Thread by @EnDirectDuLabo

Les aléas du métier je viens d'être appelé pour une réunion d'urgence ! Je vous laisse, ça a l'air grave ! Il se passe un truc avec des trous noirs !

Les trous noirs vont bien ! Rien de grave !
Je file à une seconde réu (enseignement cette fois-ci), et je reviens vers vous :)

Ah tiens, je me rappelle qu'il faut que je fasse un thread sur l'enseignement ! J'ai complètement oublié et c'est important ! Après ma réu :)

Je suis de retour ! Après une réu enseignement, un débuggage compilation (complet échec, mais je vais essayer de débugger le problème en continuant à discuter avec vous) et un petit thé !

Prêt.e.s pour un thread enseignement ? Allez c'est parti !

Ma première expérience de l'enseignement c'était en thèse. J'ai eu la chance de faire un monitorat et dès la première session j'ai su que c'était vraiment quelque chose qui me plaisait !

Pourtant c'était pas gagné. Très naïvement je m'imaginais enseigner les grands algos de l'Histoire (haha) en amphi à des centaines d'étudiants passionnés ...
... Bon en fait je me suis retrouvé à enseigner la bureautique dans un IUT de gestion.

Mais vous l'avez peut être remarqué j'aime bien parler (surtout des sujets comme l'info et la physique ^^). Et j'aimais beaucoup le contact des étudiants.

J'ai toujours essayé d'avoir une approche bienveillante : essayer de m'adapter à mes étudiant.e.s et de faire en sorte que chacun.e puisse ressortir des séances de TD/TP en ayant compris un tout petit peu plus qu'en entrant.

Passé ma première année, j'ai commencé à faire des TDs/TPs à l'IUT d'Orsay, sur des sujets plus proches de ce que j'aimais : programmation et analyse (UML pour les intimes).

En 3e année j'y ai ajouté des cours de base de données (SQL et PL/SQL), et durant mon ATER j'ai changé d'air et enseigné le JAVA à la fac d'Orsay et la programmation linéaire à Polytech Paris-Sud.

Tout ça c'est pour dire que j'ai toujours aimé enseigner. Alors quand je suis arrivé en Angleterre et qu'on m'a proposé d'enseigner, alors que j'avais pas pu depuis 3 ans, autant vous dire que j'ai sauté sur l'occasion.

Monumentale erreur (c). Mon raisonnement de base c'était : On est dans un système néolibéral. L'université coûte extrêmement cher, donc les étudiants qui doivent s'endetter vont être ultra motivés. Right ?

Hahahahahaha non.

Pour resituer un peu quand je dis extrêmement cher. Une année d'étude à Surrey coûte 9000£ (~10000 euros) à un étudiant du Royaume-Uni ou d'Europe, et grosso modo le double pour ceux en dehors. On ne parle pas de petites sommes ici ...

Le problème c'est que Surrey est une région très riche aussi. Ce qui veut dire qu'on a deux types de profils. Le profil "dont la famille peut payer les études", et le profil "qui s'endette sur 20 ans".

Et ça, ça mène à des dérives clientéliste d'un niveau incomparable avec tout ce qui se passe en France ... et me fait légèrement rire jaune quand je vois par exemple les discussions sur l'augmentation des frais (vous avez ici une excellente raison de ne PAS le faire)

Grosso modo, ce qui se passe c'est qu'une partie des classements est basée sur la satisfaction des étudiants. Donc il faut SATISFAIRE les étudiants. Quelqu'en soit le prix.

Et ça veut dire notamment un nivellement par le bas des cours où l'on va faire des cours "plus simples", des examens "plus simples" et tacler les profs qui essaient d'évaluer correctement.

Je vais vous donner 3 exemples rapides de dérives. La première, il y a quelques années, ma collègue en charge du cours de relativité générale à du prendre un congé de quelques mois et j'ai couvert pour elle la notation des projets de simulation en relativité.

Le projet type, c'est de simuler l'orbite de deux trous noirs supermassifs qui vont spiraler et fusionner. Les étudiant.e.s ont 11 semaines de TP, à la fin des 11 semaines on rend un rapport qui décrit tout : le programme, les méthodes numériques ET les résultats.

En gros, pendant 8 semaines, pas à pas on écrit le code. Puis les 2 dernières semaines on simule sur différents systèmes. Le rapport demande de simuler le dernier exemple du TP, mais avec des conditions initiales différentes.

Le rythme est vraiment lent, et les 4 premières semaines les étudiant.e.s doivent coder un truc qu'iels ont déjà fait 30 fois les 3 dernières années [addendum : on parle d'étudiants en master].

Donc le rythme est vraiment fait pour qu'en 8 semaines le code soit prêt à simuler, puis 3 semaines pour simuler les objets du projet, écrire, etc.

Donc cette fameuse année, on a une vingtaine d'étudiant.e.s au cours.

Séance 8, il n'en restait que 4 qui venaient en TP. Bien. On arrive à la notation, les 2/3 n'avaient pas un code qui fonctionnait correctement. Sachant qu'on avait dit "Si le code ne compile pas, c'est 0 sur toute la notation du code".

La notation du code c'est 70% du total. On a fait ça de manière à ce que ce soit facile d'avoir des bonnes notes puisque les étudiant.e.s sont supposé.e.s avoir fini le code semaine 8 ... J'ai tant bien que mal essayé de distribuer quelques points par ci par là.

Ben ça n'a pas manqué, j'ai eu un rappel à l'ordre du département qui m'a dit que c'était pas normal de mal noter les étudiant.e.s comme ça.

Deuxième exemple : Une de mes collègues enseigne le cours de Cosmologie. Elle leur demande dans ce cours d'écrire un rapport et une des questions c'est d'aller un peu plus loin que le cours et proposer une réflexion sur un élément du cours.

La réflexion ne doit pas être quelque chose du cours. Un étudiant a simplement paraphrasé un élément du cours. Il a eu 75% (nos notes sont des pourcentages), ce qui est plutôt pas mal du tout en vrai.

Plainte de l'étudiant car "Étant donné la place allouée pour le devoir il n'était physiquement pas possible de faire mieux". Évidemment, encore une fois, c'est un rapport négatif qui va venir sur l'évaluation des profs.

Et ces rapports ont un réel impact, par exemple lors de demandes de promotion à des échelons supérieurs.

Dernier exemple et j'arrête là. On anime un projet avec un telescope que l'on a installé à l'Université. Le projet est en deux partie, il y a une partie observation et une partie analyse des images.

Vous imaginez bien qu'étant en Angleterre, on a prévu des images au cas où le temps ne soit pas bon pour que les étudiant.e.s puissent faire leurs projets tout de même.

L'an dernier, le télescope a été en panne une partie du semestre concerné. Lorsque nous l'avons réparé, le temps a été systématiquement mauvais (sachant qu'il faut se synchroniser avec les étudiants pour y aller, et que souvent ces derniers ne répondent pas aux messages).

Fin du semestre, la responsable du module à eu sa pire évaluation de l'année, et une partie des étudiant.e.s ont écrit une lettre de plainte officielle à l'Université pour dire qu'ils n'avaient pas pu observer.

C'est un peu frustrant qu'il n'y ait aucune compréhension de leur part sur les problèmes de matériel, et les problèmes d'intempéries ...

Bon j'arrête avec les exemples. J'imagine que vous comprenez un peu plus pourquoi il est très frustrant d'enseigner devant des étudiants qui ... ben ... s'en foutent un peu.

Et je sais que c'est peut être la faute "d'un cours/prof pas assez intéressant", mais il n'y a clairement pas que ça.

Malgré ça, parce que je me plains beaucoup depuis tout à l'heure, je tiens quand même aussi à souligner qu'on a aussi des étudiant.e.s exceptionnel.le.s dont on est très fiers !

Là, on croise les doigts pour pouvoir accueillir deux étudiant.e.s en thèse avec nous. Je les ai vus arriver en première année, et les deux sont absolument brillant.e.s et fantastiques ! Rien que ça, ça me met du baume au cœur :)

Pour conclure je vais juste donner une piste de raisonnement sur le "pourquoi du comment ça se passe si mal". Je pense que de manière générale, un peu partout au RU, le problème est le même. En revanche, je pense que University of Surrey est PIRE qu'ailleurs pour une bonne raison

Nous sommes suffisamment proches de Londres pour être démarchés (et quand je dis on, je m'inclus dedans) par les banques et les organismes de spéculation de la City.

Après en avoir parlé avec certain.e.s étudiant.e.s en première année. Il s'avère qu'une partie non-négligeable étudient la physique et les maths pour rejoindre le monde de la finance qui recrute énormément dans ces milieux.

Et ce sont des étudiant.e.s en première années qui me disent ça. Ça veut dire qu'iels sont parfaitement au courant et ne viennent pas par intérêt pour la discipline qu'iels étudient, mais simplement pour pouvoir rejoindre la finance à la sortie de l'Université.

Et malheureusement, à partir du moment où l'on à fait ce constat ... le reste suit. C'est normal de se retrouver face à des étudiant.e.s qui ne sont pas intéressé.e.s par le cours. Triste, mais c'est l'état actuel des choses.

Et ce n'est ni l'absence de position, ni les salaires de misère de l'ESR qui vont leur faire changer d'avis s'il n'y a pas la passion pour la matière à la base.

Je tiens à préciser tout de même que tout ce qui précède est une appréciation personnelle de la situation. Je ne dis pas détenir la vérité et peut-être qu'au final mes cours ne sont juste pas assez intéressants 😅