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Après nos camarades d’@AgeMoyen, on se lance à notre tour dans un décryptage de «La fabuleuse histoire de l’école», nouvelle émission historique commise par @bernstephane sur @France2tv !
#Twistorien #TeamModerniste
Après trente minutes de maltraitance d’un Moyen Âge qui n’en demandait pas tant, la narration nous transporte brusquement en 1705. Un choix pour le moins curieux au vu de la sanctification de la chronologie dans l’enseignement scolaire par les vulgarisateurs traditionalistes !
Difficile, pourtant, de comprendre l’essor des petites écoles et la demande inédite d’instruction, dans toutes les couches de la société de l’époque moderne, en laissant dans l’ombre les affrontements culturels de la Réforme, «fille de Gutenberg», et de la Contre-Réforme !
La question des collèges d’Ancien Régime est rapidement abordée. Effectivement, les jésuites avaient la mainmise sur ces établissements, avec les deux tiers des 60 000 élèves concernés par cette instruction, et ce pour une raison simple : la gratuité de leurs collèges !
En revanche, il est tout à fait erroné d’affirmer que seuls les aristocrates accédaient aux collèges. Aux collèges de Châlons-sur-Marne et de Troyes, étudiés par François de Dainville, la haute noblesse ne représente que 5% des effectifs !
Certains collèges accueillaient même 80% de fils d’artisans, de laboureurs ou de marchands, en dépit même de la rareté des pensionnats : les ambitions d’élévation sociale du Tiers-État ne font aucun doute, et expliquent même largement la crise de l’Ancien Régime !
Si les progrès de l’instruction sont indéniables, les collèges se sont rapidement sclérosés, en dispensant un enseignement exclusif, répétitif et coupé de la vie pratique. Dans l’Émile (1762), Rousseau évoque «ces risibles établissements qu’on appelle collèges».
Dans l’Encyclopédie, d’Alembert se montre plus dur encore : après avoir passé au collège les années les plus précieuses de sa vie, on en sort avec un peu de latin et de philosophie qu’on s’empresse d’oublier, des mœurs corrompues et une foi religieuse des plus fragiles !
D’où la concurrence livrée aux collèges par les pensions privées, qui admettaient les enfants à un âge plus précoce et leur dispensaient des enseignements supplémentaires, très appréciés des parents, comme les mathématiques et les sciences naturelles.
Fidèle à ses principes de composition, l’émission abandonne toutefois les collèges pour consacrer toute son attention à la plus aristocratique des institutions pédagogiques d’Ancien Régime : les académies où s’égayaient les rejetons de la haute noblesse.
La narration compare ces institutions à «nos grandes écoles d’aujourd’hui», supposant que les académies formaient «les futurs dirigeants du pays». Mais les minutes suivantes détaillent le contenu de cet enseignement : l’étiquette, la révérence, l’escrime, la danse…
Il s’agit donc de former des aristocrates, à l’ethos conforme aux mœurs curiales, et non des spécialistes des sciences morales et politiques ! Le vrai point commun entre ces académies et nos écoles est que la jeunesse élitaire pouvait y forger ou renforcer son réseau social.
Méconnaissance du présent, méconnaissance du passé : l’animateur affirme ensuite que, par opposition à nos écoles rébarbatives, les enseignants du passé avaient bien compris la nécessité d’enseigner en s’amusant. Le jeu n’est pourtant pas absent de nos salles de classes !
Respectivement, il faut faire preuve d’une bonne dose de mauvaise foi pour s’imaginer, à partir d’un jeu de l’oie du XVIIIe siècle, que les élèves d’Ancien Régime, nourris de latin et d’enseignement religieux sous la forme du «par cœur» passaient leur quotidien à s’amuser...
En définitive, l’enjeu est ailleurs, et consiste à justifier le principe même de l’émission : contre l’ennui de l’enseignement scolaire et des livres d’histoire sérieux, ne vaut-il pas mieux apprendre en s’amusant… en regardant Stéphane Bern, par exemple ?
Laissons à nos amis d’@AgeMoyen commenter ce jugement sur Louis XI : « C’était un grand roi ! Bon, d’accord, il enfermait les gens dans des cages et ils étaient accroupis, bon ok, mais c’est les mœurs de l’époque »… et passons à la Révolution !
Une Révolution… qui n’existe pas ! Des débats pédagogiques entre Condorcet, Lakanal, Talleyrand, Romme, Lepeletier et Daunou, on n’apprendra rien !
La création de l’École normale, de Polytechnique, de l’Institut de France ? Cela n’est rien.
Le seul mérite de la Révolution serait d’avoir mis à l’ordre du jour la nécessité d’une instruction pour tous et d’une éducation civique, destinée à former des citoyens - autant d’idées, au demeurant, déjà présentes dans les débats des années 1760 après l’expulsion des jésuites.
De saut en saut, on arrive instantanément à la Troisième République, qui sera l’occasion de passionnantes digressions sur le porte-plume, les pleins et les déliés, l’uniforme (avec lequel, bien sûr, «tout le monde se retrouvait à égalité») et l’apprentissage de la natation…
Sur le fond, on apprend que le célèbre manuel d’histoire de Lavisse «peut aujourd’hui laisser un peu perplexe», vu la manière dont il traitait les monarques du XVIIIe siècle. Rien de plus logique pourtant, ni de plus juste, que d’affirmer que Louis XVI était un roi sans volonté !
Entre les deux, on néglige l’héritage napoléonien, des lycées à l’Université, et on encense les monarchies constitutionnelles sans préciser qu’elles s’empressèrent surtout de placer l’enseignement sous la surveillance du clergé. Mais laissons là le XIXe siècle…
Et citons l’un des co-animateurs de l’émission, Jamy Gourmaud, qui rappelle une belle évidence face aux facilités narratives de l’histoire TV : « J’aime raconter des histoires de science ; le métier d’enseignant est beaucoup plus difficile je pense, que ce que je fais…
…Un enseignant, tous les jours, chaque heure, il monte sur scène devant un public qui ne lui est pas forcément toujours acquis, et donc il doit réussir à capter l’attention de tous ses élèves, et on lui demande d’être bon en permanence : c’est quasiment impossible»
Merci à lui!
En conclusion, une émission qui mérite bien une médaille Stéphane Bern.
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