Thread by @FranckMee

1. « Je vois des “e” commencés par la droite, des “t” partant du bas, des stylos mal tenus, des mains qui souffrent, des ­cahiers pas jolis », s’inquiète Delphine Guichard, enseignante de CM1-CM2
#thread #écriture #école
lemonde.fr/m-perso/articl…

C'est marrant, c'est exactement ce que j'ai entendu toute ma scolarité. Ma prof de français de 3e m'a fait lire une de mes copies moi-même parce qu'elle avait "du mal à lire [mes] pattes de mouche". Ma prof de bio de Tle m'a demandé si je fournissais la loupe pour me lire.

2. « Cela a empiré depuis […] 1992. Les élèves ont des écritures perturbantes pour le lecteur, pensent qu’il est normal de souffrir, et sont si lents pour prendre des notes que, même en terminale, je dois parler à un rythme de dictée », regrette […], prof. de lettres au lycée

C'est rigolo, c'est exactement le reproche que nous faisait mon prof d'histoire de terminale, qui nous faisait gratter environ 4 p/h et se plaignait qu'on ne prenait pas les notes au rythme où il parlait. (rappel : le 4 p/h est dans mon écriture "pattes de mouche")

"les parents qui, n’écrivant plus, rendent cette activité moins désirable pour l’enfant"

J'ai entendu ça au primaire (avant 1991 donc), style "les parents ne lisent plus, n'écrivent plus à part trois cartes postales par an, et on s'étonne que les enfants soient illettrés".

"Et l’écriture, donc la lecture, d’être un jour réservée à une élite."

J'ai un scoop : quand on dicte un SMS, le téléphone le convertit en texte, et ce texte est lu. Les gosses qui passent leurs journées à dicter des messages sont ceux qui lisent le plus.

Bref, cet article de @lemondefr me paraît extrêmement discutable, et léger niveau sources ("Untel a dit", c'est pas une étude scientifique).
Je ne dis pas qu'il n'y a aucun problème, notez.
Juste qu'il faut vérifier s'il y a problème, et aussi réfléchir à ses causes.

D'une part, l'attachement franco-français à la cursive fait concrètement enseigner QUATRE écritures : minuscules cursives, capitales cursives, minuscules typographiques, capitales typographiques.

Je me souviens du CP. J'avais bien compris l'intérêt des lettres, minuscules et capitales (j'ai plutôt été perturbé plus tard, avec mes premières écritures unicamérales, genre "mais comment on sait ce qui est un nom propre ?"). Je commençais à déchiffrer avec plaisir.

Je commençais à écrire "en bâtons" (capitales typographiques) et à m'intéresser à écrire en script.
Et là, vlan, on m'oblige à bosser un autre alphabet, vaguement apparenté mais franchement différent, qui ne sert à rien puisqu'on ne le trouve jamais dans un livre.

(Oui, j'avais déjà un côté Hermione, "tout ce qui est important est dans les livres".)
J'ai fait un vrai blocage sur l'écriture, et ça n'est qu'à l'adolescence que j'ai recommencé à écrire avec un relatif plaisir, alors que je dévorais tout ce que je trouvais à lire.

Aujourd'hui encore, quand je vois de belles cursives, je trouve ça joliment décoratif et j'ai une pointe d'admiration pour ceux qui les font, mais je trouve ça aussi agréable à lire qu'une pleine page de fraktur. #çaydelamard

Je suis convaincu que si on enseignait l'écriture manuscrite scripte, comme dans plein de pays où on a arrêté la plume d'oie et ses taches d'encre pour passer au stylo, les gosses feraient plus facilement le lien entre ce qu'ils écrivent et ce qu'ils lisent…

… et ça ferait un obstacle de moins à l'apprentissage de l'écrit. (Et côté souplesse des doigts, lever un stylo précisément pour pas laisser de trait accidentel entre deux lettres et faire des espaces régulières vaut bien la production de beaux 𝒷 ou 𝒻 cursifs.)

Vous me direz que c'est de l'anecdote personnelle, mais c'est tout ce que l'article produit à l'appui de son "l'écriture manuscrite disparaît c'est dramatique", donc MES anecdotes sont tout aussi valables.

Autre point : on a une liste quasiment infinie de cas de "c'était mieux avant".
Quand je lis un prof, sur la base de son avis personnel, affirmer que "ça a empiré depuis 92", je me dis que peut-être — peut-être, hein —, en 92, il sortait de la fac…

…où il avait passé 5 ans à relire ses notes manuscrites.
25 ans passent (merci pour le coup de vieux, soit dit en passant), il lit désormais beaucoup plus de texte typographique, et son cerveau à lui a de plus en plus de mal à décoder les cursives. #neurologie

Mais comme il n'est pas instinctif de se dire qu'on perd cette compétence, il accuse les élèves d'écrire plus mal que lui en son temps.
J'aimerais voir une étude scientifique à grande échelle comparant la relecture de devoirs rédigés dans les années 30, 60, 90 et maintenant.

Ce que je sais (#anecdote encore), c'est que quand j'ai rejeté un œil à mes vieux cours il y a quelques années, j'ai eu énormément de mal à les décoder. Alors qu'à l'époque, cette écriture, qui est la mienne et n'a pas changé des masses, m'était parfaitement lisible.

Si j'ai perdu la compétence de relire ma propre semi-cursive, je peux imaginer que la compétence de lire les cursives en général se dégrade.
Ça veut pas forcément dire que les jeunes d'aujourd'hui ne savent plus écrire, mais qu'on ne lit plus de cursive à part sur leurs copies.

La lecture est un entraînement, tout autant que l'écriture. Un pote qui était en DEA d'histoire me disait qu'il trouvait la fraktur super lisible après six mois dans les imprimés du 17e sur lesquels il bossait, alors qu'au début il y bitait rien. (J'en suis resté là, perso.)

Sur la douleur et la vitesse de prise de notes : d'une, quand j'étais au lycée, on était nombreux à avoir mal à la main et au bras en fin de journée. On trouvait ça normal. Là-dessus, rien n'a changé.
Mais 20 ans après, quand on est prof, on l'oublie un peu.

De deux, dans les années 90, on avait l'habitude d'attendre. La page d'accueil d'Altavista faisait moins de 10 ko, mais c'était déjà 5 secondes de téléchargement. On écrivait souvent à la main et on savait que l'écriture est plus lente que la parole.

Sauf mon prof d'histoire de terminale, qui lisait son texte Kennedy-style et ne s'interrompait que pour râler qu'on écrivait trop lentement.
Est-ce que par hasard, dans notre univers actuel où on trouve rageant que la CAF mette 24 h à répondre à un courriel, on n'aurait pas…

…un peu oublié que tout n'est pas instantané, et que les gosses qui prennent des notes écrivent naturellement plus lentement qu'on ne parle ?

J'ai plus de questions que de réponses, il y a sûrement des études à faire, si des socio/neurologues veulent s'y mettre ! 😉

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