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SMagistrature @SMagistrature
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L'ambiance des campagnes électorales de 2017, teintée de promesses de « renouveau démocratique », a fait long feu. l'illusion est aujourd'hui dissipée et le tableau parfaitement clair : nous sommes face à un pouvoir à sens unique, dont la verticalité est totale et décomplexée.
Le pouvoir « assume » ainsi de choisir « ses » procureurs sur un critère d'allégeance intuitu personae.
Alors que l’exécutif poursuivait, à l'aise, son empiètement vis à vis de l'autorité judiciaire, Nicole Belloubet, garde des Sceaux et ministre de la justice, est restée silencieuse, elle n'a pas estimé devoir défendre publiquement l'institution.
Dans ce contexte de toute-puissance de l'exécutif, le pouvoir législatif n'est pas mieux traité que le pouvoir judiciaire. L'activité parlementaire n'est pas en marche, mais bien menée à marche forcée.
Evidemment, Il y a un texte qui, en 2018, nous a fait cruellement expérimenter cette verticalité absolue du pouvoir. C'est le le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la justice.
Les questionnaires envoyés aux juridictions étaient bien trop… directifs et éclairants sur les choix à venir (voulez-vous supprimer les audiences ou imposer la visio-conférence ? Choix intéressant s'il en est).
Le ministère a vécu dans une réalité parallèle. Dans cette réalité parallèle, la cinquantaine de motions venant des juridictions n'existait pas (je vous mets au défi de trouver un discours de Nicole Belloubet où elle les évoquerait).
Dans cette réalité parallèle, les avis des conférences de procureurs et présidents sont des « avis du terrain ».
Et enfin, dans cette réalité parallèle, les consultations avec les organisations syndicales ne servent pas à écouter nos critiques mais à essayer, s'acharner d'ailleurs, à nous « expliquer » un texte forcément parfait et incompris.
En 2018, les masques sont tombés Il y a un an, l'exécutif prenait encore la peine de faire semblant. Aujourd'hui,il "assume" son fonctionnement vertical, unilatéral et autoritaire, en somme il assume sa volonté aveugle de toute-puissance...
La communication ne manque pas, toujours plus mise en scène, sur les hausses de budget, exigeant de nous qu'on voie – qu'on applaudisse même - le verre à moitié plein. Mais on est bien loin de la réalité.
Celle qui rappelle que la France consacre à la justice 66 euros par habitant, contre 122 en Allemagne, que le nombre de magistrats par habitant est trois à quatre fois inférieur à ses voisins.
On nous dit, on nous répète qu'il n'est pas pertinent de localiser de nouveaux emplois, car, cela créerait des postes vacants, difficiles à supporter pour les collègues, qui sauraient alors que dans leur service, ils devraient être plus, mais ne le sont pas.
Il vaut donc mieux ne pas savoir. C'est commode car cela permet au ministère de s'autocongratuler de faire baisser la vacance de postes.
Au Syndicat, nous ne sommes pas dupes : l'objet de la réforme n'est pas d'augmenter le budget mais de toute faire pour ne jamais l'augmenter de manière significative. Pour cela, il faut trouver des expédients (et se passer de garanties d'indépendance et d'impartialité,
Ah le "coeur de métier", expression à moitié méprisante qui ne veut réserver que les parties « nobles » du contentieux, là où il y a de la technicité, de la complexité, et finalement bien peu de coeur.
Deuxième expédient : c'est de multiplier les magistrats et fonctionnaires à statut précaire. Dans le budget pour 2019, la hausse la plus importante (+22%) concerne les magistrats à titre temporaire, qui ont expérimenté cette année les affres du statut d'interimaire,
Intérimaires qui du jour au lendemain voient leur activité interrompue, faute de budget. Et tant pis si les juriditions sont devenues tellement dépendantes de ces statuts précaires pour leur fonctionnement quotidien.
Même avec un statut, même avec une nomination par décret, le projet c'est de précariser, flexibiliser le juge et la justice. C'est ce qui se joue dans la suppression des tribunaux d'instance, dans la fusion.
Et c'est ce qui fait que le maintien de la nomination par décret n'est pas une victoire mais le premier pas d'un délitement.
On fusionne, on mutualise et les personnels pourront combler ici ou ailleurs les contentieux jugés prioritaires. Il ne faut pas être devins pour savoir que ce ne sont pas ceux des actuels tribunaux d'instance qui seront jugés prioritaires.
Mais cette précarisation ne suffit pas au gouvernement et il a fallu brader les contentieux : d'abord brader les garanties en matière pénale pour faire de la gestion de flux (mais sans jamais s'engager dans une démarche de dépénalisation pourtant indispensable).
Et puis toucher au civil. Tout dans la réforme de la procédure civile, vise à dissuader les justiciables de saisir un juge, car il y a désormais trop d'obstacles.
Du haut de Vendôme, l'avenir du palais de justice est dans le smartphone. Oui, la dématérialisation a des avantages, mais quelle justice produit-on ?
Parfois, il n'y aura carrément plus de juges, ou simplement quelques uns pour encadrer un pool de fonctionnaires de greffe pour « gérer » (c'est bien de ça dont il est question) le contentieux des injonctions de payer, dans une plateforme nationale dématérialisée des IP.
On voit naître une magistrature à deux vitesse, où certains contentieux doivent rejoindre des pôles de compétence, ou les magistrats doivent se spécialiser puis s'inscrire dans une filière.
C'est le sens de notre présence ici, dans ce TGI, typique des nouveaux palais, lumineux, éclairé, spacieux, mais tellement bunkerisé, où on met sous cloche les personnels, et où on mettait encore récemment sous cage les prévenus.
Il a fallu une mobilisation forte et conjointe avec le Syndicat des avocats de France, avec les avocats pénalistes pour que ce traitement inhumain recule, mais le combat contre ces cages de fer et de verre n'est pas encore gagné.
Certains pensaient peut-être au moins pouvoir attendre quelques positions progressistes d’un pouvoir qui se targuait d'être moderne, qui prétendait se définir en dehors des vieux clivages. Il n’en est rien.
La force et la détermination collective des femmes contre les violences sexistes et sexuelles n'a pu être ignorée, grâce à la déferlante Metoo. Et bien sûr, le gouvernement a cru pouvoir en tirer profit, prétendre avoir même anticipé la défense des droits des femmes.
Il faut pouvoir dire qu'on agit, peu importe si tout est fait en dépit du bon sens, créant l'illusion d'une protection qui ne viendra pas : celle de l'allongement à 30 ans de la prescription, celle de la contravention inapplicable d'outrage sexiste.
Mais pendant ce temps là, on ne parle pas des vrais leviers pour prévenir et condamner les violences sexuelles : l'amélioration de la détection, de la prévention, du recueil de la parole des victimes et des preuves.
Il faut une sacrée dose de mépris pour finir, dans le projet de loi de programmation de la justice, par introduire les tribunaux criminels, finalement cela s'appelera « cour criminelle ».
Mais de fait, les parties civiles et les accusés de faits de viol seront jugés en quelques heures par des magistrats professionnels, un alliage de permanents et de temporaires, sans jury populaire, sans le temps nécessaire à juger ces affaires si dures, où se joue des vies.
Il n'y a donc pas eu d'innnovation en matière de violences sexistes et sexuelles, et pas davantage en matière de drogues.
Pas de dépénalisation en vue, même pour le seul usage de stupéfiants qui qui reste - et c'est une exception en Europe - puni d’une peine d’emprisonnement.
Non, une solution miracle : l'usage pourra donner lieu à la distribution indistincte d’amendes, la même pour tous, par des policiers et gendarmes qui n’auront même plus à en référer à l’autorité judiciaire.
En réalité, ces amendes forfaitaires ne seront pas pour tous : ce seront les personnes racisées, les habitants des quartiers populaires où les contrôles d'identité sont d'une triste banalité, qui seront les premiers, les seuls vraisemblablement à les subir.
La mesure n'était pourtant même pas demandé par la mission parlementaire sur le sujet et surtout, vertement critiquée par le collectif d'une quinzaine d'organisations avec lequel nous venons de publier un livre blanc.
Et puis évidemment, il y a cette passion pour l'enfermement, qui ne semble jamais vouloir s'éteindre.
Dans la lumière, la comm' est presque anticarcérale, révolutionnaire
Mais ces discours sont immédiatement contre-balancés par la une confusion, savamment entretenue, entre peine aménagée et peine non exécutée, justifiant encore et toujours de planifier la construction de 15 000 places de prisons
Cette action pro-carcérale s’illustre aussi quand il s'agit d'ouvrir vingt centre éducatifs fermés, ces prisons pour enfants qui extraient toujours plus le droit pénal des enfants et adolescents de sa philosophie première.
Le gouvernement négocie et finance la sur-sécurisation des établissements pénitentiaires, lorsqu'elle coupe les financements à une association, le GENEPI, qui veut décloisonner les institutions carcérales et présente au parlement des mesures qui rempliront les prisons
Régression des protections sociales et des services publics, retour en arrière sur les sujets tels les drogues et la prison, tel est le « nouveau monde » qui nous est proposé.
Dans ce monde merveilleusement concurrentiel et moderne, une famille précaire loue sa poussette à son voisin pour arrondir ses fins de mois plutôt que de revendiquer une hausse des salaires ou des prestations sociales
L'idéal d'égalité n'a pas sa place dans ce monde là, pas davantage que celui de fraternité pourtant élevé cette année au rang de principe à valeur constitutionnelle, et choisi par les auditeurs de justice comme nom de promotion
Quand des naufragés se présentent aux portes de l'Europe, sauvés d'une mort certaine, par des militants de la fraternité, ce gouvernement se maintient dans une posture coupable, celle du rejet, la même qu'il applique quotidiennement sur le territoire aux mineurs isolés étrangers.
Avec le projet de loi de programmation de la justice, la procédure pénale continue ce glissement perpétuel qui normalise l'exception. Tout comme l'état d'urgence est entrée dans le droit commun, ce sont aujourd'hui les procédures pénales d'exception qui se banalisent.
Après tout, pourquoi se passer d'écoutes téléphoniques pour de simples dégradations en réunion ?
La procédure pénale régresse, mais pas pour tous. Certains intérêts demeurent privilégiés : le verrou de Bercy en matière de fraude fiscale a un peu cédé mais il n'est finalement qu'entrouvert
et dissimule une autre mesure, très business friendly, l'extension de la convention judiciaire d'interêt public.
Dans le même temps, le secret des affaires est assuré contre ces briseurs de compétitivité que sont les lanceurs d'alertes.
Ces attaques contre le service public, ces graves restrictions du débat démocratique, ces atteintes aux garanties de la procédure pénale ne se sont pas faites sans que nos organisations fassent entendre leur voix et manifestent.
Le Syndicat de la magistrature ne se limite pas aux prétoires bunkérisés, il ne se limite pas aux ministères où rien se joue vraiment car tout remonte à l'Elysée, il ne se limite pas aux salles d'audition des assemblées, qui ne servent trop souvent qu'à déplacer la virgule,
En matière de justice nous avons été à l'initiative d'une entente large avec les organisations de fonctionnaires, de magistrats et d'avocats,
nous avons organisé des manifestations qui ont montré la solidarité entre nos profession et le front uni contre le démantèlement de l'institution judiciaire
Notre conviction est claire : notre force est dans ces collectifs qui nous unissent à des organisations amis, qui enrichissent nos analyses et nos rangs, et qui discréditent ce gouvernement quand il prétend que les oppositions à ses projets sont purement corporatistes.
Si la justice est fragile, c'est parce que les pouvoirs successifs l'entretiennent dans cette situation de faiblesse. En la privant des moyens nécessaires, en ne lui donnant pas son indépendance, le pouvoir nourrit les critiques - légitimes - sur son fonctionnement.
Mais surtout, il ouvre la voie à des instrumentalisations politiques quand des responsables politiques, de tous bords, prétendent à une impunité pénale en criant au complot.
Dans la justice, la tentation du repli gagne du terrain. Dans les rentrées solennelles, antiques et surannée, on entend un discours craintif et étriqué : la déontologie est dévoyée pour exiger du juge qu'il soit irréprochable,
comprendre silencieux, sans opinion, sans expression, sans appartenance syndicale, ne nous mentons pas.
Ces attaques contre la justice ont, heureusement, aussi réveillé les envies d'en découdre. La mobilisation collective de l'année en est le témoin : depuis plusieurs années nous n'avons pas connu une telle unanimité
Malgré les tentatives de déstabilisation et les reconfigurations en cours de route, le front a tenu, toute l'année et est encore actif et vivace.
Face à un Etat de droit en chantier, donnons-nous les moyens, plus que jamais, de construire une justice protectrice, accessible et égale pour toutes et tous et de défendre les équilibres démocratiques.
Ils sont décomplexés , ils sont en ligne, nous sommes mobilisés ! Et pour longtemps.

FIN
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