas comme ça". Ma compagne a eu l'intelligence de me dire "attention, il exprime des choses, c'est riche, l'orthographe on verra mais APRES".
Et en effet, face à un truc super chouette d'appropriation de l'écriture par mon fils, j'ai été immédiatement dans la correction ! Quelle tristesse. Le nombre d'enfants occupés à centrer leur cerveau sur "o", "au" ou "eau" "aud" "ot" etc, au lieu de dire ce qu'ils ont à dire !
Eliane Viennot disait hier soir "une écriture simple n'empêche pas une pensée complexe". On contraint les classes sociales basses à une écriture complexe pour les laisser dans une pensée simple.
Alors, oui aux réformes de l'orthographe, portons notre attention plutôt sur la richesse et l'importance de la grammaire.
La langue, c'est une Bastille contemporaine. Une forteresse construite par des linguistes, des académiciens au cours des siècles, tous des hommes, évidemment, avec des règles arbitraires, pour dominer les femmes, pour dominer le peuple.
Vous voyez ce qu'il nous reste à faire, quoi :)
Et bravo et merci à Eliane Viennot et Marie Jouan qui ont énormément accéléré ma prise de conscience de toutes ces questions hier soir. cette table ronde sera diffusée ce soir à 19h sur @Radio_Prun , je vous invite à l'écouter !
prun.net
prun.net
PS : ah oui, c'est amusant de voir combien ceux qui maîtrisent la langue (sur les ondes, au pouvoir, etc), disent des phrases au mieux vides de sens, au pire de la merde, lorsqu'ils s'adressent au peuple :)
