Thread by @CamilleVernier1

C'était il y a 10 ans presque jour pour jour, dans une salle d'attente d'hôpital, après une énième "chute dans les escaliers", je prenais la décision de fuir, de fuir ma vie d'alors, de fuir la France, de fuir mon petit ami aka monsieur connard.
Thread vis ma vie de femme battue.

Quelques heures plus tôt, fin de l'année scolaire, début des grandes vacances, je suis dans ma classe, je prends tout mon temps pour ranger ce qui doit être rangé, pour classer ce qui doit être classé, pour re-ranger ce qui a été rangé, pour re-classer ce qui a été classé.

Le début des grandes vacances, c'est jour de fête, ma fête.
Je ne vais plus être obligée de me montrer en public pour les deux prochains mois.
Autant le reste de l'année il se concentrait sur le corps, autant là, monsieur connard se lâchait et visait le visage.

Sur la route du retour, je prends tout mon temps.
Doit bien y avoir une petite chance qu'il ne soit pas là non ?
Doit bien y avoir une petite chance qu'il n'ait pas bu non ?
Doit bien y avoir une petite chance qu'il ait oublié quel jour on est non ?

La petite chance, ce ne sera pas pour cette fois.
Il est là.

Lui: T'étais où?
Moi: ...
Lui: Tu sais combien de temps ça fait que j't'attends?
Moi: ...
Lui: Donne moi tes clés !
Moi: ...
Lui: Donne tes clés j'te dis !!
Moi: ...
Lui: Tes clés salope !!!
Moi: ...

Et c'est parti.

Mesdames et messieurs et autres, dans le coin gauche, monsieur connard, 90 kg et des pour 1m96, quelques nuits au poste pour diverses rixes dans divers bars, des poings qu'on dirait des briques, un style peu technique, tout en rage et en puissance.
Bref, une brute.

Dans le coin gauche, Camille, 73 kg pour 1m81, quelques années de kick boxing derrière elle, de nombreuses altercations dans les bars et ailleurs aussi, un style techniquement élégant alliant esquives et gardage à distance mais manque cruel de puissance dans les coups portés.

Me souviens de pas grand chose.
J'ai pas forcément chercher à répliquer cette fois là je crois, je voulais juste éviter les coups.
Ou alors, que ça aille vite, que ça finisse vite.
Je ne sais plus.
Me souviens d'en avoir pris une, une du genre bonne nuit qui éteint la lumière.

Je refais surface, j'émerge.
J'ai mal à la tête.
J'ai un goût mélange de sang et de vomi dans la bouche.
J'ai mal à la tête.
J'ai les fesses à l'air. Plus de pantalon, plus de culotte.
J'ai du sperme entre les cuisses.
Bah oui tant qu'à faire.
J'ai mal à la tête.

Je prend une douche.
Enfin, j'essaye.
Je vomis.
J'ai mal à la tête.
Aux côtes aussi.
La pommette droite est bien bien enflée.
Je vomis à nouveau.
J'ai vraiment mal à la tête.

Direction l'hôpital.
Le mal de tête m'inquiète.

Selon l'interne, j'ai eu de la chance. J'ai eu de la chance dans ma chute.
On va dire ça oui.

Rien de cassé.
Les côtes ont tenu cette fois.
La pommette aussi.
J'ai "juste" une légère commotion cérébrale.
Juste.

Faudra que je fasse plus attention la prochaine fois.
J'y penserai.

Alors, était-ce de la chance ou le résultat de mon attaque préventive quelques jours plus tôt sur monsieur connard ?

Je voulais lui casser la main, j'ai du me contenter d'une paire de doigts.
C'était déjà pas mal.

Dans cette salle d'attente d'hôpital, je prends "la" décision.
Enough is enough.
Fuck that shit!
Je vais fuir.
Loin, très loin.
Je voulais les États-Unis, ce sera le Canada.
Ça me prendra encore presque trois ans avant de finalement pouvoir poser le pied au Canada.

Spéciale dédicace aux nombreux toubibs, internes, infirmières, collègues de travail, à mes parents, à mon frère qui, pendant les huit années de chutes dans les escaliers, de glissades dans la baignoire, de cognages sur portes et autres excuses n'ont jamais rien dit.
Jamais. Rien.

Un grand merci à Fatima, caissière intermarché de son état, la seule à avoir dit quelque chose, la seule à avoir vu l'évident, la seule à avoir fait un geste.
Merci.
Et encore un plus grand merci pour l'aide logistique que tu m'as apportée dans la préparation de ma fuite.
😘😘😘

Merci à monsieur connard.
Merci d'avoir aider à l'émergence de mon style vestimentaire.
Merci pour les cols roulés d'été.
Merci pour m'avoir fait faire des progrès en maquillage.
Merci pour avoir mis en évidence que le bleu et les dégradés de violet n'allaient pas avec mes yeux.

Alors, pourquoi avoir écrit ce thread sur ma condition de femme battue ?
Non, ce n'est pas pour témoigner.
Ce n'est pas pour vous.
C'est pour moi.
J'en ai besoin.
J'ai besoin de faire sortir ça de moi.
J'ai besoin de le vomir.
J'ai besoin de tourner la page.

Aussi, ce n'est pas toute l'histoire.
Je ne suis pas qu'une victime. Je n'ai pas encore la force et le courage de l'écrire cette partie de l'histoire.
Ça viendra, j'en ai besoin aussi.
Certaines personnes savent de quoi je parle. C'est pas évident à lâcher.

Non, je n'ai pas parlé à l'époque.
Non, je ne pouvais pas.
Non, je ne voulais pas.
Et non, je ne vais pas me justifier.

Oui, j'aurais dû.
Mais c'est trop tard.

Je tourne la page.
Monsieur connard n'a plus sa place dans ma vie.

Fuck that shit !

Merci.
Merci à tous pour la gentillesse de vos petits mots, pour la sincérité de votre compassion, pour la rage de votre colère, pour vos propositions d'aide, pour votre présence virtuelle.
Je crois n'avoir jamais autant reçu d'affection de ma vie.
Ça fait tout bizarre.
Merci. 😘