On continue notre travail de fact-checking de l'émission « La belle histoire de France » animée par Franck Ferrand et Marc Menant sur CNEWS. Dimanche dernier, c'était sur les Mérovingiens, de Dagobert à Pépin le Bref. Décryptage et critique ⬇️! #histoire#medievaltwitter
1' [Christine Kelly] « on aura de la violence aussi ? » [F. Ferrand] « pas mal, du sang, du sang, du sang ! »
Record battu : moins d'une minute et on est déjà en plein dans le cliché du Moyen Âge sanglant, brutal, violent. Une idée qui revient en permanence dans l'émission...
On comprend bien pourquoi : c'est à la fois confortable et vendeur. Historiquement, cela n'a aucun intérêt : les historiens ne se demandent pas si une période était violente (toutes le sont !), mais comment chaque période a pensé, régulé, pratiqué la violence
12' [Marc Menant] « et là c'est l'ordalie ! […] » [Christine Kelly] « non mais quelle justice... »
Vision totalement caricaturale de l'ordalie, qui n'apparaît que comme une procédure violente, irrationnelle, bref « barbare ».
Cet appel au « jugement de Dieu » peut bien sûr nous étonner, car il diffère totalement de nos pratiques contemporaines, mais ça n'en reste pas moins une pratique rationnelle, encadrée par les autorités de l'époque, qui correspond aux attentes de ce temps franceculture.fr/emissions/mati…
13'44 [Marc Menant] « quand on lit la chronique... »
Laquelle ?? On n'en saura pas plus. C'est révélateur : pour M. Menant, on lit « la » chronique, comme on lirait « le » journal...
14'42 [Marc Menant] « Dagobert, c'est le libertin dans toute sa splendeur, il a des épouses à foison, des concubines, plus quelques petites maîtresses... »
Jugement moral, anhistorique donc, et anachronique qui plus est, avec le concept de « libertin ».
Il y aurait pourtant eu deux remarques importantes à faire. D'abord souligner que les souverains de l'époque sont en effet souvent polygames, ce qui est une vieille pratique de pouvoir qui permet de multiplier les alliances et les héritiers potentiels.
Ensuite et surtout, il fallait expliquer que les chroniqueurs, qui appartiennent (presque) tous au monde ecclésiastique, décrivent souvent la vie sexuelle des rois... pour la critiquer, car elle correspond mal aux nouvelles normes que l'Église catholique invente et impose alors
Pour le dire autrement, il faut se méfier de ces descriptions, qui sont souvent répétées à l'identique pour les différents souverains : il s'agit d'un vrai topos qui en dit en réalité plus long sur le programme des chroniqueurs qui l'utilisent que sur les rois ainsi décrits.
15'20 [Marc Menant] « l'art s'incruste dans son royaume »
...on est d'accord que cela ne veut rien dire ?
23'44 [F. Ferrand] « ce sont les historiens... C'est le moment de parler du roman national, ce dont un certain nombre de nos chers confrères se gardent bien »
Habile : en une phrase, Ferrand réussit à la fois à se poser lui-même comme un historien ("confrères") et à s'en moquer.
[Franck Ferrand] « Ce sont nos grands historiens républicains qui les ont appelés rois fainéants » (29'40)
C'est très imprécis. Cette image vient en réalité d'abord des chroniqueurs carolingiens – Eginhard, Erchambert, Sigebert de Gembloux, etc.
Évidemment, ces descriptions ne doivent rien au hasard : ces auteurs ont besoin de montrer les rois mérovingiens sous un mauvais jour pour justifier le coup d'État de Pépin le Bref et l'avènement d'une nouvelle dynastie sur le trône...
Au XIXe siècle, les historiens républicains reprennent bel et bien ces visions, qui passent donc dans l'imaginaire collectif sous la forme des « rois fainéants ». Mais on ne peut pas comprendre cette chaîne mémorielle si on en oublie le premier maillon... !
30'53 [Franck Ferrand] « Charles Martel, pourquoi Martel ? Car il est devenu le marteau des Francs, il est devenu celui qui a tapé sur la tête de l'envahisseur arabe ».
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Malaise...
33'-37' Franck Ferrand raconte la bataille de Poitiers
Soyons honnête : on redoutait ce passage, vu le message identitaire des épisodes précédents, mais F. Ferrand évite le piège et ne reprend pas les poncifs islamophobes souvent convoqués quand on parle de Poitiers.
Il fait attention de rappeler qu'on ne connaît ni la date de la bataille, ni son lieu, ni le nombre de combattants. Quand, à la fin, Christine Kelly résume en disant que Charles Martel a « stoppé l'invasion arabe », Ferrand intervient pour dire qu'il faut nuancer cette idée
Enfin, Ferrand rappelle bien que la bataille a été a posteriori réinterprétée, et que dans ce récit « on parle plus de mémoire que de faits historiques ». La preuve qu'on peut sans problème introduire de la complexité dans une émission de vulgarisation historique... !
36'57 [Franck Ferrand] « plus tard, au moment des croisades, on va faire de la victoire de Charles Martel à Poitiers le point de départ, l'ancrage historique de ces croisades »
Là, pour le coup, il s'agit d'une énorme erreur.
Aucun chroniqueur des croisades ne parle, ni en bien ni en mal, de la bataille de Poitiers. Littéralement aucun. Il faut dire qu'à l'époque Charles Martel n'a pas bonne presse, car on l'accuse d'avoir spolié les biens de l'Église.
Alors, d'où est-ce que Franck Ferrand tire cette idée ? De Chateaubriand, je pense. C'est lui, en effet, qui écrit que « les Maures, que Charles Martel extermina, justifient les croisades » (c'est dans Le génie du christianisme, publié en 1802).
C'est très révélateur : on voit bien que les connaissances historiques de Franck Ferrand ne viennent pas du tout des sources de l'époque médiévale, mais uniquement de la manière dont les auteurs du XIXe siècle ont raconté et réinventé, parfois de très loin, cette époque... !
Bilan ? On a évité le pire, notamment sur Poitiers. Mais nos deux « confrères » (sic) n'ont toujours cité aucune source, ont repris des clichés sans les analyser, ont confondu des motifs littéraires venus d'époque différente... Bref, il y a encore du boulot !
Comme toujours, on propose pas mal de références pour aller plus loin. L'ouvrage de William Blanc et Christophe Naudin, en particulier, est une lecture nécessaire pour travailler sur la bataille de Poitiers.
Le dernier épisode de « La belle histoire de France », animé par Franck Ferrand sur @CNEWS, portait sur la période des "grandes invasions". Comme le précédent, c'est un mélange d'erreurs, de clichés et de visions politiquement orientées. Un thread ⬇️! #medievaltwitter#histoire
Des erreurs, d'abord. Par exemple ici :
"A Andrinople, les Wisigoths ont carrément mis en fuite l'empereur romain d'Orient Valens" (03'51)
Jolie boulette, car lors de la bataille d'Andrinople l'empereur Valens est "carrément"... tué. Oupsy.
"les Alains viennent d'Iran, comme vous pouvez le voir..." (4'47)
Les Alains sont effectivement un peuple originaire de l'actuel Iran, mais à ce moment-là Franck Ferrand montre l'Ukraine ou le sud-ouest de la Russie. Vivement qu'il anime une émission de géographie... !
Emmanuel #Macron, président « jupitérien » ? Lui-même n'a employé la formule qu'une seule fois, mais elle a vite envahi les médias. Or cette comparaison entre un dirigeant et les dieux de l'Antiquité a une longue histoire... ! Un thread ⬇️ #histoire#medievaltwitter
On pourrait bien sûr penser à la manière dont Louis XIV s'est comparé à Apollon, construisant sa légitimité autour de l'image du « roi Soleil ». Mais ces rapprochements sont également utilisés dès le Moyen Âge !
Vers la fin du XIIe siècle, Pierre d'Eboli, chroniqueur du sud de l'Italie, écrit un éloge de l'empereur Henri VI, sur commande du chancelier impérial. L'empereur y est souvent appelé « Jupiter Tonnant » et son épouse « Junon ».
En plein hiver, peut-être avez-vous apprécié une bonne raclette, ou des pâtes au parmesan... 🧀 Mais qui lait-cru ? Le fromage était loin de faire l’unanimité au Moyen Âge. Un thread ⬇️ ! #histoire#medievaltwitter
En effet, le fromage est globalement critiqué par les médecins médiévaux, qui le jugent difficile à digérer. Au Xe siècle, Isaac Israeli est catégorique : « le fromage est universellement très mauvais ». Vous voilà prévenus !
Considéré comme un aliment rustique, le fromage est plutôt réservé aux plus modestes. Il peut être un marqueur de distinction sociale : aux nobles la viande, aux valets le fromage.
La croisade... aventure chevaleresque, idéal chrétien... mais aussi cauchemar logistique. A la fin du Moyen Âge, les souverains cherchent à organiser LA croisade idéale. Et s'arrachent les cheveux. Un thread ⬇️ ! #histoire#medievaltwitter
En 1454, le duc de Bourgogne Philippe le Bon s'engage à partir en croisade lors du banquet dit du « vœu du Faisan ». Echaudé par le souvenir de la défaite de Nicopolis en 1396, le duc sollicite ses experts et espions pour préparer soigneusement son expédition.
Résultat : près de dix ans d'enquêtes, d'avis, de mémorandums, de contrats, conservés dans les Archives départementales de Lille et qui témoignent de l'élaboration méticuleuse d'une future croisade.
L'expression « Bois mes règles ! » circule dans les milieux féministes pour se débarrasser d'un homme devenu trop entreprenant. Dégoûter un homme en convoquant des aspects prétendument répugnants du corps féminin : au Moyen Âge, il s'agit d'un lieu commun. Un thread ⬇️!
Le prédicateur du Xe siècle Odon de Cluny écrit par exemple que « si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, la seule vue des femmes serait nauséabonde ». Une image qu'on retrouve dans le Roman de la Rose (XIIIe siècle)
Ces affirmations sont le fait d’hommes voulant écarter d’autres hommes de la compagnie réputée immorale des femmes. Celles-ci pouvaient-elles reprendre l’argument à leur compte et s’en servir comme celles du XXIe siècle ?
Saviez-vous qu'au XIIIe siècle, le roi Louis IX (= saint Louis) avait installé dans le nord de la France des centaines de Sarrasins convertis au christianisme, qui touchaient des pensions de l'Etat... ? Pour ce #VendrediLecture, un thread autour d'un livre récent ⬇️ ! #histoire
Le livre en question, c'est « La prunelle de ses yeux. Convertis de l'islam sous le règne de Louis IX », écrit par le médiéviste anglais W.C. Jordan et récemment traduit en français par Jacques Dalarun. (Publié par les @editionsehess)