Thread by @DrJulieAncian

1. Sylvie H., 55 ans, vient d’être condamnée à 20 ans de prison pour les meurtres de 5 de ses nouveaux-nés entre 1990 et 2005 à #Galfingue. C’est une condamnation très lourde pour ce type de crime qui pose (entre autres) la question du sens de la peine.

2. Je viens de voir passer un tweet se plaignant qu’on n’entende jamais les féministes dans les affaires d’#infanticides par des mères… Il se trouve que je suis #féministe et que j’ai fait une thèse sur les #néonaticides 😘 donc voici qq précisions. Thread 👇🏼

3. Je n’ai pas assisté au procès mais j’aimerais réagir à qq choses lues dans les compte-rendus journalistiques en m’appuyant sur mon analyse de plusieurs affaires jugées entre 2005 et 2015 en France (archives presses, judiciaires et entretiens…).

4. Sylvie H. a tué ses nouveau-nés à la naissance, ap. des grossesses non prévues, dissimulées à l’entourage et des accouchements solitaires dans sa SDB. ⚠️Les néonaticides sont un sous type d’infanticide, presque exclusivement commis par les femmes qui accouchent.

5. C’est un acte très différent d’autres formes d’infanticides comme l’a montré dès 1969 le psychiatre étatsunien Philipp Resnick : l’infanticide sur des enfants de plus d’un jour peut être le résultat de maltraitances répétées (violences), ...

6. ... d’une psychose puerpérale, d’un infanticide par vengeance (en général après séparation mal vécue), ou pour mettre fin aux souffrances (réelles ou supposées) d’un enfant (dit « infanticide altruiste ») dans ces cas les grossesses n’ont pas été cachées. 🤔

7. Il montre aussi que le néonaticide est commis hors de toute pathologie mentale et que le mobile = parce que l’enfant n’est pas voulu. De nombreuses recherches ont par la suite confirmé cette typologie des infanticides et reconnu la spécificité du néonaticide.

8. Ds l’affaire de #Galfingue, la peine prononcée est conforme aux réquisitions, très lourdes. La plus lourde à ma connaissance si on met de côté une peine de 23 ans pour 2 néonaticides commis en récidive (= ap. avoir purgé une 1ère peine pr un précédent néonaticide).

9. Les peines pour les néonaticides sont très disparates (de quelques mois avec sursis à plusieurs années) et pas corrélées au nombre de victimes (sur 73 affaires jugées entre 2005-2015):

10. Ds l’affaire #Cottrez = 9 ans pour 8 néonaticides, ds une autre affaire 5 ans avec sursis (donc pas d’incarcération) pr 3 néonaticides. Qu’est-ce qui explique ces disparités? mode opératoire, âge, état de santé mentale, charges parentales... autant de pistes possibles.

11. Prises isolément ces variables ont peu de poids : c’est plutôt la manière dont elles sont assemblées pr produire un récit cohérent et vraisemblable qui peut s’avérer déterminante ds la formation du jugement, en gros comment st représentées les « mères infanticides ».

12. Les mêmes faits peuvent être interprétés différemment : les juges condamneront +/- femme « victime » ou femme « monstre » selon qu’ils/elles auront été convaincu·e·s par le récit de la défense ou du Ministère public.

13. Leur interprétation des faits est influencée par diverses représentations de ce que devrait être une femme, qui plus est, une mère. De nbx travaux ont montré les aspects genrés des récits produits au tribunal (K. Daly, G. Matoesian, S. Edwards, S. Ehrlich par ex.).

14. La défense a un intérêt stratégique à fre reconnaître un trouble de l’état mental et tend à construire un récit autour de la figure de la femme « folle » (coucou le #dénidegrossesse) ou de la « victime » ;

15. tandis que l’avocat gén. opte généralement pr la figure de la femme « monstrueuse ». Ces descriptions doivent être jugées plausibles et ne sont élaborées qu’en fonction de leur cohérence narrative càd si d’autres éléments versés aux débats peuvent les accréditer.

16 : Exemples : l’avocat gén va insister sur le fait que la femme « monstre » ne manifeste pas d’émotion, ne pleure pas, ne dit pas « mes bébés », mais « des paquets », « des choses », ou n’a pas donné de prénoms aux nouveau-nés.

17. L’avocat de la déf. va souligner l’existence d’un déni de grossesse, de traumatismes anciens, pour convaincre d’une altération du discernement qui peut faire diminuer la peine encourue (de perpet’ à 30 ans).

18. Ce faisant, ces récits passent sous silence ce que disent les accusées elles-mêmes, quand elles arrivent à parler (ce qui n’est pas facile : cf. la honte, la peur, les regrets, la solennité de la cour etc.)

19 : 👉🏼« Ces bébés j’en voulais pas » : c’est ce que disait D. Cottrez, c’est ce qu’a dit Sylvie H., et quelques autres qui en ont eu le courage : un aveu pas évident dans une société qui sacralise la maternité.

20. Alors refus de maternité ou déni de grossesse ? Le psychiatre Henri Brunner a (à mon humble avis) tout compris

21. Lire aussi :

22. La focalisation sur #dénidegrossesse (trouble aux définitions multiples, svt évoqué et raremt diagnostiqué ds ces procès –ms c’est un autre vaste sujet cf. Tursz 2010), empêche de s’intéresser au refus d’enfant qui sous-tend systématiquemt les aff. de néonaticides.

23. Qu’ils la décrivent comme victime ou monstre, les récits produits en cour d’assises évacuent presto le fait que des femmes puissent être enceintes et poursuivre une grossesse à terme sans l’avoir voulu (eh oui, c’est possible).

24. Ils ignorent les obstacles rencontrés pr éviter ou mettre un terme à temps à une grossesse non prévue alors qu’il s’agit d’une réalité bien documentée. Nbx travaux là aussi dont notamment Bajos & Equipe GINE (2001) Sociologie des grossesses non prévues.

25. Quels sont ces obstacles ? Pourquoi ces femmes n’ont-elles pas pris de contraception, avorté ou accouché sous X ? c’est pas simple et il faudrait développer beaucoup ce thread déjà (trop ?) long pour tout dire.

26. Mais en bref :

27. Obstacles à l’IVG (je rappelle au passage que l’IVG n’est possible que jusqu’à 12 semaines de grossesse en France / c’est 24 au Royaume-Uni, 22 aux Pays-Bas, 18 en Suède, 14 en Espagne #jdcjdr)

28. Ces obstacles pourront sembler dérisoires mais rappelons que les centres IVG sont de + en + rares. Si pas de véhicule + horaires de boulot étendus + charges familiales + peur des commérages = bcp de choses peuvent freiner la consultation.

29. Il faut prendre en compte aussi le contexte dans lequel ces actes prennent place : la peur de parler au conjoint/aux parents est souvent associé à climat de violences ou de harcèlement psy. Ces affaires évoquent systématiquemt « la chape du silence » dans ces familles.

30. Bref, les femmes qui tuent leur nouveau-né ne sont ni folles, ni monstres, ni victimes. Elle gèrent (de manière extrême) une grossesse catastrophique pq elles ne voient pas comment faire autrement, ne savent/peuvent pas se faire aider par un tiers.

31. 20 ans de prison, est-ce une sanction juste? De nombreux codes pénaux plafonnent les peines pour les cas de néonaticide, la France a une des législations les plus sévères sur le sujet depuis que le nouveau code pénal a fait disparaître la qualif’ d’infanticide en 1994.

32. L’analyse sociologique du néonaticide met en lumière pas mal de trucs sur les biais de genre et de classe de l’institution judiciaire et aussi de la société en ce qui concerne féminité, maternité etc.

33. Pour l’aspect « classe sociale » je finirai juste avec cette citation de Gisèle Halimi qui me semble s’appliquer pas mal aux procès de néonaticide (rappel : Marie-Claire Chevalier est la jeune femme jugée à Bobigny en 1972 pour avoir avorté).

34. FIN du Thread 👋🏼