J'avais huit ans, nous stationnions en Savoie dans un parking, après avoir été expulsés d'un champ en jachère. Les agriculteurs nous ont jeté toute leur merde sur nos caravanes, ils étaient accompagnés d'autres habitants. Un de mes souvenirs les plus humiliants.
Lire les 300 commentaires satisfaits sous ce tweet ça fait quand même un peu mal.
En 1998 il n'y avait pas autant de terrain d'accueil qu'aujourd'hui, parfois vous pouviez errer de refus en refus sans jamais rien trouver. Alors on a décidé de se poser là, loin de tout. On venait voir mon oncle à l'hôpital.
C'etait l'hiver la mairie nous a dit de partir car le terrain appartenait à un agriculteur. Nous avons demandé où nous rendre, ils ont dit qu'ils allaient donner une réponse. Qui n'est jamais venue. L'agriculteur a fini par oser nous demander de partir, on est parti.
Nous sommes allé dans un premier parking en zone industrielle, les gendarmes nous ont fait dégager. Puis un second encore plus pourri, on nous a demandé encore de partir et de dégager la dizaine de caravanes et là les adultes ont refusés.
Tout ça c'était en un ou deux jours. Il y a eu des histoires et ils sont venus avec des camions de lisier sur le parking et ont arrosé toutes nos caravanes, les voitures, les jouets des enfants, le linges. Nous on était enfermés dedans.
Je ne sais pas si comme je lis ici "c'était mérité", "vous avez payé pour les autres"... Ce que je sais c'est qu'au regard du droit c'était une agression, une humiliation et que moi enfant ça m'a marqué.
Beaucoup plus tard j'ai compris que les chasses systématiques dont faisaient l'objet les voyageurs, en particulier dans les campagnes, s'inscrivent dans une histoire et particulièrement dans l'histoire Des ruralités.
Aux premiers recensements de bohémiens fin XIX, les autorités comptaient sur les efforts des habitants pour signaler tous les bohémiens de passage, c'était le cas dans les Landes par exemple.
En 1912 le statut des "nomades" s'imposent, le contrôle passe par un carnet et l'apposition de visa pour entrer dans les villes. L'achat de la paix sociale se fait par l'interdiction de stationner plus de 48h très souvent. Mais les voyageurs trouvent encore des espaces.
La plupart sont intégrés dans le tissu économique et sociale des zones de stationnement. On les laisse s'installer sur des terres inutilisées, dans des clairières, à l'arrière des fermes...
Puis l'antitsiganisme d'état atteint son paroxysme avec les loi de 1941 qui prévoient l'assignation à résidence et l'internement des "nomades".
Dans les campagnes l'antitsiganisme est décuplé par cent, des rumeurs circulent sur l'intelligence avec l'ennemi des "nomades", sur les vols d'animaux...
Au moment de l'épuration certains départements ruraux sont le terrains de massacres de familles entières de "nomades" par les populations locales, parfois même leur propre voisins.
Ces massacres racistes sont aujourd'hui documentés par des récentes recherches, dont certaines sont à paraître. Le Puy-de-Dôme fut l'un de ces théâtres meurtrier par exemple.
Bref après la guerre c'est la misère pour tout le monde, l'antitsiganisme est toujours présent, on fait avec, mais les voyageurs arrivent encore à voyager notamment dans les campagnes.
La majorité d'entre eux sont ancrés dans le territoire ne voyageant qu'à l'échelle d'un département où de quelques villages. Ça se passe souvent bien, on tolère leur présence. Mais les années 1970-1980-1990 sont passées par là et ont fait des ravages.
Durcissement des lois, entraînant une augmentation du champ de l'illégalité en droit de l'urbanisme, entraînant un traitement médiatique accru un criminalisation des comportements par les médias, le droit, dans les discours. La mise en place du système d'accueil vient achever.
Bouleversant tous les schémas économiques et sociaux des personnes désormais contraintes de vivre dans des espaces choisis pour elles. Des espaces souvent à l'écart et pollués.
Cette réalité a amené les gens à se rassembler en très grand groupe, ce qui explique en partie aussi le succès grandissant des missions évangéliques. Il est plus simple de voyager avec un groupe qui saura jouer du rapport de force.
En reponse les gouvernements successifs et les élus locaux n'ont fait que durcir le droit et adopter des démarches punitive, même dans les campagnes où tout se passait bien avant.
Mais plus les lois durcissent, plus les gens sont contraints et plus ils se rassemblent. Plus il y a de grands groupes et plus il y a de difficultés à cohabiter. C'est un cercle vicieu qui n'a que pour effet d'augmenter la violence des comportements, du traitement médiatique...
C'est un cercle vicieu qui renforce toujours plus les sentiments antitsiganes, les déchaînements de haine raciste. Et c'est ce qui explique les commentaires que je reçois depuis hier.
Mais je n'avais que 8 ans.
Mais je n'avais que 8 ans.
