Thread by @AnoukF2

#thread Je voulais juste vous parler d'L.
L., elle a 31 ans, des cheveux bruns, longs jusqu'au derrière, le sourire du matin au soir et de l'énergie à en revendre. L. elle est grande, elle est belle. Ma mère, quand elle l'a vue, elle m'a dit : « Dis-donc, elle a un joli visage »

Oui, L. est grosse. L. est obèse. 125 kilos au compteur. « Et encore, je suis déjà montée jusqu'à 141 ! , s'amuse t-elle parfois à se souvenir ».
Mais croyez-moi pourtant, ca ne l'amuse pas, pas du tout.
Ce joli visage qui sourit tant se bat, depuis presque 31 ans, contre ce

corps qui l'encombre parfois, qui, même si elle ne le dit pas, même si ça ne se voit pas, qui l'obsède, aussi.
A 12 ans, elle est allée dans un « centre pour gros » comme elle dit, là-haut dans la montagne.
A 16 ans, elle ne s'est même pas rendue compte qu'elle était enceinte.

A 21 ans, elle a fait mettre un anneau. C'était révolutionnaire à l'époque. La révolution a fait long feu.
Quand je l'ai connue, elle avait 27 ans. Je l'ai trouvé grosse, très grosse. Elle était grosse. Ses joues étaient grosses, ses jambes étaient grosses.

Oui, je l'avoue, comme beaucoup d'autres, c'est ce que j'ai vu d'elle en premier. Et puis j'ai vite fait connaissance avec le reste pour finir par aimer le tout.
A 28 ans, elle a commencé un régime. Non non, pas le petit régime où on « fait attention ». LE régime.

Pas de féculent, plus de sucre, plus rien. Concombres, haricots, tomates, ajouté à un courage et à une détermination que je n'avais encore jamais cotoyés. Résultats fulgurants : 50 kilos en moins d'un an.

L. était belle. Pas plus qu'avant, juste parce que ce corps-là semblait un peu moins l'encombrer, des fois. Juste parce qu'elle était fière. Seule. Toute seule, elle avait réussi.
Tout le monde lui disait. Le même Tout le monde qui faisait semblant de n'avoir pas vu, avant,

qu'il y en avait un peu trop. Ce même Tout le monde qui lui trouvait un si « beau visage » la félicitait, l'encourageait.
Deux ans, deux ans et demi. Elle a tenu bon. Elle en a chié, pardonnez moi l'expression, mais il n'y en a pas d'autre. Et puis fini. Elle a repris.

Ils sont revenus. Doucement au début. Ensuite il y a le découragement, le miroir, le pèse-personne, tout le monde qui ne félicite plus, n'encourage plus.
L. n'y arrivera pas seule. Elle a pris sa décision. Elle va se faire opérer. Sleeve. En bon français médica

« gastrectomie en traitement chirurgical de l'obésité ». Le chemin est long. Il faut écumer les spécialistes, passer des tests, des radios, des échographies. Même le pyschiatre donne son avis. Elle est déterminée, comme toujours, plus que jamais. Il faudra aussi

cet anneau qui ne sert plus à rien. Elle le fera. Il faut voir un cardiologue, aussi. Elle y est. Elle attend. La porte s'ouvre. Le cardiologue l'appelle. Elle se lève, passe un pied dans la salle d'auscultation. « Ah, bah j'imagine que c'est pour une sleeve ! »

Un coup de poignard n'aurait sans doute pas fait moins mal.
Elle avale sa salive, confirme, raconte son parcours, son envie, son besoin.
« Oui, bon, on va voir ça, mais faudrait peut-être commencer par faire du sport, non ? »
L. fait du sport. Au moins une heure par semaine.

Le reste du temps, elle court, tout le temps, elle ne s'arrête jamais. Monte les escaliers, descend, remonte, longe le couloir dans un sens, puis dans l'autre, cours, le téléphone sonne ! Je vous ai dit qu'elle était directrice d'école ? Une directrice d'école, ça ne pose jamais

son (gros) cul sur sa chaise bien longtemps, croyez-moi.
A ce cardiologue, elle ne dit rien. Elle encaisse. Elle rumine, mais elle encaisse.
Les semaines passent.
Hypertension.
Il faut faire une journée de test, avec un tensiomètre au bras. Puis retour chez le cardiologue.

Elle n'y va pas sereine. Elle n'a pas aimé le premier rendez vous .
Rassurée (un peu), ce n'est pas le même médecin que la dernière fois.
Une femme.
De toutes façons, ça ne pourra pas être pire. Ca ne pourra pas être plus humiliant.
Hypertension confirmée.
Traitement lourd.

"Quand est-ce que vous vous faites opérer ?
- Dans trois semaines, une première opération pour enlever l'anneau.
- Vous avez un anneau ?
- Oui..
- Ah bah dites donc, même avec un anneau !!
- Comment ça ?
- Bah, 125 kilos avec un anneau, c'est.. comment dire.. c'est beaucoup. »

se réinstalle sur sa chaise. Enfin je l'imagine. Je le sais même. Elle a du se redresser, remonter droit son dos sur le dossier et attendre la suite.
« Vous êtes en train de me dire quoi, là, exactement, vous êtes médecin non, votre rôle est d'être bienveillant, à l'écoute

pas de juger les gens avec des propos à l'emporté.
- Non, mais bon, des personnes de 125 kilos à 31 ans, on n'en voit pas beaucoup, excusez moi.
- Vous savez que l'obésité est une maladie, reconnue par l'OMS ?
- Oui, alors ça... euh.. bref.
Comment ça, bref ? »

Elle s'est emportée, L., elle s'est sentie jugée, montrée du doigt, accusée alors qu'elle venait juste demander de l'aide, être entendue, accompagnée, comprise.
Alors elle lui a dit de tout.
Qu'elle ne quitterait pas ce cabinet sans excuse de sa part.

Que, elle, quand elle recevait un parent d'élève elle ne lui disait pas qu'un enfant aussi débile, elle avait rarement vu ça. Elle essayait de comprendre, d'entendre, d'accompagner.
Et moi, quand elle m'a raconté ça, j'ai eu envie d'hurler, gerber, taper, au choix.

J'ai préféré écrire ça ici. #grossophobie #obesité #soignantssoignés #bienveillance @BeaulieuBap