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La question de la montée du niveau des mers suscite évidemment beaucoup d'intérêt. Comment la situation actuelle et les projections d'évolution se comparent-elles aux variations passées? (1/...)
Voici d'abord les processus qui peuvent contribuer aux variations du niveau des mers, à l'échelle planétaire comme aux variations relatives locales.

ipcc.ch/report/srocc (chapitre 4, niveau des mers)
Les plus spectaculaires variations passées du niveau des mers ont eu lieu lors des glaciations. Lors des maxima glaciaires, les inlandsis qui couvraient l'Amérique du nord ou l'Europe représentaient l'équivalent de 2 fois le volume du Groenland et de l'Antarctique.
Ces calottes, aujourd'hui disparues, étaient construites graduellement (par l'accumulation graduelle de neige), mais ont disparu relativement rapidement (par fonte et instabilités d'écoulement) à la fin des périodes glaciaires.
Petit rappel : le moteur des périodes glaciaires et interglaciaires tient aux modifications graduelles de la trajectoire de la Terre autour du Soleil et de son axe d'inclinaison (variations très lentes, sur des milliers d'années) ...
qui répartissent différemment l'ensoleillement selon les latitudes et les saisons. Mais l'intensité des glaciations met en jeu des rétroactions majeures du système "Terre", et tout particulièrement ...
l'amplification par les variations de l'albédo de la Terre (effet miroir de neige, banquise, calottes) et par les variations du cycle du carbone. Un océan plus froid stocke plus de CO2 qu'un océan plus chaud ...
et des conditions plus froides et sèches sur les continents réduisent les rejets naturels de méthane des zones humides.
Ces deux amplificateurs (effet d'albédo et effet de serre) ont modifié chacun d'environ 3 W/m2 le bilan d'énergie de la Terre entre les périodes douces et les périodes glaciaires, quand la température à la surface de la Terre a varié d'environ 5°C.
Le dernier maximum glaciaire (il y a environ 25 000 ans) correspondait à une situation d'extension maximale des inlandsis.
En réponse aux modifications de l'ensoleillement (configuration astronomique de la Terre), le climat a réagi, mettant en jeu un ensemble de processus amplificateurs (rétroactions) impliquant une déglaciation de ces calottes et une augmentation de l'effet de serre naturel.
Depuis quelques milliers d'années, et la disparition de ces calottes (Laurentide, Fennoscandie), le niveau des mers était relativement stable (de même que le climat à l'échelle planétaire). Cela a été propice au développement des civilisations sédentaires.
La population mondiale de chasseurs cueilleurs était de l'ordre de 1 à 10 millions de personnes à la fin de la dernière déglaciation (wikipedia)

Aujourd'hui, 680 millions de personnes vivent à proximité immédiate de la mer; ce sera 1 milliard de personnes vers 2050.
La situation actuelle est bien sûre très différente de la fin de la dernière glaciation, et la question clé pour la montée future du niveau des mers sera la contribution du Groenland et de l'Antarctique (en plus de celles des glaciers et de l'expansion de l'océan).
Voici par exemple la comparaison de l'effet sur le bilan d'énergie de la Terre des changements de CO2 et en CH4 dans l'atmosphère : brutal pour la période récente par rapport aux variations glaciaires interglaciaires (kyr BP = milliers d'années passées)
doi.org/10.5194/essd-9…
Voici également une comparaison de l'évolution actuelle et projetée du niveau des mers par rapport aux dernières estimations de variations depuis la dernière glaciation

doi:10.1038/NCLIMATE2923
Dans le 5ème rapport du GIEC (ipcc.ch/report/ar5/wg1) et le chapitre 5 sur les climats passés, nous avions comparé le rythme actuel de la montée du niveau des mers aux variations lors de la dernière déglaciation
En moyenne 1 cm/an entre 22 000 et 7 000 ans, mais jusqu'à 4 cm/an pendant plusieurs siècles lorsqu'il y a eu une instabilité dynamique des calottes aujourd'hui disparues.
Les connaissances les plus récentes (ipcc.ch/report/srocc) montrent une accélération du rythme de montée du niveau des mers actuel, à 3,6 mm / an sur la période 2006-2015, du fait d'une augmentation de la perte de masse du Groenland (x2) et de l'Antarctique (x3 / 1997-2006).
Elles montrent aussi une accélération de l'écoulement dans 2 secteurs de l'Antarctique qui pourrait être le début d'une instabilité dynamique irréversible (potentiel de plusieurs mètres de + sur plusieurs siècles, non intégré dans les projections).
Si les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont fortement réduites (RCP2.6, réchauffement <2°C), le rythme de montée du niveau des mers est projeté à 4 mm/an (de 2 à 6 mm/an) en 2100. Si elles augmentent fortement (RCP8.5), ce serait 15 mm/an (de 10 à 20 mm/an) en 2100.
et plusieurs cm/an à horizon 2300.
En résumé, en cas de forte déglaciation du Groenland et de l'Antarctique, on pourrait atteindre des rythmes de montée de niveau des mers typiques des déglaciations passées.
Qu'apprend-on des phases géologiques chaudes précédentes, sur ces calottes du Groenland et de l'Antarctique?
Le niveau moyen des mers était bien plus élevé qu'aujourd'hui pendant les périodes où le climat était un peu plus chaud que la période pré-industrielle (ipcc.ch/report/srocc, chapitre 4)
Par exemple, lors de la dernière période interglaciaire (il y a 116 à 129 000 ans), du fait de la réponse du climat à une configuration un peu différente de l'orbite terrestre, les régions polaires étaient plus chaudes et la température moyenne 0,5°C à 1°C au dessus de 1850-1900.
Pour cette période, le recul du Groenland et de l'Antarctique ont contribué à faire monter le niveau moyen des mers de 6 à 9 mètres.
Lorsque la teneur en CO2 était comparable au niveau actuel (300-450ppm), lors des périodes douces du Pliocène moyen (il y a environ 3,3 à 3 millions d'années), la température à la surface de la Terre était 2-4°C au-dessus de 1850-1900,
et le niveau moyen des mers était plus élevé d'environ 6 mètres à 25 m qu'aujourd'hui. Mais on ne connaît pas suffisamment précisément les contributions respectives de l'Antarctique / Groenland ni leur rythme à l'échelle de qq siècles => difficile à utiliser directement / futur.
Situation inédite, donc, à la fois en terme de perturbation du climat, et en terme d'exposition des activités humaines sur le littoral.
D'où l'intérêt à combiner cette information scientifique (les projections de montée graduelle & d'évolution de la fréquence d'évènements de haut niveau marin) aux connaissances locales pour réfléchir aux options d'action et aux choix possibles pour limiter les risques.
Les coûts sont variables pour les ouvrages de protection, selon les options et les contextes, et ils peuvent présenter des effets indésirables, spécifiques à chaque contexte.
Les mesures bien conçues de protection côtière peuvent être très efficaces pour réduire les dommages et rentables dans les zones urbaines, densément peuplées, mais généralement inabordables pour les zones rurales ou plus pauvres.
Une protection efficace demanderait des investissements de l'ordre de dizaines à centaines de milliards de $ par an, au niveau mondial. Cela pourrait représenter plusieurs % du PIB pour les petits états insulaires en développement.
Choisir et mettre en oeuvre les réponses à la montée du niveau des mers nous met devant des choix de société complexes.
Oops! Désolée de l'erreur (trop de choses en //). Voici la figure correcte pour le méthane (CH4). Explication dans la suite de ce message.
Comment lire ces figures? Le présent est à gauche (0), le passé à droite (en milliers d'années avant 1950). Par ex, 20 kyBP veut dire : il y a 20 000 ans (maximum glaciaire.
Ce qui est représenté est la concentration en CO2 ou en CH4 (méthane) dans l'atmosphère en fonction du temps. Ce sont des mesures directes dans l'atmosphère récentes complétées par les enregistrements issus de l'air de toutes les carottes de glace disponibles.
Par exemple, les mesures directes de l'atmosphère sont montrées par le trait rouge (observatoire de Mauna Loa). Chaque autre couleur correspond à un site de forage en Antarctique. Par exemple, EDC c'est le site EPICA Dome C (station Concordia) où nous remontons jusqu'à 800 000ans
Sur l'axe de droite, cette composition de l'atmosphère est indiquée en concentration (parties par millions, ppm pour le CO2, parties par milliards, ppb pour le méthane).
et sur l'axe de gauche, c'est l'effet de la concentration de ce gaz dans l'atmosphère sur le bilan d'énergie de la Terre ("forçage radiatif"), exprimé en Watt par mètre carré. Ce n'est pas linéaire par rapport à la concentration (vous le voyez sur les graduations des axes).
Ce "forçage radiatif" permet de comparer l'effet de différents facteurs sur le bilan d'énergie de la Terre (c'est lorsque celui-ci est perturbé que le climat change).
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