Thread by @bertrandchazaly

Un petit thread sur les relevés 3D sur #NotreDame :
Je vois fleurir un nombre incalculable d'articles sur le clone numérique de la cathédrale. L'article de @Willvs dans @LeMonde résume bien tout ce qu'il s'est dit ces derniers jours à ce sujet.
Qu'en est-il vraiment ?

Difficile de le dire. La première numérisation dense de la cathédrale date de 2002, réalisée par le cabinet CMS MOREL (disparu depuis) et la société pionnière MENSI (qui a réalisé les premiers scans avec EDF dans la grotte Cosquer ; aujourd'hui intégrée dans le groupe TRIMBLE).

Ce fut un bel exploit, mais la lourdeur et la relative lenteur (seulement 5.000 points par seconde) des capteurs de l'époque me font dire que la couverture de la cathédrale n'était sans doute pas optimale. Que sont devenues les données ?

En 2013, Andrew Tallon a enregistré an scanner 3D plus d'un milliard de points dans et autour de la cathédrale. On peut explorer une partie de son travail ici : truview.emea.leica-geosystems.com/site/59e8bd4e0…

Un milliard de points... Cela parait gigantesque quand on ne connait pas la technologie. Il faut savoir qu'aujourd'hui, une seule position de scanner enregistre 45 millions de points, à une densité de 6 mm dans un rayon de 10 m.

Depuis cette position, beaucoup d'objets sont masqués. Il faut donc multiplier les points de vue (les positions) pour minimiser les masques, et garantir cette densité de 5 mm le long du cheminement dans le monument.
Un milliard de points 3D, ce n'est qu'une 20aine de positions.

Il semble qu'Andrew Tallon n'ait eu le temps (ou les moyens) d'enregistrer que 50 positions. C'est très très faible quand l'objectif est de cloner numériquement un tel espace.

D'autres opérations de numérisation ont eu lieu. La plus dense, couvrant la charpente de la nef, est celle des entreprises GEA et life3D, enregistrée en 2017 : life3d.fr/plans-modelisa…

La densité est certainement au rendez-vous. Espérons que cette archive apportera des informations essentielles sur la "forêt". Elle a été réalisée pour assister la conception des échafaudages qui coiffaient la flèche. Qu'en est-il des zones plus éloignées de la flèche ?

Enfin, on parle beaucoup du modèle 3D de la cathédrale dans le jeu Assassin’s Creed. Saluons au passage le geste d'@Ubisoft (un don de 500.000 €). Les restitutions de ce type sont généralement plus infographiques que géométriques.

Les infographistes déploient des trésors d'ingéniosité pour rendre la restitution la + réaliste possible avec un modèle le + léger possible, afin d'assurer la fluidité des déplacements dans le jeu. Quid de la précision et de la résolution du modèle une fois délesté de sa texture?

La problématique de la numérisation 3D est en fait assez complexe. Qu'en attend-on ?

Lorsqu'il intervient dans un but précis (concevoir un échafaudage par exemple), le lasergrammètre va orienter son levé, afin d'assurer un équilibre entre une bonne couverture de la zone d'étude, et le moins de positions possibles.

Ceci afin d'optimiser les temps de mobilisation et de traitement, et d'être compétitif financièrement. Tout ce qui ne sera pas directement concerné par l'objet du relevé sera beaucoup moins bien couvert, voire pas enregistré du tout.

La notion de clonage numérique implique d'assurer une couverture et une densité de points 3D permettant une exploitation par un maximum d'intervenants : historiens, archéologues du bâti, architectes, restaurateurs, conservateurs, artisans d'art, ingénieurs, chercheurs, etc.

Tous n'ont pas les mêmes besoins. Il est donc nécessaire de trouver un dénominateur commun : généralement des nuages de points acquis à une densité d'au moins 5 mm, colorés par des images panoramiques haute résolution auxquelles ils sont couplés.

A l'échelle de #NotreDame, ce sont plusieurs dizaines de milliards de points qu'il faudrait enregistrer, soit quelques semaines de mesures.

Cette notion de clonage implique aussi la mise en place d'un moyen d'archivage et de partage de ces données 3D denses. Dans d'autres secteurs comme l'industrie pétrochimique, ces moyens existent et fonctionnent parfaitement.

Il revient au @MinistereCC de mettre en place de tels moyens, dont il faut noter que les couts sont rapidement amortis par l'économie que représente la mutualisation et les possibilités d'exploitation de telles données.

(En dehors de la 3D, signalons le travail d'orfèvre mené par Rémi Fromont et Cédric Trentesaux, deux architectes de Patrimoine.)

m.a.j : la société @ArtGraphPat compile en ce moment les 15 années de mesures réalisées au cours de leurs nombreuses interventions dans la cathédrale. Une vidéo des données couvrant la charpente aujourd'hui disparue :

(Plutôt 25 années)