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Cela commence. L'amphi est plein, trois salles supplémentaires ont été mobilisées pour diffuser la conférence en live.
Rappel : cette conférence s'inscrit dans le cycle "Les débats de l'égalité" de @WIL_inequality
@WIL_inequality L'introduction relève que la taxation du patrimoine est devenu un sujet important de la campagne des primaires Démocrates aux US, et que ce débat doit beaucoup au précédent ouvrage de @PikettyLeMonde *Le Capital au XXIe siècle*.
@WIL_inequality @PikettyLeMonde T.P. commence par rendre hommage au travail des jeunes chercheurs, dont ceux qui @WIL_inequality qui ont contribué à rassembler les matérieux qui composent l'ouvrage.
Par rapport au livre précédent, ce livre développe une *histoire* des systèmes de justification des inégalités. Il est donc moins occidentalo-centré et plus politique que le précédent, et vise spécifiquement les fragilités et les transformations des idéologies inégalitaires.
Pour des raisons évidentes de format, la conférence ne portera que sur la partie allant du XIXe au XXIe siècle. Il ne parlera donc pas de son analyse des sociétés d'Ancien Régime ni des dynamiques coloniales.
La Révolution Française, donc, proclame l'égalité formelle des droits, mais sacralise le droit de propriété - au point d'offrir une compensation aux propriétaires d'esclaves au moment de l'abolition (y compris en 1848).
La concentration de la propriété (1% les + riches) part de 50% à la Révolution, et grimpe un peu jusqu'à la WWI (25% aujourd'hui)
La promesse d'égalité et de diffusion de la propriété dans la société n'a pas vraiment été réalisée, en particulier pour les 50% les plus pauvres.
Pourtant, il y a eu des moments de redistribution symboliques : distribution des terres, confiscation des biens du clergé par la Révolution, etc.
En fait, la Révolution et ses successeurs a inclus le droit de propriété dans le coeur des Droits de l'Homme.
Un cas d'espèce : Saint-Domingue. Entre 1700 et 1790, la part d'esclaves passe de 50% à 90% de la population.
Lors de l'abolition de l'esclavage, la France impose une dette correspondant à 300% de la production annuelle pour compenser les propriétaires français.
Les arguments pour compenser les ex-propriétaires d'esclaves relèvent de la pente glissante : si vous confisquez sans compensation ceux-là, vous ferez de même avec d'autres propriétés. C'est un argumentaire qu'on trouve explicitement chez Tocqueville.
Pour Piketty, cette peur d'un dérapage reste opérante aujourd'hui dans les argumentaires favorables à l'accumulation, qu'il s'agisse d'actifs tangibles, mais aussi d'idées (coucou les revues académiques).
L'idée d'impôt progressif est pourtant déjà présente au XVIIIe siècle mais toujours refusé, toujours au nom de l'idée qu'on ne saurait pas où s'arrêter, où tirer la ligne entre la juste contribution et l'extorsion.
Le début du XXe siècle voient se conjuguer un mouvement intellectuel et social (le socialisme, pour faire vite), et un temps de crise.
Avec la WWI, l'Etat passe d'un rôle essentiel de maintient de l'ordre (plus de la moitié de son budget) à la multitude de ses rôles actuels.
Les deux guerres mondiales fournissent des raisons pour mettre en place des impôts très fortement progressifs (au-delà de 90% aux US et UK). Pas en France, qui se perçoit comme moins inégalitaire (la Révolution étant réputée avoir fait le job).
L'impôt sur les succession suit une dynamique similaire, avec un décollage en 1910, souvent pour financer les retraites.
Cependant, là où US, UK et JP imposent des taux supérieurs très élevés, les taux en France restent faibles.
Parallèlement, les actifs détenus par les FR à l'étranger (dans les colonies, surtout) rapportent l'équivalent de 5% du PIB, permettant d'avoir à la fois un déficit commercial et de continuer à investir à l'étranger.
Par comparaison, les actifs détenus par les Japonais sur le reste du monde représentent 60% du PIB du pays (120% pour la France d'avant 1914).
La période de réduction des inégalités s'est aussi accompagnée de forts gonflements de la dette publique (WWI puis années 1930 - 1950). En France, cela est largement passé par l'inflation. En Allemagne ou au Japon ce fut aussi avec des prélèvements ponctuels et forfaitaires
sur les plus hauts patrimoines.
Il faut noter que ce sont les pays qui aujourd'hui ne voient que les excédents primaires comme moyen de rembourser la dette publique.
Temps suivant : comment expliquer la remontée des inégalités ?
Shorter: la chute du communisme a légitimé le discours d'accumulation, tandis que l'échec du reaganisme a poussé vers le repli plus que vers la contestation des inégalités.
Piketty mobilise des analyses de @gabriel_zucman sur l'évasion fiscale : la Russie est passée d'une société nominalement très égalitaire à une société extrêmement inégalitaires (il n'y a même plus d'impôt progressif en Russie, ni sur les successions).
Les pays ex-communistes (Russie, Chine) sont aujourd'hui ceux ayant les structures fiscales les plus incitatives à l'accumulation (pas d'impôt sur le revenu).
Dans les pays occidentaux, la promesse reaganienne d'une relance de la croissance par l'accumulation a donné naissance à un rêve déçu : la part des plus riches a augmenté, celle des 50% les plus pauvres a diminué.
Cela a généré une réaction identitaire qui a fait élire Trump.
Sur des périodes de 40 ans, on a une corrélation (positive) entre la croissance économique et le taux marginal le plus élevé de l'impôt sur le revenu.
Piketty place la charge de la preuve dans le camp des pro-accumulation : à eux de montrer en quoi l'accumulation favorise
la croissance économique malgré ce fait stylisé qui pointe vers le résultat inverse.
Dernier temps, la recomposition des électorats de gauche.
Sur le long terme, on retrouve dans beaucoup de pays d'un vote à gauche très populaire et peu qualifié à un vote de personnes plutôt plus éduquées de la moyenne.
C'est un élément que nous avions documenté dans *Les Origines du populisme* : une partie notable de l'électorat de la France Insoumise est formé de personnes qui n'ont pas un niveau de revenus correspondant à leur niveau de diplôme.
Cet abandon des classes populaires par la gauche nourrit une tentation de repli des classes populaires, qui se sont exprimées en France par le référendum de 1992, et au UK par le Brexit.
Cela se conjugue au niveau international par des incompréhension. Vu de l'Ouest, on voit surtout la masse des aides européennes. Vu des pays récipiendaires, on voit que les profits et revenus qui vont vers les pays de l'Ouest sont doubles ou triple des aides.
Oui, les investissements privés de l'Ouest ont augmenté la productivité dans ces pays. Mais ces investisseurs ont aussi récupéré une bonne partie de ces gains de productivité.
La redistribution post-inégalités primaires ne peut pas tout faire.
Il serait possible de pousser des politiques qui conduiraient à une redistribution primaire de ces gains en amont, avec des salaires minimum plus élevés par exemple.
On arrive justement aux solutions.
La première, une forme de social-fédéralisme.
Jusqu'à présent seules les banques centrales ont été actives. Comme le rappelle Draghi depuis le début, il faut une politique fiscale en face.
Concrètement, les politiques se sont défaussées de la gestion de la crise sur les banques centrales.
Donc, quelles sont les pistes que lance PIketty ?
Premier élément : faire de la propriété un droit social et temporaire.
- Cogestion des entreprises par équilibrage des droits avec les salariés
- Dotation universelle individuelle de 120 000 €
- limite à l'accumulation individuelle par des systèmes fiscaux fortement progressifs
Fondamentalement, l'idée est que l'accumulation rapide de la richesse est aujourd'hui essentiellement permise par une riche infrastructure publique (réseaux, population éduquée d'employés, sécurité, etc.).
Côté imposition, l'héritage à 120000€ serait financé par des taux d'imposition élevés sur les plus riches. Chose importante : les seuils ne seraient pas absolues, mais des multiples des revenus ou du patrimoine moyen.
Levier non-financier : un service d'éducation réellement égalitaire. Aux US, le taux d'accès à l'université est très exactement corrélé au revenu des parents.
En France, l'investissement éducatif moyen est de 120 000 €, mais avec un petit nombre d'étudiants (classes prépas, etc
qui captent un investissement très nettement supérieur, alors qu'ils proviennent déjà de familles plutôt favorisées.
Il faudrait une norme (objectif) d'investissement dans l'enseignement supérieur qui prenne explicitement en compte cet effet (anti-)redistributif.
Exemple personnel : faire varier la dotation des établissements en fonction des caractéristiques sociales des étudiants.
Dernier levier : faire passer explicitement un pouvoir de décision sur les sujets climatiques au niveau international le plus élevé possible.
Conclusion : la crise (et la recherche de celle-ci) ne suffit pas à provoquer des mouvements effectifs vers l'égalité (ils peuvent pousser à l'inverse !). Il faut que les débats sur la réponse à la crise aient quelque chose à proposer comme voie de sortie.
Le but de cet ouvrage est de créer un tel débat, et d'arrêter de penser que la catastrophe fournira ses propres solutions.
Fin de l'intervention de Piketty.
Je pense que je ne vais pas couvrir les questions.
Mon avis : c'est sans doute à cause du format (résumer en 1h un bouquin de 1200 pages), mais j'ai eu du mal à toujours bien suivre les articulations entre les faits présentés.
Je n'ai sans doute pas pu rendre justice à comment les éléments s'articulent entre eux.
Depuis les années 1980, la part de l'investissement éducatif stagne voire diminue dans les pays riches, alors que dans le même temps on a plus d'étudiants, et qu'on ne voit pas de gains de productivité évidents dans ce secteur. À long terme, cela pèse sur la croissance.
Concrètement, l'éducation a été la variable d'ajustement pour réduire la dépense publique, alors que les dépenses liées à la vieillesse augmentaient structurellement. On a ainsi doublement obéré la croissance future (dette financière et dette de formation).
Une question : pourquoi les classes populaires ne votent plus à gauche ?
Pour Piketty, essentiellement parce qu'il n'y avait plus grand-chose pour elles dans les programmes de gauche, qui ont abandonné les questions de justice fiscale et sociale.
Q : Est-ce qu'on peut compter sur la crise écologique ?
P : Je ne m'y fierais pas. Les émissions carbone sont très concentrées sur le haut de la distribution, qui sont ceux qui seront les moins contraints par l'évolution climatique.
Qu'est-ce que la propriété temporaire ?
P. C'est quand la société reprend à un moment donné, de manière prévisible, une partie significative du capital accumulé. Préfère un impôt annuel régulier qu'un choc temporaire comme les droits de succession.
[moi : je suis un peu étonné que personne ne parle du shabbat septennal de la tradition hébraïque : on annule les dettes tous les sept ans, si je ne me trompe pas].
D'ailleurs, c'était pas rosh hashanah il n'y a pas longtemps ?
Dernière question : Est-ce qu'il y a un lien entre dette publique et inégalité ?
P : cela dépend ce que vous en faites in fine. Historiquement, il y a eu beaucoup de manières de rembourser autres que les excédents fiscaux.
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