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Après avoir finalisé un article, me revoici sur Twitter 😊. Aujourd'hui on va parler microbiote, ce mot à la mode. 🔽
On peut retrouver une trace de ce mot pour la première fois dans une publication scientifique en 1956: Stream enrichment and microbiota de JB Lackey, publié dans Public Health Reports.
Bien qu'on en entende parler à longueur de journée (au point que le concept fait son entrée triomphante au programme de SVT de seconde et aux leçons de l'agrégation), ce concept n'a rien de nouveau.
Alors que désigne-t-il? Il désigne simplement la communauté de micro-organismes qui vivent en communauté avec un hôte, dans une relation symbiotique.
Le concept de symbiose désigne 2 êtres vivants qui vivent ensemble au sens large, que ce soit dans une relation mutualiste (par exemple les coraux et les Zooxanthelles), parasitique (un ténia dans un intestin) ou commençale (nos bactéries de l'intestin?).
Revenons au début de la microbiologie avec Louis Pasteur. Pasteur décrit la présence de micro-organismes (pathogènes, mais pas que). Il décrit notamment la présence de ces micro-organismes dans des organismes plus complexes: des plantes ou des animaux.
Ainsi, en 1885, une discussion a lieu avec Duclaux à l'Académie des Sciences. Duclaux a entrepris des cultures de végétaux dans des milieux dépourvus de micro-organismes (stériles) et a vu des différences dans la physiologie des végétaux.
Pasteur répond à cette discussion en imaginant l'existence d'organismes complexes, nourris avec dès la naissance avec des matières nutritives "pures", i.e. dépourvues de micro-organismes.
Pour Pasteur, un tel organisme serait non viable, vu la quantité de micro-organismes qu'il abrite. Il imagine déjà que ceux-ci sont cruciaux pour la physiologie de l'hôte. Sans le dire, Pasteur pose les bases de la GNOTOBIOLOGIE.
Ce mot, qui vient des mots grecs γνωστός (connaître expérimentalement) et βίος (la vie) désigne une condition expérimentale où seulement certaines bactéries seraient présentes ou, de façon plus drastique, aucune ne serait présente (on parle alors d'animaux AXÉNIQUES).
Comment obtenir de tels animaux? 10 ans après Pasteur, la première tentative avec des cochons d'Inde échoue. Il faudra attendre 1935 pour obtenir la première cohorte de cochons d'Inde axéniques. Et en 1946 on arrive à obtenir une génération successive de rats axéniques.
Pour obtenir de tels animaux, on tire profit de la stérilité du placenta chez les Mammifères (lire à ce sujet une discussion récente sur mon profil Twitter). Ainsi, dans l'utérus, les embryons sont dans un milieu stérile.
Si ces animaux naissent dans un milieu stérile, on peut imaginer qu'ils seront stériles. Oui, mais vient le problème de la 1ère génération. Les nouveaux-nés sont stériles, mais pas leur mère. Comment vont-ils grandir?
Qu'à cela ne tienne, les chercheurs sont très obstinés. Ainsi, pour les premiers rats, les chercheurs se relayaient nuit et jour pour donner le biberon aux rats (biberon qui avait été stérilisé au préalable bien sûr).
Par la suite, ces rats peuvent grandir et se reproduire en milieu axénique. Et le tour est joué! Oui, pour des rats, mais à ce jour il est impossible de faire reproduire certaines espèces en milieu axénique (cochons par exemple). Dans mes recherches, nous utilisons des souris.
Comment assurer que ces souris grandiront dans un milieu stérile? Pour cela, les scientifiques ont mis en place des isolateurs, sortes de bulles stériles en surpression, où les animaux ne sont pas en contact avec l'extérieur. Les premiers isolateurs ressemblaient à ça:
On travaille donc avec des gants épais depuis l'extérieur de l'isolateur. Ça demande un petit coup de main, mais on y arrive. Aujourd'hui les isolateurs modernes ressemblent plutôt à ça:
Le grand cylindre sur le côté est autoclavé et sert à rentrer et sortir du matériel de l'isolateur. Ainsi, avec toutes ces techniques, on peut travailler sur la physiologie des animaux dans des conditions de microbiote contrôlé ou absent.
Vous allez peut-être trouver que c'est étonnant qu'on ait eu des isolateurs depuis 1946, qu'on parle de microbiote de 1956 et que ce ne soit que depuis une dizaine d'années que le sujet est à la mode.
Si on regarde la base de données Web Of Science, on dénombre 1150 articles sur le microbiote entre 1956 et 2000, 5443 entre 2001 et 2010 et 47573 articles depuis 2011.
On connaissait ces fameuses souris, mais à l'époque il n'y avait que les microbiologistes qui y faisaient attention. On laissait les microbiologistes s'amuser avec ces bactéries qui poussaient dans des conditions bizarres (pas de lumière, très peu de O2, puis au contact du caca)
Et je dirais que c'est l'équipe de Jeff Gordon à St Louis qui a révolutionné le domaine. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant que son nom soit cité comme l'un des candidats au Prix Nobel de physiologie et médecine.
En 2004, un post-doc de son labo, Fredrik Bäckhed (chez qui j'ai eu l'immense bonheur de faire mon post-doc) publie un papier dans PNAS: The gut microbiota as an environmental factor that regulates fat storage. Ce papier est cité plus de 2500 fois aujourd'hui.
Pourtant à l'époque le papier est notamment rejeté par Science et Nature. La révolution du papier c'est qu'on va commencer à s'intéresser à la physiologie de ces souris axéniques dans des contextes pathologiques.
Ainsi, les souris axéniques sont résistantes à l'obésité induite par un régime hyperlipidique. Et encore plus fort, si on colonise ces souris avec le microbiote de souris de même âge, les anciennes souris axéniques se mettent à grossir.
On peut voir dans cette image tirée de l'article d'origine l'aspect du tissu adipeux de souris axéniques (GF), ex-axéniques et colonisées (CONV-D) ou contrôles (CONV-R).
Par la suite, le domaine explose. Les apports de la microbiologie, que l'on a longtemps malheureusement oubliés, nous renseignent notamment sur les fonctions des bactéries intestinales et les molécules qu'elles produisent.
*Vous noterez que je fais souvent l'amalgame microbiote = bactéries, or ce n'est pas strictement vrai. Notre organisme abrite également des champignons et des virus commençaux, dont on commence à peine à découvrir les fonctions*
Un apport majeur vient contribuer à l'explosion du domaine vers la fin des années 2000: la métagénomique. Vous vous souvenez du projet du génome humain? Il a fallu 23 ans, de 1990 à 2003 pour séquencer et annoter le génome humain, un génome de 23000 gènes.
Or le génome du microbiote, le microbiome, c'est plus de 2 millions de gènes. Oui, sauf que vers la fin des années 2000 la génomique a énormément avancé et qu'on fait maintenant de la MÉTAGÉNOMIQUE.
En prélevant un échantillon (de sol, de mer ou de contenu intestinal), on est capable d'amplifier les séquences contenues et de les séquencer, ce qui permet de connaître les espèces présentes.
Or toutes les bactéries contiennent un gène codant pour un ARN ribosomique, l'ARN 16S. Cet ADN est extrêmement bien conservé dans l'évolution, mais présente 9 régions hypervariables que l'on peut associer à une espèce donnée.
Généralement on amplifie les régions hypervariables V3-V4 avec des amorces de PCR portant des codes-barres uniques. Ensuite on séquence tout ça notamment grâce à la technique Illumina.
Aujourd'hui on peut même séquencer des génomes entiers de bactéries, et tout ça dans un temps très réduit. Bref, avec tout ça on peut avoir accès à la composition du microbiote (intestinal, mais aussi cutané ou vaginal).
Surtout, on peut associer des séquences à des bactéries que l'on n'arrive pas à cultiver en laboratoire. Et là c'est bingo, le temps royal des bio-informaticiens (pour les étudiants en biologie, ne faites pas l'impasse dessus, les labos en ont de plus en plus besoin!).
Sauf qu'avec un grand pouvoir viennent de grandes responsabilités. Et surtout corrélation ne veut pas dire causalité. Ainsi, pendant longtemps on s'est contenté de la métagénomique 16S, on associait à un phénotype et bingo.
Les individus obèses ont un microbiote différent ("dysbiotique), les modèles de souris autistes ont un microbiote différent, les asthmatiques ont un microbiote différent... Et si en plus la presse s'emballe: C'EST LA FAUTE DE VOTRE MICROBIOTE!
Oui, sauf que notre microbiote n'est pas une communauté stable, elle est dynamique. Un petit ver de trop hier? Le microbiote a morflé. Un petit restau mexicain? Le microbiote a changé. Je deviens végétarien? Le microbiote change radicalement.
Donc un conseil (très personnel) pour comprendre un article qui porte le titre MICROBIOTE: si c'est juste une figure avec du 16S pour dire "bah on ne savait pas trop comment expliquer le phénotype et du coup on a séquencé le microbiote et on a vu des changements"...
Passez votre chemin. Si c'est un article qui récapitule une histoire, qui trouve une fonction à une bactérie, qui décortique toute une physiologie derrière, alors on avance dans le domaine.
C'est un peu le bon et le mauvais chasseur. Le mauvais article microbiote, il fait du 16S, ça c'est sûr. Il prend les crottes et il fait du 16S. Le bon article, il fait du 16S... Mais c'est un bon article 😉
Dans mon cas, je suis arrivé dans ce domaine par mon intérêt pour la physiologie intestinale. Quand j'ai commencé ma thèse le domaine était en cours d'explosion et on redécouvrait la science des années 1970.
Je me suis intéressé à des métabolites microbiens, les acides gras à courte chaine, formés par la fermentation microbienne des fibres alimentaires. Et on a vu que ces métabolites étaient capables d'activer des communications entre l'intestin et le cerveau.
J'ai poursuivi avec des études sur des souris axéniques, où nous avons vu que le fameux système nerveux entérique ne ressemblait pas à celui de souris ayant un microbiote.
Et aujourd'hui j'étudie le microbiote dans le contexte de la malnutrition protéique. C'est un problème qui touche de nombreux pays en développement et qui induit de gros problèmes chez l'enfant, notamment retards de croissance et déficits cognitifs.
On a donc mis en place au labo un modèle de souris ayant un régime très pauvre en protéines et on suit sa croissance et sa dynamique microbienne. Comme je l'écrivais, le microbiote est fortement impacté par la nutrition. Forcément, quand des nutriments manquent, il répond.
Donc l'idée globale est de modifier ce microbiote de souris en malnutrition pour réduire les impacts délétères sur le développement. On peut le faire en rajoutant certaines bactéries par exemple.
Mon projet se focalise sur l'impact de cette malnutrition sur le système nerveux entérique. Essayer de comprendre si on peut moduler sa physiologie en modulant le microbiote.
Demain on parlera donc bactéries intestinales et neurones. À vos questions et commentaires!
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Pour ceux qui sont intéressés par l'histoire du microbiote placentaire, ça se passe par là:
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