Thread 2. Hier midi, avec @FLafargue, nous nous sommes rendus à l’hôpital d’Hassaké, le plus important de la région du Rojava. Un bâtiment aux airs de vaisseau fantôme échoué dans la ville, sale, déglingué. #syrie
Le sol de l’ascenseur est noir de crasse. Les chambres sont délabrées. Rien n’est stérilisé ici. Même les virus tombent malades.
Une centaine de soldats des FDS sont soignés ici. La morgue est pleines de frigos et les frigos, pleins de corps. Nous n’y avons pas eu accès. Chaque armée contrôle sa communication. Mais plus de 300 soldats des FDS sont morts depuis le début de l’opération Source de paix.
Beaucoup de civils sont soignés ici aussi. Comme Sipan Faisal Osu, 30 ans, maigre, étique, un dessin de Giaccometti. Il est assis sur son lit. Il a le dos brûlé, les chairs ont fondu. Il a été touché par une bombe étrange le 13 octobre à Ainsissa.
Volontaire dans une association qui s’occupe des civils syriens et qui les aident à survivre dans ce merdier, il venait de finir un cours de sensibilisation aux dangers des mines devant une assemblée remuante de gamins dans la rue.
« Avec des photos, on leur expliquait comment reconnaître les mines, ce qu’il ne faut pas faire, les toucher, ce qu’il faut faire, prévenir les adultes. »
Après la leçon, l’équipe de Sipan se retrouve dans la rue. C’est la fin de l’après-midi. Soudain, des bruits de jet. Deux explosions. Des flammes. « Je n’avais jamais vu ça », dit Sipan. Sur les dix personnes du groupe, seules deux ont survécu, dont Sipan.
Chemise à carreaux, petites lunettes rondes, Ahmed Saïd, le directeur de l’hôpital explique que six personnes avec des blessures similaires ont été accueillies ici. Dont deux enfants. « Le moment le plus dur depuis le début pour nous. »
Tous ont été touchés autour de la ville de Ras al-Ayn. L’un des enfants était en train de jouer dans la rue quand il a été frappé. Lui aussi dit avoir vu un avion juste avant l’explosion. Les blessés ont tous raconté la même histoire. Des frappes aériennes, deux bombes.
Deux frappes simultanées pour saturer le terrain, faire le maximum de victimes, terroriser.
« Nous ne pouvons pas déterminer encore exactement quel est le type d’armes utilisés, nous avons prélevé des échantillons sur les blessures pour les faire analyser », raconte le directeur.
La nature des armes utilisées turlupine le docteur Abbas Mansourian. Blouse blanche, petit, oeil vif, pétillant. Il est Iranien, a connu la guerre Iran-Irak. Il a la nationalité suédoise.
« J’ai 66 ans mais ma mère m’en donne 60 », assure-t-il sous une moustache frémissante. Épidémiologiste, il profite de sa retraite pour aider à reconstruire le systme de santé dans cette partie de la Syrie. Il est ici depuis 4 mois.
« On faisait passer des examens d’entrée à la nouvelle faculté de médecine, 80 candidats sur 200 avaient déjà passé les épreuves, quand l’attaque turque a commencé. On a dû tout arrêter. »
Selon le docteur Abbas, les blessures observées sont spéciales. Chaque blessé a plusieurs centaines de perforations sur le corps, de toutes les tailles. Les cheveux sont intacts alors que le cuir chevelu, lui, est brûlé. Le corps fume littéralement.
Les blessés ont une chance sur deux de survivre à leurs blessures. Car ici, dans cet hôpital crasseux, les lésions s’infectent très vite. « Ils survivent aux bombes, pas aux bactéries. »
Certains blessés, dont les enfants, sont ou seront évacués à Erbil, au Kurdistan irakien, pour recevoir des soins appropriés. Sipan devrait bientôt partir.
Quelle arme la Turquie a-t-elle utilisé ? Le principal suspect est le phosphore blanc. Il peut servir à éclairer les champs de bataille ou bien à frapper des cibles humaines au sol. Il n’est pas conçu pour détruire des maisons mais des corps.
On en a vu tiré dans la nuit, à Baghouz, en janvier dernier. En tombant, ces munitions dessinent des méduses blanches qui fondent vers le sol. Cette arme est interdite par la Convention de Genève, mais beaucoup d’armées de l’OTAN en possèdent, dont la Turquie.
Les effets du phosphore blanc sont dévastateurs. D’abord des crises d’hystérie, une grande difficulté à respirer et des contractions musculaires. Ensuite, ses particules pénètrent dans l'épiderme et font fondre la chair et les os.
Dans son bureau, le directeur de l’hôpital sourit tristement : « Ici, on essaie d’aider les gens. On s’est battu contre Daech pour que le monde soit plus beau. On ne s’attendait pas à recevoir ce cadeau-là, cette trahison. »
Ce matin, des MRAP (Multirole ambush protected) américains Oshkosh bourrés de technologies filaient vers la frontière irakienne, bannière étoilée au vent. Ils ont essuyé des jets de pierres et de tomates pourries à Qamishli. #fin
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