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Mon entretien avec un créationniste! Eh oui. J'ai échangé récemment un très grand nombre de mails avec un créationniste. Thread DÉROULEZ
Je ne vous cache pas que parfois le débat fut houleux mais la plus part du temps on est arrivé à rester courtois. Voici les conclusions de cet échange qui donnent quelques clefs pour comprendre ce phénomène:
Si vous comptez lui parler de fossiles, de preuves, etc., vous vous trompez de problème. La première raison c'est que tous vos raisonnements et vos preuves reposent sur des connaissances qui ne sont pas partagées. Attention, je ne parle PAS là de choses avec lesquelles
il ne serait pas d'accord ; je parle de choses qu'il pourrait très bien comprendre, qui ne seraient absolument pas en opposition avec sa croyance, mais simplement qu'il ignore culturellement. Que ça soit le fonctionnement de la gravité, d'une cellule vivante, de la
tectonique des plaques, beaucoup de mécanismes lui seront totalement inconnus, même s'il peut paradoxalement sur certains autres maîtriser finement les choses : c’est simplement un contexte culturel différent. Ainsi, tous vos arguments les plus affûtés soient-ils
reposent avant tout sur une base d'acquis qu'il faudrait des années à niveler. Avant même d'aborder les choses avec lesquelles il n'est pas d'accord, il faudrait tout un cursus pour voir les choses qu'il serait prêt à admettre. Sans oublier que dans "ne pas savoir" le
pire aspect n'est pas ce qu’il nous manque, mais notre incapacité à estimer la taille de ce qu’il nous manque.
C’est un des points cruciaux. La question séduisante, confortable et diabolisante : "comment, dans notre contexte actuel, peut-on encore être aussi bête pour croire à la création divine?" est en fait une question partisane qui n'est pas la bonne.
Elle devrait être : "A quoi peut bien ressembler le contexte de quelqu'un pour qu'avec la même intelligence il conclut quelque chose d'aussi éloigné ?".
On peut systématiser ce genre de principe de symétrie, de relativisme, pour expliquer la position d'autrui, et cela peut devenir assez vite aliénant de constater qu'on fonctionne nous même bien moins différemment qu'on aimerait le croire. Cela consiste juste à inverser
les rôles et à vous demander ce que vous feriez, vous, dans une situation symétrique. Attention, il ne faut pas le faire avec comme exemple quelque chose que vous savez déjà faux - vous ne seriez pas objectif - mais bien avec une affirmation que vous croyez dur comme fer.
Il ne faut pas chercher uniquement à inverser le sujet pour comprendre, mais à inverser aussi l'émotionnel et le contextuel.
Regardons quelques exemples de relativisme: la simple lecture. Prenez un sujet que vous ne supportez pas, par exemple l'histoire de la création des espèces par Dieu. Vous ne serez clairement pas objectifs en lisant à ce sujet. Il est presque impossible d'aborder ces
choses sans une sorte de profond dégoût, un désintérêt, une sensation d’absurdité. L'émotion est bien plus présente que la raison ou l’écoute et votre contexte intellectuel de lecture est d'avantage rempli d'une liste de réserves que vous faites au fil de l'eau que du
fond du texte lui-même. Et bien dans le cas du créationniste, le triste constat est qu'il a en fait le même cerveau que vous.
Pour lui, tout texte sur la théorie de l'évolution ou qui contredit ses acquis déclenche une réaction totalement similaire qui va fournir une vue totalement déformée du propos ; propos qu'il ne retiendra que partiellement. Il passera à côté des points importants du
raisonnement, listera des réserves à chaque phrase. Au bilan le poids de ce qu'il lit ainsi de vos "preuves" sera terriblement plus faible que leur poids à vos yeux.
Ce qu'un texte créationniste vous fait à vous décrit très bien ce qui se passe pour eux dans l'autre sens, pour vous ça ne vaut rien, et pour eux l'inverse ne vaut rien non plus.
Un autre exemple de relativisme concerne les "études scientifiques". On peut se demander comment certaines études qui nous semblent parfaitement rigoureuses, peuvent ne pas suffire à convaincre un créationniste de son errance. Là encore pour comprendre comment c'est
mentalement possible, il vous suffit de vous utiliser vous-même comme cobaye, avec un exemple inverse. En cherchant bien vous pouvez trouver beaucoup d'exemple d'études acceptablement rigoureuses qui montreront des trucs avec lesquels vous n’êtes pas du tout d'accord.
Cela peut concerner l’homéopathie ou le paranormal par exemple. Tout résultat positif sera vu par vous sur ces sujets comme des "faux positifs". Vous "saurez" que quelque part dans le protocole expérimental quelque chose ne va pas. Ce genre de résultat n'aura à vos yeux
que très peu de poids. Et vous remarquerez que dans de tels cas, votre aptitude à générer des explications ad hoc sera exacerbée sans que ça ne vous gêne le moins du monde, alors qu'à l'inverse vous trouverez chez l'autre complètement absurde l'appel à de telles
explications ad hoc. Là encore le triste constat est que notre créationniste n'est pas différent : son mécanisme mental est exactement le même.
On peut trouver moult autres exemples de relativisme au cours de ce genre de conversation si on ose les chercher et faire l'effort. Et cet exercice est aliénant.
Cela nous amène essentiellement à ce qui définit ce en quoi on croit. Et c'est avant tout lié, bien avant tout raisonnement, à la composition majoritaire de notre contexte, au "consensus subjectif perçu". Dans le cas de mon créationniste, celui-ci a très peu voyagé,
il ne parle pas anglais et son entourage, proche famille comme amis, ainsi que la très grande majorité des gens vivant là où il vit, partage ses convictions. (Autre exemple de relativisme aliénant: vous êtes vraisemblablement dans un cas parfaitement symétrique).
C'est pour ces raisons que vous ne pourrez pas faire changer d'avis un créationniste par le dialogue, même si vous n'aviez pas besoin de niveler préalablement les connaissances scientifiques. Les gens ne changent d'avis que si on leur apporte quelque chose de poids
comparable à ce qui en eux s'y oppose. Que pourriez-vous trouver, qui aurait le poids de 20 ans d'existence et d’échanges sociaux?
En cherchant les différences de méthodes, je n'ai vu que très peu de points objectifs me séparant de mon créationniste (c'est vrai pour lui, ça peut être différent pour d'autres).
Le premier point c'est que je pense être capable de lister ce qu'il me faut pour changer d'avis sur un sujet, et c'est important que ça soit QUEL QUE SOIT le sujet, même sur le fait que la terre soit ronde, le fonctionnement de l’homéopathie ou le paranormal. Je ne veux
pas dire que cela doit remettre en cause votre degré de certitude, qui peut bien sûr rester très élevé ; et oui cela peut nécessiter une liste longue comme le bras d’arguments béton, mais il faut être capable, le plus sincèrement possible, de pouvoir ainsi lister tout
ce qu'on devrait voir pour être convaincu de l'inverse de ce qu'on croit, même au sujet de ce qu'on pense être le plus acquis des acquis. C'est le prix à payer de la méthode scientifique, c'est le prix à payer pour se revendiquer de ne pas être dogmatique.
La seconde différence est la place de la compréhension dans la preuve. Lorsqu'avec un même mécanisme je relie plusieurs phénomènes du monde observable, alors j'ai "compris" un truc.
Et le fait de pouvoir expliquer des choses sans rapport avec un unique principe donne à mes yeux du poids à la connaissance.
Et c'est le constat que je trouve le plus terrifiant à l'issue ma conversation : la curiosité ne semble pas être à ses yeux un réflexe, ni la comprehension n'avoir de poids dans la détermination de la connaissance. De notre côté la culture d'expliquer l'observable avec
un minimum de lois desquelles on peut tout déduire est très présente; on veut "réduire", "synthétiser" le réel. Et de son côté la culture du dogme développe une manière de penser relativement inverse: le monde ne s'explique pas, n'a en quelque sorte pas à être "compris".
La réalité est un ensemble de faits qui ne peuvent qu’être énumérés et sont juste ainsi, et cette énumération se transmet de sage en sage depuis la parole divine. C'est un peu comme si en quelque sorte, le fait d'avoir un savoir complet et parfait au sein d'un livre
capturant la parole de Dieu vous dispensait totalement de l’intérêt de comprendre et de réduire l'observable en un petit nombre de principes. Lorsqu'on "sait", "comprendre" devient ainsi superflu.
Pour nous la question "pourquoi?" peut avoir différentes réponses qui, au terme de travail d'analyse et de réflexion, nous semblent accessibles.
Pour eux la question "pourquoi?" est vécue très différemment, car la réponse est déjà là, ancrée profondément, et cette réponse - terrifiante à mes yeux via la privation de cette liberté personnelle de compréhension qu'elle implique -
cette réponse reflexe et inevitable à "pourquoi?" est : "parce que Dieu l'a voulu ainsi".
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