Thread by @AgeMoyen

Emmanuel #Macron, président « jupitérien » ? Lui-même n'a employé la formule qu'une seule fois, mais elle a vite envahi les médias. Or cette comparaison entre un dirigeant et les dieux de l'Antiquité a une longue histoire... ! Un thread ⬇️ #histoire #medievaltwitter

On pourrait bien sûr penser à la manière dont Louis XIV s'est comparé à Apollon, construisant sa légitimité autour de l'image du « roi Soleil ». Mais ces rapprochements sont également utilisés dès le Moyen Âge !

Vers la fin du XIIe siècle, Pierre d'Eboli, chroniqueur du sud de l'Italie, écrit un éloge de l'empereur Henri VI, sur commande du chancelier impérial. L'empereur y est souvent appelé « Jupiter Tonnant » et son épouse « Junon ».

Un autre auteur, Godefroy de Viterbe, parle au même Henri VI pour lui dire « tu es Dieu, de la race des dieux ! ». Un demi-siècle plus tard, un autre auteur italien note que les rois sont des « demi-dieux »...

Dans les chroniques de la première croisade, les seigneurs croisés sont fréquemment comparés à Hector, à Achille, à Ulysse, à Ajax,... Preuve que la culture antique fascine les auteurs médiévaux et qu'on n'a pas besoin d'attendre la « renaissance » pour la redécouvrir !

Il peut sembler un peu paradoxal de comparer ainsi les princes chrétiens à des dieux ou des héros païens... En réalité, ces métaphores permettent aux auteurs d'étaler leur culture latine : c'est largement un jeu entre lettrés, une sorte de blague littéraire si vous voulez.

Néanmoins, il ne s'agit pas que d'un jeu. A cette époque se cristallise en effet une véritable « religion royale », bien étudiée par Marc Bloch. A travers le sacre, la guérison des écrouelles, etc, le roi devient plus qu'un homme

Peu à peu, le crime de lèse-majesté est identifié au crime de blasphème : insulter le roi revient à insulter Dieu. Il y a encore des échos de cette idée aujourd'hui, quand Emmanuel Macron recadre un jeune homme coupable de l'avoir appelé « Manu »...

Donc, quand un auteur médiéval compare le roi à Jupiter, on devine un désir de sacraliser l'autorité royale, de la rendre intouchable, de la mettre au-dessus du commun des mortels.

Cependant, au Moyen Âge comme aujourd'hui, on trouve des auteurs critiques, qui ne sont pas dupes de ces beaux discours politiques. Ainsi de Jean de Salisbury, auteur anglais du milieu du XIIe siècle.

Il est notamment l'un des premiers à réfléchir à la légitimité du tyrannicide : a-t-on le droit de tuer un prince qui devient un tyran... ?

En parlant de cette mode de diviniser les rois, Jean de Salisbury a cette phrase magnifique : « les Romains ont inventé les mots par lesquels nous mentons aux seigneurs ».
Les comparaisons entre le roi et les dieux, le "nous" de majesté, les compliments : tout n'est que mensonge.

Jean prend ainsi à parti ses confrères lettrés pour révéler l'envers du décor. Son livre est d'ailleurs sous-titré « les nuages des courtisans »...

Quand le président se revendique est présenté comme "jupitérien", il est l'héritier de ces beaux mensonges médiévaux, mais également de ces courtisans qui ont forgé au fil des siècles des « nuages », des métaphores du pouvoir

Le regard critique de Jean de Salisbury n'a rien perdu de son actualité : il est toujours bon de se rappeler que les dirigeants ne viennent pas de l'Olympe... Retrouvez notre article du jour sur notre blog !
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