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[THREAD sur 1789] - Avant-dernier chapitre ! Chapitre 13

LA DERNIÈRE CARTE DU ROI : le grand discours aux députés lors la séance royale du 23 juin 1789

Face à l’Assemblée Nationale rebelle, qui a aboli la monarchie absolue, voici comment le roi Louis XVI réagit : ⤵️⤵️⤵️
Nous l’avons vu, les députés du tiers état ont aboli la monarchie absolue en se proclamant Assemblée nationale (👉 chapitre 11 ) et se sont jurés de ne pas se séparer avant d’avoir imposé une monarchie parlementaire (👉chap. 12 )
Le 23 juin, le roi doit parler devant tous les députés des états généraux. Vu la crise en cours à Versailles (Assemblée proclamée, Serment du jeu de paume), il faut sacrément bien calculer la réponse à apporter à tout ce petit monde en éruption.
La séance du 23 peut tout changer : Louis XVI a encore de bonnes cartes en main ; après tout, le tiers état fait de grands discours mais ses moyens restent limités ; et surtout, il espère encore que le roi l’écoutera.
Le 20 juin, à Marly, alors que 300 députés du tiers ont prêté le serment du jeu de paume, le roi et ses conseillers travaillent jusqu’à 22h. Ils doivent trouver la réponse optimale à apporter aux événements récents.
Deux options :
- donner raison aux réformistes (tiers état et qlq clercs) qui veulent des votes en commun de tous les députés
- donner raison aux conservateurs qui veulent que les délibérations soient faites par ordre, et donc que l’on vote sur trois voix : une voix par ordre.
Comme le tiers état compte 2x plus de députés, la différence est grande : en cas de votes de réformes en commun, le tiers pèsera très lourd dans la balance.
La noblesse a refusé (de peu), le clergé s’est déchiré sur la question.
22h donc, toujours pas de solution. Nouveau conseil le lendemain à Versailles. La séance royale (discours du roi à tous les députés) est repoussée d’un jour, du 22 au 23.
L’Assemblée soupçonne donc, à tort, que la séance sera annulée, et que les EG seront suspendus.
Séance du 21 : Les conseillers du roi sont divisés, entre caresser le tiers dans le sens du poil, accepter une constitution avec assemblée (camp Necker), ou alors, pour le camp conservateur, non plus suspendre les EG, mais virer des EG les députés du tiers coupables de rébellion.
Les conservateurs considèrent que les lois d’une constitution n’auraient qu’un faible poids, comparé à la Coutume, édictant des principes consolidés par leurs siècles d’ancienneté.
Ils craignent aussi que le roi, en cédant une partie de son pouvoir (législatif en l’occurrence), ne soit plus tard dépouillé d’autres prérogatives, n’étant plus protégé par la Coutume, par l’usage.
Quand on voit ce qu’est devenue la monarchie britannique, ça se tient...
Le conseil réuni autour du roi doit notamment trouver les réformes que le roi va proposer aux états généraux. Certaines, trouvées par Necker, sont là pour amadouer le tiers et son Assemblée nationale.
La séance tourne au bras de fer entre Necker et le comte d’Artois.
La plupart des propositions du ministre sont retoquées ou rayées. Necker est dépité, et lâche qu’il vaudrait mieux ne rien proposer aux députés plutôt que ces projets tronqués.
(Necker ⤵️)
Necker écrit plus tard, dans son livre De la révolution qu’il fallait « lier à l’autorité du prince un événement inévitable ».
En face, le comte d’Artois considère que rien n’est joué d’avance.
En fin de séance, deux axes sont adoptés :
- les ordres ne seront pas réunis en commun, sauf sur certaines délibérations. Là-dessus, Necker a perdu.
- les « intentions du roi » à déclarer lors du discours suivent la ligne Necker, à peu de choses près.
Le lundi 22 juin, le tiers profite de ces 24h supplémentaires pour gagner du terrain, en convainquant d’autres clercs de les rejoindre en l’église Saint-Louis où ils travaillent. La moitié de l’ordre du clergé rejoint l’Assemblée, dans une vraie séquence émotion.
Pendant ce temps, Barentin, garde des sceaux (conservateur et sacrément manipulateur, nous l’avons vu précédemment), convainc le roi de ne surtout pas accepter une éventuelle démission de Necker, qui appuierait gravement les idées de ce dernier dans l’opinion.
Le dernier conseil royal, le 22, est destiné à vérifier si le discours du roi prévu correspond à ce qui a été décidé la veille. Or, la construction du discours a une immense importance et est elle aussi sujet à débats :
Necker voudrait en effet que le discours commence par des concessions généreuses aux revendications du tiers état, afin de se le mettre dans la poche pour le reste du discours.
Au contraire, les conservateurs comme le comte d’Artois veulent que le roi commence par taper du poing sur la table en cassant toutes les déclarations du tiers depuis le 17 juin (Assemblée nationale, Serment du jeu de paume). Louis XVI se range à l’avis de ces derniers.
Autant on peut reprocher à Necker d’être trop craintif vis-à-vis du tiers, voire limite complice ; autant il faut reconnaître que prévoir de braquer le tiers en début de discours de la sorte est une faute politique assez incroyable.
En effet, le roi n’a plus qu’une partie de la noblesse et du clergé avec lui, ce qui est trop maigre. Certains de ses conseillers l’avertissent que si l’on suspend les EG, une gronde et une désobéissance fiscale générale risquent de s’organiser.
Le dilemme est terrible pour Louis XVI :
- soit la situation est encore sous contrôle et il lui faut sortir le lance-flammes -> démonter les EG
- soit on considère qu’il y a déjà le feu, et il faut venir éteindre l’incendie avec de l’eau -> serrer la main du tiers état.
Pour reprendre cette image, le discours prévu commence par le feu, et finit par l’eau. Tous les députés du tiers risquent de se braquer dès le départ, ce qui pourrait avoir des conséquences incalculables.
Necker, consterné, sûr de l’impasse politique qui attend un discours construit de la sorte, pense fortement à démissionner. Le bruit court que le roi lui a refusé sa démission le soir du 22.
En pleine nuit du 22 au 23, Bailly, président de l’Assemblée nationale, est réveillé par trois hommes qui l’appellent dans la rue ; un d’eux est un député noble libéral. 1/2
(Bailly ⤵️)
2/2 Ils viennent lui annoncer que Necker désapprouve le discours qui sera lu le lendemain par le roi, et qu’il sera absent de la séance royale, causant par là son renvoi par le roi.
L’effet de surprise des déclarations du roi est donc anéanti, l’effet « coup de poing sur la table » risque de faire pshitt et de rendre irréconciliables le pouvoir et le tiers état.
23 juin 1789, le « testament politique de Louis XVI ».
Des foules entières se pressent à Versailles : tout le monde veut assister à la séance royale, avec différents espoirs. Beaucoup espèrent des réformes populaires, d’autres prient pour une démonstration d’autorité.
Des troupes gardent l’Hôtel des Menus plaisirs ; cette présence semble trahir, dit Arthur Young, « l’impopularité de la mesure que l’on se proposait de prendre, ainsi que l’attente ou peut-être la crainte de troubles populaires ». Des huées accompagnent certains conservateurs.
On fait entrer la noblesse et le clergé. Le tiers attend une heure de plus dehors, sous la pluie. Les députés sont furieux, et menacent en criant de se retirer si on ne les fait pas entrer plus rapidement, ce qu’ils finissent pas obtenir.
Le grand maître des cérémonies justifie le retard de l’entrée du tiers en disant à Bailly qu’un secrétaire du roi vient de mourir ; Bailly sent le prétexte pour permettre aux nobles et aux clercs d’occuper les premiers rangs. La tension est palpable.
Pendant l’installation des députés du tiers, un d’eux s’évanouit, ce qui produit un petit mouvement de panique : ceux qui n’ont pas vu qu’il s’agissait s’un simple malaise se mettent sur la défensive ou s’enfuient, avant d’être rassurés.
La noblesse et le clergé sont chacun sur un côté, le tiers occupe les blancs du centre de la salle, face au roi, comme pour l’ouverture des EG du 5 mai (chapitre 6 du thread : ).
Le roi arrive dans son superbe carrosse, la reine est restée au château. Son entrée n’est marquée par aucun signe particulier : certains ne se rendent compte de sa présence qu’au moment où il prend la parole.
Le roi s’attendait au silence qui accompagne son arrivée ; en revanche, il s’aperçoit d’une absence grave et remarquée : le tabouret de Necker est inoccupé. Necker trahit par là le secret des avis de ministres, la solidarité ministérielle, et affiche effrontément son désaccord.
Louis XVI cache sa surprise, s’assied tête couverte devant une assemblée debout et tête nue, et commence son discours d’une voix un peu tremblante :
Pour résumer, le roi dit reprendre le contrôle des EG pour relancer sa bonne marche, s’imposant comme un « père », comme le « défenseur des lois », comptant « réprimer les atteintes qui ont pu y être portées ».
Une fois ce premier discours achevé, Barentin fait signe aux ordres qu’ils peuvent s’asseoir et se couvrir la tête.
D’après Bailly, par petite vengeance de l’épisode des chapeaux (relaté au chapitre 6 du thread), une grande partie de la noblesse et du clergé ne se couvre pas la tête alors que le tiers l’a fait, ce qui marque une distinction, du genre de celles qui vexe tant le tiers.
Bailly retire alors son chapeau, et ses députés en font autant. Pas trolls jusqu’au bout, les nobles et les clercs ne se couvrent pas en réaction ; il n’y a donc plus de distinction et tout le monde est donc tête nue.
Un secrétaire d’Etat lit alors les décisions du roi, celles que Necker rejetait ou voulait décaler en fin de discours :
- Pas de délibérations en commun, sauf qlq sujets avec accord du roi ;
- Déclarations du tiers faites depuis le 17 (Assemblée et Serment) nulles et non avenues.
D’autres décisions sont annoncées, parfois applaudies par la noblesse. Le tiers est consterné, et silencieux.
Le roi tonne dans son second discours : « jamais roi n’en a autant fait pour aucune nation » ; « ceux qui, par des prétentions exagérées, retarderaient encore l’effet de mes intentions paternelles, se rendraient indignes d’être regardés comme Français ».
Ensuite, on fait lecture de 35 « intentions du roi », dont beaucoup suivent la ligne Necker, favorable au tiers état (abolition de la corvée, de la mainmorte, liberté de presse, etc.). Mais c’est trop tard : les députés du tiers sont bouillants et braqués.
Mme de Staël, fille de Necker, écrit : « Les premières paroles révoltèrent le tiers état et, dès ce moment, il n’écouta plus du tout ce qu’il aurait bien accueilli s’il avait pu croire que le monarque voulait défendre la nation contre les prétentions des privilégiés (…) ».
Le roi avertit, dans son 3e discours, les députés que ces changements se feront avec eux, ou sans eux s’ils continuent leur bazar.
Menace directe, donc, de suspension des EG : « seul, je ferais le bien de mes peuples », en s’appuyant sur le contenu des cahiers de doléances.
Le discours se termine par deux ordres : celui de lever le camp de cette salle, et de revenir travailler le lendemain pour la reprise des EG. Les inflexions du roi, sur ces deux phrases, perdent en assurance.
Le roi se lève, regarde les députés, et sort promptement. La séance a duré 35 minutes, probablement 35 siècles pour lui.
Le tiers enrage. Jallet parle de « séance de despotisme ». Mirabeau, pourtant modéré, ironise dans un écrit postérieur : « Si le monarque est libre de faire des lois d’après les cahiers des différents bailliages, les ministres n’avaient qu’à se les faire adresser par la poste ! »
Vous vous demandez peut-être si le tiers aurait autant pris la confiance face à un Louis XIV. À vrai dire, il n’y a rien de plus agaçant qu’une démonstration d’autorité par une personne qui n’en a pas l’habitude, ni le charisme ; 1/2
2/2 Dumont, collaborateur de Mirabeau, résume brillamment la chose :
« Un prince est-il puissant ? Tout ce qu’il accorde est un don, tout ce qu’il ne prend pas est une faveur.
Est-il faible ? Tout ce qu’il accorde n’est qu’une dette, tout ce qu’il refuse est une injustice ».
La colère des députés du tiers se tourne donc directement vers le roi, et non vers Necker si celui-ci avait été présent (c’est à ça que sert un ministre, encore aujourd’hui dans la Ve République). Au contraire, ce dernier est le grand vainqueur de la journée.
Le discours du roi arrive en fait trop tard. Il aurait sans doute plu aux députés du tiers le 5 mai ; mais entre-temps, ceux-ci ont formé un projet allant bien plus loin, avec un vrai changement de régime en vue.
En assurant aux EG une totale liberté dans leurs discussions et leur fonctionnement, en laissant cet exercice de micro-démocratie tourner en une ridicule zizanie, Louis XVI a laissé cette réunion accoucher d’un monstre rebelle : l’Assemblée.
Les députés du tiers restent assis, avec 50 clercs et deux nobles solidaires, refusant donc de sortir. Il faut dire que les Menus-plaisirs sont leur salle, mais le roi a demandé la dispersion. Bailly déclare : « Je crois que la nation assemblée ne peut pas recevoir d’ordre ».
Le gd maître des cérémonies, Dreux-Brézé, insiste pour les faire sortir, ce à quoi Mirabeau répond « Nous sommes ici par le voeu de la nation. La force matérielle seule pourrait nous faire déguerpir »(culotté, mais moins lyrique que la version légendaire apprise dans les écoles).
L’Assemblée déclare, à l'issue de sa séance de travail improvisée, que la personne du député est inviolable, et qu’une personne y portant atteinte serait vu comme traître à la nation.
Pendant ce temps, le roi est retourné au château, traversant dans son carrosse une foule hostile.
Dreux-Brézé le prévient que le tiers ne veut pas décamper des Menus-plaisirs, le roi répond « Ils veulent rester, eh bien, foutre, qu’ils restent ! »
Les gardes suisses et français laissent la foule pénétrer dans la cour devant la grille du château, où celle-ci est stoppée par des gardes plus fidèles. La cour doit faire appel à des soldats supplémentaires pour assurer sa sécurité.
Le projet de faire arrêter 30 députés du tiers prend forme, pour l’exemple.
Bailly rapporte, tout en disant ne pas avoir pu le vérifier, qu’une garde fut envoyée pour évacuer l’Assemblée réunie, mais qu’un contre-ordre leur fit faire demi-tour en chemin.
Necker se rend triomphalement au château, accompagné par une foule l’acclamant. Il présente sa démission, qui est refusée par le roi. À la cour, on invente en vitesse un prétexte à diffuser pour expliquer l’absence de Necker lors de la séance royale.
La foule presse jusqu’au bas des fenêtres du château. Necker sort sous les vivats, des gens lui proposent de porter sa chaise à porteurs, mais il préfère rentrer chez lui à pieds.
Il est accompagné jusque chez lui, accueilli par sa fille (future Mme de Staël)qui joue un peu la comédie, d’après le compte d’Angiviller :
La foule allume des feux de joie et fait tirer des feux d’artifice dans la rue.
Un historien donnerait n’importe quoi pour savoir ce qu’il se dit dans la foule, qui, semble-t-il, place définitivement tous ses espoirs d’allègement de charges dans le tiers état.
Pour conclure, le roi sort meurtri de cette journée qui vire au cauchemar. On crie « vive M. Necker ! » dans tout Versailles ; l’opinion échauffée étouffe la faisabilité de ses directives, et ses gardes désobéissent quand il faut faire respecter l’ordre.
Coup d’épée dans l’eau, le discours de la séance royale du 23 ressemble effectivement à un testament politique. Le roi a perdu la main.
Ce 23 juin 1789 est donc une journée au moins aussi importante que le 14 juillet, dont nous parlerons une prochaine fois, c'est-à-dire lors du 14e et dernier chapitre de ce thread.
Merci d’avoir lu jusqu’au bout !
Sommaire de tous les chapitres du thread :
(Sujette*)
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