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mathilde larrere @LarrereMathilde
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Je vous l'avais promis

le voici

Nouveau cours d’Herstory

Criminalité et justice au prisme du genre

«Femmes, présumées coupables »
1)Je ne vous apprendrai pas si la loi et la justice sont censées être les mêmes pour tous, il suffit de regarder le déroulement de la justice, de l’arrestation à l’exécution de la peine pour savoir qu’il y a en pratique une justice de classe, de race, et de genre
2)Les imaginaires, les médias mais aussi le fonctionnement de la justice a construit des crimes genrés, identifiés comme féminins, cependant que la justice (comme la police) se révèle sexiste.
3)Les femmes ne sont pas traitées par la police et la justice comme le sont les hommes.
On ne leur pose pas les mêmes questions.
On n’attend pas d’elles le même comportement.
On n’accepte pas d’elles les mêmes choses.
4)L’imaginaire féminin qui rattache la femme à la vie (parce qu’elle enfante) rend plus insupportable le fait qu’elle puisse donner la mort, comme si c’était pour une femme, à la différence d’un homme, « contre nature ».
6)Auj entre 5 à 10 % des individus dans les mains de la justice, 3% de la popu carcérale sont des femmes, une proportion qui a peu variée depuis le Moyen Age

On notera toutefois qu’au 19e sc il y avait bcp plus de femmes en prison que de nos jours
7) Dans les 2 1er tiers du 19e, 28% de la population carcérale était féminine
8)Les femmes en prison étaient traitées avec rigueur. Tout était fait pour les « moraliser », sous la surveillance de congrégations religieuses
Silence, travail et religion étaient la règle
9)De nombreuses féministes du 19e se sont battues pour améliorer les conditions d’incarcération des femmes et limiter le recours à la prison,

Elles montraient que de nombreuses femmes emprisonnées sont avant tout victimes d’un ordre social et juridique injuste car patriarcal
10) Elles se battaient aussi pour qu’on aménage les peines des femmes enceintes ou jeunes maman. Et de fait, des pouponnières ont été ouvertes dans les prisons de femmes
11)La question du traitement des femmes en prison est revenue sur le devant de la sc publique dans les années 1970, suite à une grève de la fin de deux détenues à la centrale de rennes (Agnès et Claudine, 1979)

(désolée pour le gif, mais j'adore cette série!)
12)Si les femmes commettent les mêmes délits que les hommes, il y a certaines qualifications pénales où les femmes sont sur représentées, soit que les femmes les commettent plus que les hommes, soit qu’on les impute particulièrement aux femmes
13)Et une des caractéristiques des procès de femmes est que quasi tjrs la sexualité s’y invite. Les femmes, à la différence des hommes, sont questionnées sur leur sexualité, tjrs suspecte
14) Une excellente exposition l’année dernière aux archives nationales avait ainsi défini 5 archétypes de femmes criminelles, "présumées coupables" : la sorcière, l’empoisonneuse, l’infanticide, la pétroleuse et la tondue
15)je rajouterai d’autres archétypes qui à mon sens manquaient : la prostituée, l’avortée ou l’avorteuse, la femme adultère, la femme violée (plus traitée en coupable qu’en victime)
16)Commençons par la sorcière. De la fin du Moyen Age au Lumières, l’Europe s’est partout lancée dans une chasse aux sorcières. Il y avait aussi qq sorciers, mais ce sont surtout des femmes qui étaient visées
17)La justice mêle alors justice d’état et d’église, droit canon, droit pénal et démonologie (le premier manuel de démonologie s’appelle le Marteau des sorcières, écrit à Strasbourg par deux inquisiteurs en 1486)
18)La sorcière est construite à partir de toutes les transgressions de la morale chrétienne
La sorcière est cannibale, infanticide, elle urine dans les bénitiers, déchire les hosties avec ses dents, dévore les nouveaux nés et surtout fornique avec le diable lors du sabbat
19)Une épidémie, des vaches qui meurent dans une étable, un bébé difforme, et l’on se lançait dans la chasse aux sorcières

(je vous mets un peu de biblio en image)
20)Ce sont svt des femmes qui dénoncent d'autres femmes...Des femmes que la communauté avant stigmatisait et là accuse
La veuve, la célibataire, la jeune fille séductrice, souvent des marginales, pauvres, socialement fragilisées.
21)La procédure judiciaire comprend instruction secrète, recherche médico- légale de la marque du diable, question sous torture et en cas de jugement, bucher
22)
Lors de la recherche de la « marque du diable », la femme était déshabillée, entièrement rasée, inspectée totalement : La peau, mais aussi les parties intimes, l’intérieur du nez, des oreilles, la face interne des paupières
23) Le bourreau ou le chirurgien, munis d’une longue aiguille, piquaient chaque marque suspecte, la « marque du diable » étant réputée indolore
24)Les sorcières étaient brulées, ce qui était le supplice des hérétiques
Le feu du bucher doit servir de purification de l’ensemble du corps social
25)Le patronyme de la sorcière n’est noté ni dans le livre des morts, ni dans les registres d’état, volonté de néantisation sociale
Nul ne peut hériter des biens d’une sorcière, récupérés par l’état
26)La sorcière meurt donc en ennemie déchue du genre humain, au cœur d’une justice qui relève de la pédagogie de l’effroi
27)A ces procès qu’on estime autour de 100 000 dont près de la1/2 de condamnations à mort, il faut ajouter des justices populaires, des lynchages.

Le plus fort moment de cette chasse aux sorcières n’étant pas le MA comme on le croit souvent mais fin XV jusqu’au milieu 16e sc
28)
Mi 17e sc des voix s’élèvent contre les traitements infligés aux sorcières. Dans l’Europe qui sort des grandes guerres de religion, la démonologie décline, avec elle la peur du Mal et l’idée que des sorcières puissent le répandre.
Le cartésianisme s’impose
29)Satan sort des cours de justice si l’on peut dire, les juges abandonnent les traités de démonologie pour s’en tenir aux codes pénaux pour rendre la justice
Le nombre de procès diminuent, de condamnation aussi
bon je reprendrais plus tard (mais je sais pas quand) avec les empoisonneuses!
Coucou

je reprends mon fil d'histoire des "Présumées coupables"

aujourd'hui

Les empoisonneuses
30) L’empoisonnement est le crime féminin par ex
D’abord dans les imaginaires
En témoignent les nombreuses figures d’empoisonneuses dans la littérature, la mythologie. Circée, Médée, Agrippine...
31)De facto, les femmes ont plus souvent recours au poison pour tuer que les hommes
Ce qui s’explique parce que la culture des armes est en elle même genrée, que les femmes sont moins formées aux armes que les hommes, y ont moins accès.
32)Là où les imaginaires et les constructions de genre s’invitent tient au fait que l’empoisonnement est d’autant mal perçu qu’il perturbe les stéréotypes de genre
33)La femme est celle qui nourrit. Si elle tue par la nourriture, en empoissonnant boisson ou nourriture, elle transgresse doublement, par homicide et par inversion des attributions traditionnelles
34)Le crime d’empoisonnement est jugé d’autant plus monstrueux qu’il est occulte et prémédité, et pire encore qd il trahit la confiance du familier et subvertit les relations hommes- femmes dans le cadre du foyer
35)les procès montrent tjrs que la figure de l’empoisonneuse est construite par la justice et les journaux judiciaires comme une femme rebelle à la domination masculine, cependant que sa sexualité est tjours soupçonnée
36) qq grands procès ont défrayé la chronique.
On pourra citer celui de Violette Nozière. En 1933 on découvre les parents de V. Nozière inanimés à leur domicile.
Le père décède. La mère survit. Ils ont été asphyxiés
37) Mais qud la mère se réveille, elle accuse sa fille d’avoir voulu les tuer.
L’enquête révèle deux choses :
1- les parents ont été drogués pour dormir et ne pas réagir à l'asphyxie
2 – Leur fille a une vie sexuelle assez libre.

Et là voilà coupable idéale !
38)l’affaire défraie les chroniques, la foule se presse au tribunal, Violette est défendue par un des ténors du barreau de l’époque
39)
Si le procès retient surtout le nombre d’amant de Violette Nozière, les soupçons de prostitution.
Mais Violette révèle que son père était incestueux, que sa mère fermait les yeux. L’opinion publique se divise : qui est le/la plus victime des parents ou de Violette Nozière ?
41)La droite fustige en Violette une jeunesse d’après-guerre dévoyée, fait appel à l’ordre moral et au retour des valeurs
42)La gauche fait de Violette, un symbole de la lutte contre la société et ses dérives. Les surréalistes prennent la défense de Violette qui devient leur muse. Aragon signe en 1933 une chronique dans l'Humanité où il la présente comme une victime du patriarcat.
43)Elle est condamnée à mort, peine commuée en travaux forcés à perpet (on ne guillotinait plus les femmes alors). Elle sera libérée en 1945 pour bonne conduite et réhabilitée en 63
à noter ce film excellent de Chabrol et ces BD (je les ai pas lues...)
44) On pourra aussi cité le fameux procès de Marie Besnard, dite l’empoisonneuse de Loudun, tjrs coiffée d’une mantille, prévenue en 1948 d’empoisonnement sur son mari à l’arsenic. On la traité de « sorcière » et on évoquait sa liaison avec un soldat allemand
45)Après 3 procès d’assise elle sera en 1961 finalement acquittée les preuves ne résistent pas à l’analyse, l’opinion publique s’inverse. elle est soutenue par Trenet. Elle aura fait 5 ans de prison en tout
46)
Si la femme qui empoisonne son mari ou la fille qui empoisonne son père est monstrueuse, imaginez la mère qui tue son enfant....

suite du fil à venir

Les infanticides
je reprends ça vous dit?
47)On parlera ici de l’infanticide tel que défini par l’édit de 1556, donc le meurtre d’un nouveau né. Ce crime est considéré comme horrible non seulement car la mère tue l’enfant, ce qui est contraire aux normes de la bonne mère
48)Mais aussi parce que l’enfant est tué hors baptême ce qui revient à lui fermer les portes du paradis et du salut éternel (et le réduire à errer dans les limbes)
49)Qui plus est, ce crime est tjrs soupçonné de préméditation (d’où l’attention des femmes lors des procès à affirmer qu’elles ne savaient pas qu’elles étaient enceintes)
50)
Celles et ceux qui ont étudié les cas d’infanticides montrent que dans la maj des cas il s’agit de fille-mères, pauvres, abandonnées. Des grossesses de la honte, de la solitude et de la misère que l’on cache et dont on élimine le fruit.
51)L’opprobre croissante contre les filles mères, le fait qu’elles puissent de moins en moins au cours du 18e sc, puis plus du tout avec le code civil se retourner vers la justice pour faire reconnaître les pères augmentent les recours à l’infanticide
52)Dans les moments où l’abandon est autorisé et facilité (avec les tours dans les orphelinats), l’infanticide diminue. Dans les périodes où l’abandon est rendu difficile (fermeture des tours, et criminalisation des femmes qui abandonnent), le nombre d’infanticide augmente
53)Lors des procès d’infanticides, les juges interrogent tjrs la jeune fille sur la conception, à force détail, comme si l’on cherchait à montrer qu’elle fut légère, qu’elle l’a bien cherché.
54)le récit des femmes est plus souvent celui de viols, ou de séductions trompeuses et d’abandon, à la fois car cela correspond aux faits et parce que c’est un moyen de faire jouer les circonstances atténuantes
55)Ces femmes, qd elles découvrent leur grossesse, essaient d’avorter mais en cas d’échec (fréquent jusqu’au 19e), elles cachent leur grossesse (sinon la communauté les surveille, justement pour empêcher l'infanticide
mais aussi, nb étant domestique, pour éviter de se faire virer
56)Des femmes qui accouchent seules (puisqu’elles se cachent )
L’enfant est alors tué à la naissance et souvent de façon violente dans une situation de panique et de détresse.
Puis dissimulé pour échapper aux poursuites
57) Le nombre d’infanticide diminue à la fin du 19e, parce que l’abandon est facilité, que les techniques d’avortement sont plus efficaces
58)De nos jours les rares affaires d’infanticide défraient toujours la chronique, même si elles sont plus traité sous l'angle psy qu’avant

(ce livre m'avait marqué qd je l'avais lu)
la suite du fil à venir (mais je sais pas quand, quand j'aurai le temps)

la pétroleuse!!!! criminalisation des militantes, des insurgées, des révoltées
59) Allez, on continue ! Les insurgées devant la justice !!!!
60)Lors des insurrections les femmes participent (je vous ai fait un cours entier la dessus donc je passe vite), et sont arrêtées et jugées.

... Mais pas tout à fait comme les hommes
61)si on reproche aux hommes de s’être révoltés contre l’ordre, on reproche en + aux femmes d’avoir "abjuré leur sexe" (Chaumette 1793)
La violence politique des femmes est doublement illégitime pour le pouvoir, du pdv de la transgression de l’ordre public et des normes de genre
62)On peint l’insurgée sous les traits d’une virago, laide, mauvaise femme mère épouse, dépravée
Les stéréotypes qui écartent les femmes des urnes conduisent à la juger plus durement qd elle rejoint l'émeute
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