2/ Le vote a parlé. Je continue avec Priscille Touraille. Cette fois avec un article ou plutôt une série d'articles assez voisins dont l'un s'appelle "Déplacer les frontières conceptuelles du genre", j'en restitue ce qui m'intéresse.
Le terme "genre" a permis dans un premier temps de distinguer "sexe biologique" et "sexe social", définissant un domaine "social" accessible à l'action humaine et à la politique. Le terme a permis d'arracher les rapports de genre à la nature ou la métaphysique.
Levier critique très important donc pour la deuxième vague : si les femmes sont inférieures, c'est d'abord un effet des rapports sociaux.
Mais. Définir le genre comme "sexe social", cela renforce l'idée qu'il y a quelque chose de plus fondamental "le sexe biologique" sur lequel se construirait le genre. Cela met donc les études de genre dans la main des "biologistes". Et en particulier des usages sexistes de la bio
Le concept de genre a donc été redéfinit pour désigner un système social qui produit le sexe comme pertinent. Qui le "construit" (on va sélectionner ce qui nous arrange dans les phénomènes biologiques pour faire "le sexe"). MERCI DE LIRE JUSQU'À LA FIN AVANT DE GUEULER
Bon. Là je sens que ça va en hérisser plus d'un. Je compte faire un thread là-dessus, l'idée n'a rien d'obscurantiste ou irrationnelle. Mais n'hésitez pas à poser des questions.
Le problème c'est que "construire" c'est pas clair. Est-ce qu'on veut dire que c'est :
- le concept de "sexe" qui est construit ?
- le sexe en tant que réalité ?
- le concept de "sexe" qui est construit ?
- le sexe en tant que réalité ?
Je ne développe pas mais on voit bien le problème : comment des représentations peuvent-elles produire la "réalité" et donc le sexe biologique ? (Plot twist : parce qu'on pose mal la question)(j'y reviendrai, je vois qu'il faut faire un thread)
Priscille Touraille propose donc de mettre tout ça au clair : le sexe c'est un concept biologique qui désigne d'abord un mode de reproduction.
- gamètes différents (anisogamie), portés par des individus différents (gonochorisme), ce qui va éventuellement provoquer des spécialisations différentes selon le sexe car chaque sexe a ses intérêts propres (et est en relation avec l'autre), donc dimorphisme sexuel.
Il y a donc des traits sexués, c'est à dire qui s'expriment différemment selon le sexe : par exemple la taille.
Mince. Cela veut dire que le sexe biologique existe ? Pour Priscille Touraille clairement.
Mais le sexe c'est d'abord... Un mode de reproduction. Et donc le sexe c'est d'abord une fonction. Si l'on ne peut pas (encore) esquiver l'obligation de la gestation interne, il n'y a rien de fondamental au sexe à ce que les femmes s'occupent des enfants (je rep aux qu. si jamais
Or (et donc)... Comme on l'a vu pour la taille, ces traits sont socialement manipulables... Si elles sont génétiques, certaines différences peuvent être sélectionnées ! Ce qui expliquerait qu'il y a des variations dans le dimorphisme sexuel.
Par exemple les populations d'Asie du Sud-est ne sont pas dimorphes du point de vue de la pilosité. La répartition des graisses chez les femmes diffère selon les populations... Etc. Et d'autant plus que ça n'a rien d'essentiel à la fonction reproduction.
Cela veut dire qu'en un sens très fort le "genre" en tant que système social produit bien ce qu'on appelle "les sexes" en manipulant tout ce qui est manipulable pour produire des individus maximalement différents. Ces manipulations peuvent être de surface (longueur des cheveux),
Ou plus profondes (modelage de corps très distincts). Ou vraiment très profonde en modifiant le génome. Au passage, on reconnaît là la pente de certaines études qui traquent les différences en les maximalisant et en minimisant les ressemblances (on retrouve les représentations)
Concluons : le sexe c'est un mode de reproduction et le genre s'en sert pour différencier deux classes d'individus (car la fonction le permet). La ruse du genre en tant que système social c'est de maximaliser les potentialités de différenciation en manipulant tout ce qu'il peut.
Mais fondamentalement faire ça, c'est réduire l'individu à une place dans la reproduction. Être mâle ou femelle ce n'est pourtant pas être homme ou femme. Si on prend au sérieux le sexe "biologique" alors il faut bien se rendre à l'évidence que cela concerne peu de chose...
... ou que la majorité de ce qu'on appelle "différence des sexes" est contingente. Mais le genre fait croire que tout est "sexe" (= inévitable), c'est pourquoi il est "totalitaire" : à la limite, il ne s'arrêtera que lorsqu'il y aura deux "sous-espèces" (terme abusif) différentes
Mais même si c'était le cas, et bien ces différences ne seraient pas pour autant "naturelles". Notre obsession pour le sexe produit du sexe... Et ça n'a rien de naturel ! Le sexe c'est aussi la naturalisation d'un rapport social antérieur.
On peut donc tout à fait conserver l'intérêt du concept "sexe" de la biologie. Mais si on veut le garder pour ce qui est inaccessible à l'action humaine, alors on doit abandonner sa prétention totalitaire.
C'est une sorte de compromis : ouais ok le sexe ça explique des trucs, messieurs les biologistes. Mais attention, ça explique des trucs si on le met en relation avec des processus sociaux. Sinon c'est juste une fonction qu'on passe notre temps à ne surtout pas faire fonctionner.
Et donc si vous voulez vous en servir pour expliquer des trucs sociaux. Va falloir mettre les mains dans les SHS.
ET BIM DANS TA FACE !
ET BIM DANS TA FACE !
C'est ce qu'on appelle faire du judo : on est parti de l'idée problématique que les études de genre se mettaient dans la main de la bio. Maintenant on montre qu'elles sont incontournables pour faire de la bio sur le sexe.
O soto guruma
O soto guruma
