1/ Avant-propos : des collègues du CRC de Mines ParisTech ont déjà réalisé de passionnantes recherches sur les affiches de radioprotection de J. Castan que je vous invite à découvrir.
Mais sur celle-ci, je pense qu’il est intéressant de pousser l’analyse ! crc.mines-paristech.fr/fr/publication…
2/ Commençons par l’affiche. Elle nous dévoile un dragon terrifiant », crachant du feu, avec un homme, tout sourire, en tenue blanche le tenant par la queue. Cette tenue « universelle de protection » est celle portée par les agents du CEA dans les 50-60’s (photo).
3/ Intéressons-nous au texte de cette affiche : elle est réalisée par Jacques Castan, pour le Service de Protection contre les Radiations (SPR) du CEA Marcoule, fondé en 1955, un an avant le démarrage du réacteur nucléaire G1 de Marcoule.
4/ Le SPR assure la radioprotection des travailleurs, l’évacuation des déchets radioactifs, la décontamination des locaux et du matériel, la surveillance de l’environnement, l’éducation des agents et l’information du public (photo : agents SPR en intervention à Marcoule en 1961).
5/ Sur l’affiche, il est noté « suivez soigneusement les consignes » et, sur le dragon, « criticalité », traduction littérale du terme anglais « criticality ». Quelques années plus tard, les experts du nucléaire français parlent de « criticité » (Rapports CEA de 1963 et 1966).
6/ Selon l’IRSN, le risque de criticité est le risque de déclenchement intempestif d'une réaction neutronique en chaîne. Les conséquences peuvent être une irradiation importante des opérateurs et, dans une moindre mesure, des rejets radioactifs dans l’environnement.
7/ N’étant pas spécialiste, je vous invite à lire ce thread de @e_punctatus sur la criticité :
8/ Revenons-en à nos dragons…Pourquoi Jacques Castan choisit cet animal imaginaire pour figurer le risque de criticalité/criticité ? En effet, le dragon est un animal effrayant, tout comme l’accident de criticité, mais est-ce la seule raison ? Évidemment non…
9/ Ce dragon est une référence à des expériences de criticité menées à Los Alamos en 1945 et 1946.
Pendant la seconde Guerre mondiale, le laboratoire de Los Alamos centralise les recherches scientifiques du Projet Manhattan, le projet US de développement des bombes atomiques.
10/ De nombreuses expériences de criticité vont se dérouler à Los Alamos. Voici le réacteur expérimental nommé « Dragon » (photo) disposé dans un local du site.
11/ Voici l’idée du physicien Otto R. Frisch (photo) qui propose cette expérience : Laisser tomber verticalement un petit projectile contenant de l'uranium en poudre hautement enrichi (hydrure d'uranium) le long d’une corde de piano qui doit passer à travers un assemblage.
12/ Cet assemblage comprend un anneau cylindrique d'hydrure d'uranium hautement enrichi. En passant l'uranium devant cet assemblage, il est possible de réaliser pendant une fraction de seconde, les conditions d'une réaction en chaîne neutronique...
13/ Mais la prise de risque est importante ! Si la matière fissile se coince pour X raisons dans l’assemblage, la réaction s’emballe et c’est l’explosion. En somme, un accident de criticité qui risque de tuer ou blesser les physiciens réalisant l'expérience…
14/ Pour éviter cela, les hommes et l’équipement d'exploitation et d'enregistrement sont placés dans une pièce à environ 10-12 mètres de l'assemblage et derrière un mur de 1,5 m de béton et de terre pour se protéger en cas d’accident.
15/ Lors de la réunion d'approbation de l'expérience, Richard Feynman, un des physiciens présents, commentant les risques encourus, déclare que c’est « comme chatouiller la queue d'un dragon endormi ». C’est de cette expression qu’est né le nom du réacteur : Dragon !
16/ A ce stade, ces expériences de criticité n'entraînent pas d’accident important (malgré des irradiations du personnel...un document parle de 250 mSv !) mais cette histoire n’est pas terminée…
Le Dragon est-il vraiment endormi ?
17/ Je vous présente 2 physiciens, Harry Daghlian et Louis Slotin. Sur cette vidéo, Daghlian est au fond, centre gauche et Slotin porte des lunettes de soleil. Il s'agit des préparatifs de l’essai Trinity (Nevada), le premier essai nucléaire de l’histoire, le 16 juillet 1945.
18/ Le 19 août, le Japon doit subir un 3ème bombardement atomique après ceux d'Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Ce largage n’a jamais eu lieu en raison de la capitulation du Japon le 15 août 1945. Le cœur de la 3ème bombe est resté à Los Alamos.
19/ Le 21 août 1945, le physicien Harry Daghlian réalise seul des expériences avec des réflecteurs de neutrons autour du cœur de plutonium. Lors de la mise en place de briques de réflecteur, il s’aperçoit que la brique qu'il approchait risquait de conduire à la sur-criticité.
20/ Dans un mouvement de retrait, il fait chuter la brique sur le système qui est devenu sur-critique et projette un fort rayonnement. Harry Daghlian reçoit une dose de radiation de 510 rem (5,1 Sv) et meurt 25 jours plus tard d’un syndrome d'irradiation aiguë.
21/ Cet accident ne va pas refroidir son collègue Louis Slotin, homme de spectacle, qui a pour habitude de réaliser des expériences en blue-jeans et bottes de cowboy, devant une salle pleine d’observateurs ! Enrico Fermi l'estime mort dans l'année s'il continue ses expériences.
22/ Le 21 mai 1946, Louis Slotin tente une nouvelle expérience avec sept collègues, toujours à Los Alamos dans un petit local. L’expérience consiste à mesurer les flux de neutrons émis par un assemblage recouvert par une demi-sphère de béryllium.
23/ Celle-ci est conçue de manière à empêcher les fuites sur le plan équatorial mais est dotée d’un orifice traversant à son sommet destiné à accueillir un bouchon. Cette sphère de béryllium est une nouveauté fraîchement usinée. On peut supposer que Slotin découvre ce matériel…
24/ Lors de la manipulation, Louis Slotin maintient les deux sphères de béryllium hors de contact par le biais d’un tournevis plat tout en maintenant sa main sur la sphère avec son pouce dans l’orifice polaire.
25/ La marge d'erreur d'une telle expérience est très faible. Un défaut de conception peut rendre une masse critique possible. Laisser les deux hémisphères se refermer complètement aurait pu provoquer la formation instantanée d’une masse critique et un accident de criticité !
26/ Une nouvelle fois, l’expérience va tourner au drame…
27/ Le tournevis maintenu par Slotin glisse et l'hémisphère supérieur en béryllium tombe et recouvre l'hémisphère inférieur, provoquant une réaction critique. Un flash traverse la pièce. Slotin pousse de la main l'hémisphère supérieur pour le faire tomber et stopper la réaction.
28/ Il sort de la pièce, vomit et est immédiatement emmené à l'hôpital. Neuf jours après l’accident, Slotin décède du syndrome d'irradiation aiguë à l'hôpital…
29/ On estime que Slotin a reçu l’équivalent d’une dose de 880 rem (8,8 Sv). Plusieurs des observateurs de cette expérience mourront des années plus tard de complications induites par les irradiations : leucémie et anémie aplasique clinique notamment.
30/ Les expériences du réacteur Dragon et ces accidents du “Demon core” vont devenir de véritables légendes au début de l'ère nucléaire.
C’est pourquoi, pour rappeler le risque de criticité aux opérateurs, un dragon terrifiant trônait dans les locaux du CEA Marcoule !
Il y a 35 ans jour pour jour, avait lieu l’accident #nucléaire de #Tchernobyl. En France, cet accident a entrainé de profonds changements en matière de gouvernance des risques nucléaires.
Thread avec @MathiasRoger6 : La gouvernance des risques nucléaires après Tchernobyl.
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1/ Avant-propos : Ce thread traite des changements en matière de gouvernance des risques. Nous ne développons donc pas de sujets déjà traités par ailleurs (affaire du nuage) et de certaines modifications matérielles/organisationnelles sur les installations nucléaires françaises.
2/ Par gouvernance nous entendons notamment l’évolution de la communication, du système d’acteurs ou encore du cadre réglementaire.
Avant l’accident de Tchernobyl, la gouvernance des risques nucléaires en France est assurée essentiellement par une poignée d’organismes.
Savez-vous qu’après Tchernobyl, la centrale #nucléaire soviétique de Kozloduy (#Bulgarie) affole les experts, politiques et industriels des « pays de l’Ouest » ?
1/ Le 26 avril 1986, l’accident de Tchernobyl (réacteur soviétique type RBMK (Reaktor Bolshoy Moshchnosti Kanalnyi, en FR réacteur de grande puissance à tube de force) choque le monde entier et devient rapidement un symbole du déclin de l’URSS.
2/ Après des années très mouvementées, le 25 décembre 1991, le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, huitième et dernier dirigeant de l'URSS, démissionne. Cet évènement marque la fin de l’URSS, qui existait depuis 1922.
1/ Leona Harriet Woods est née dans une ferme de l'Illinois (USA), le 9 août 1919. Après des études de chimie, elle réalise une thèse de doctorat sur la spectroscopie des molécules d'oxyde de silicium auprès du futur prix Nobel de Chimie Robert Mulliken et de Stanisław Mrozowski.
2/ A partir de 1942, elle travaille seule car ses jeunes collègues étudiants hommes sont réquisitionnés pour l’effort de guerre. Elle rencontre alors Herbert Anderson (à gauche) qui travaille avec un certain Enrico Fermi (à droite) sur la réaction en chaine…
1/ Avant-propos : Nous ne sommes sismologues, mais nous avons étudié la façon dont les experts du nucléaire évaluent les risques et élaborent la réglementation. Si vous voulez plus de détails techniques, vous pouvez vous référer aux rapports de l'AIEA (@iaeaorg, voir sources).
2/ Après les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagazaki (1945) et la fin de l’occupation US du Japon (1952), les Japonais se lancent dans le nucléaire civil dans le cadre du programme US « Atoms for peace » lancé par le président Eisenhower en 1953 aux Nations unies (photo).
Tournant 1960-1970, la France vend sa 1ère et unique centrale #nucléaire de la filière « uranium naturel graphite gaz » à l’Espagne.
Un réacteur au cœur d’un projet d’une bombe atomique espagnole qui va connaitre une fin tragique…
Thread : La grande histoire de Vandellòs 1
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1/ Après les premiers réacteurs de recherche fin 40’s et 50’s, le réacteur militaire G1 du CEA Marcoule produit en 1956 les premiers kilowatts-heures d’électricité et entrouvre la porte au #nucléaire civil en #France.
2/ C’est à Chinon, au début des années 1960, que débute réellement l’ère industrielle de la filière CEA - EDF « Uranium Naturel Graphite Gaz » (UNGG) avec 3 réacteurs, modérés au graphite et refroidis au CO2.
Un épisode de #neige impressionnant est en cours en #Espagne ! La neige peut aussi créer des problèmes sur une installation #nucléaire.
C’est déjà arrivé…
Mini thread « Neige et sûreté nucléaire ».
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1/ Sur la Hague, un épisode de neige marquant se déroule en février 1970. Le site est coupé en électricité du 13 au 17 février et fonctionne via des groupes électrogènes de secours, alimentés au fuel domestique. Un second épisode se déroule en février 1979 (photo).
2/ L’épisode récent le plus marquant sur la Hague a lieu en mars 2013. L’accès au site est rendu très compliqué par une tempête de neige historique. De nombreuses congères se forment et entravent la circulation.