Thread by @LarrereMathilde

Toute cette vidéo me fait dresser les cheveux sur la tête mais je voudrais revenir un peu sur le premier argument qui me reste en travers de la gorge « c’est le retour aux bâtards du 19e siècle »
(fil à dérouler)

https://twitter.com/LaManifPourTous/status/1154429796895645697

1)Qu’est-ce que c’est que ces « bâtards du 19e siècle » ??? hein???

2)D’abord, une réalité démographique.
N’en déplaise aux réactionnaires, la famille papamamanbébé n’a jamais été le seul modèle, loin s’en faut. Il y a eu de tout temps des femmes qui élevaient seules leurs enfants, et de nombreux enfants nés hors mariage

3)Des enfants que l’on disait illégitimes (la légitimité étant celle du mariage) ou « naturels ». Le mot « bâtard », attesté dans les dictionnaires fin 18e, utilisé auparavant, n’était pas porteur de la charge négative qui sera ensuite la sienne

4)C’est à partir des XI et XIIe sc que l’Eglise, voulant défendre l’institution du mariage, commence à traiter différemment les enfants légitimes/illégitimes (de même qu’elle condamne le concubinage, les formes de polygamie)

5)A partir de là, les droits (variables sur le territoire) marquent des inégalités entre enfants naturels et enfants légitimes, notamment en matière de succession, ou d’impossibilité à exercer certaines charges/métiers

6)Reste que les « filles mères », parfois violées, parfois abandonnées par le père, avaient les moyens devant les tribunaux d’imposer aux pères qu'ils leur donne une aide financière pour élever leurs enfants, qu'ils leur apprennent un métier

7)La Révolution française se révèle tout à fait positive pour les enfants illégitimes et leurs mères : elle se refuse (la loi importante est prise en 1793) à faire une différence entre les deux, notamment pour les questions d’héritage

8)Mais tout change…. Avec Bonaparte, lequel dit à la veille de la rédaction du code civil : « la société n’a pas intérêt à ce que des bâtards soient reconnus »

9)Le code civil est en effet un retour à l’ordre social, patriarcal. Ce qui se marque entre autres par des dispositifs qui discriminent les enfants naturels et leurs mères

10)L’article 756 du Code de 1804 énonçait que « les enfants naturels ne sont point héritiers sauf s’ils sont légalement reconnus ». Alors quels enfants pouvaient être reconnu ?

11)Les enfants nés d’un couple non marié pouvaient être reconnus par les deux parents (mais il fallait que les parents se marient pour que les lois successorales les plus profitables s’appliquent à leurs enfants)

12)Une mère violée, ou abandonnée ne pouvait plus en revanche forcer un père à la reconnaissance (et donc à l’entretien financier), la recherche en paternité (pour aide financière) étant interdite par le code civil

13)Si un père reconnaissait de son propre chef un enfant naturel (adultérin par ex), alors l’enfant devenait éligible à sa succession, mais à un niveau moindre qu’un enfant légitime (entre ¼ et 1/3 de moins)

14)Alors pourquoi ces dispositions me direz vous ? Bonaparte, Portalis, étaient profondément attaché à des conceptions traditionnelles, réactionnaires de la famille

15)Elle était pour eux comme une « citadelle à défendre » (Portalis), à la fois pour des questions de morale et plus encore de patrimoine. Il s’agissait donc d’ « encourager les mariages (rapport sur le code), de forcer les concubins à se marier.

16)Si le père avait des enfants naturels, adultérins, tout était fait pour que le patrimoine familial ne leur revienne pas, ou peu. Qu’importe pour les législateurs les conséquences dramatiques pour les mères seules

17)Et l’adultère des mères, dramatique pour ces législateurs car l’enfant risquaient alors d’être considéré comme légitime (et prendre une part de l'héritage alors qu’il n’était pas du père), était fortement condamné (alors que celui du mari, non)

18)En d’autres termes c’était une législation qui ne prenait en compte ni le bien de l’enfant, ni celui de la mère, ni l’amour de 2 personnes, mais uniquement l’intérêt du pater familias et du patrimoine familial.

19)Il n’en reste pas moins qu’il y eu de nombreux enfants illégitimes au 19e, soit issus de couples concubins (plus nombreux qu’avant, déprise religieuse oblige + coût du mariage pour les classes populaires)

20)Soit toujours issus de viols, ou de relations suivi d’abandons, ou d’adultères.

Mais désormais, pour ces enfants et leurs mère, la vie était de plus en plus difficile

21)Matériellement déjà, puisque les mères ne pouvaient obtenir légalement aucune aide, et ensuite car le contrôle social était particulièrement violent. Le terme « bâtard » se répand alors et se charge négativement.

22)Par ex, si l’Eglise veillait à baptiser tous les enfants, illégitimes ou non, seuls les légitimes avaient le droit à la sonnerie des cloches pour le baptême

23)En Lorraine, les enfants illégitime étaient même surnommés « sansonnets » : (sans sonné). Pour les nouveau-nés de naissance illégitime, le rite d’intégration à la paroisse perdait ainsi toute publicité et se transforme en une sorte de rite de marginalisation et d’occultation.

24)La conséquence est qu’un grand nombre de filles-mères se retrouvaient contrainte à l’abandon d’enfant faute de ressources suffisantes et pour éviter l’opprobre – pire, parfois, à l’infanticide

25)En d’autre terme… le siècle des bâtards qu’évoque la MPT n’est pas une réalité démographique mais légale, sociale qui a discriminé les enfants illégitimes.

Or la manif pour tous est bien l’héritière de ceux-là même qui ont discriminé ces enfants

26)Ils considèrent, comme Bonaparte que la famille, le mariage, l’hétéronormativité sont des citadelles à défendre
Ce n’est pas l’intérêt des enfants ou des mères qu’ils ont à cœur de défendre, mais un système de valeur qui n’est que le leur et qu’ils veulent imposer à tou-tes