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Votre rendez-vous hebdomadaire d'Histoire est arrivé ! Là, on passe aux choses sérieuses...
Chapitre 11 de notre thread sur le déclenchement de la Révolution en 1789 :
Du chagrin du roi, pleurant son fils, à l'abolition de la monarchie absolue par le tiers-état.
Pour rappel, nous reprenons les événements au 4 juin 1789, juste après la terrible mort du Dauphin (7 ans..), véritable coup de massue sur le couple royal.
Le chapitre 10 est ici ⤵️
Le chapitre 1, si vous arrivez, est ici ⤵️
Vous entamez le plus long chapitre de ce « thread géant » : il a 68 tweets. Dites-vous, pour vous donner du courage, que c’est bien court pour apprendre comment la monarchie absolue a été abolie par les thugs du tiers état.. Alors prenez une cannette, posez-vous, et c'est parti !
Depuis un bout de temps donc, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, Bailly (porte-parole du tiers) tente désespérément d’obtenir une audience avec le roi ; au point... qu’il essaie de profiter des condoléances à présenter au souverain pour pouvoir enfin lui parler des EG.
Le roi informe tous les ordres qu’il ne compte recevoir personne, s’enfermant pour pleurer la perte de son fils.
Une solution de conciliation proposée par Necker, pour permettre d’enfin vérifier les pouvoirs, est plutôt mal accueillie par la plupart des nobles et des députés du tiers. Encore une impasse.
Chez les nobles, les libéraux partagent le désir du tiers : la vérification des pouvoirs en commun ; ils sont 46 (on y trouve La Fayette), on les appelle « les 46 ».
La noblesse n’est donc pas unanimement conservatrice, mais 46 sur presque 300, évidemment...
Louis XVI accorde enfin une entrevue à une délégation du tiers état. La noblesse s’en attriste jalousement. Je vous passe d’autres détails, mais les nobles jouent clairement à échauffer le tiers en de début de mois de juin...
Le tiers vient montrer son attachement historique au roi contre « les aristocraties ». Louis XVI tique là-dessus, mais pas sur l’auto-appellation « communes » dont se sert le tiers, appellation pourtant interdite par Barentin.
Le roi et le tiers sont encore bons amis à ce jour.
Le clergé s’inquiète de la stérilité des EG, et décide de lancer un sujet en parallèle du cas épineux de la vérifications des pouvoirs : comment soulager la misère du peuple ?
Le tiers y voit un piège politique : soit il entre dans le débat, et il ne peut plus s’occuper à plein temps de la vérification des pouvoirs ; soit il le rejette, et il fera gronder l’opinion contre lui.
Le tiers sort les griffes : un député rennais, soutenu par Robespierre, déclare que si le clergé se soucie de la misère du peuple, les évêques devraient commencer par vendre leurs équipages et leur vaisselle d’argent.
Les conférences de conciliation sur la vérification des pouvoirs ne produisent rien : la noblesse veut d’abord que le tiers abandonne son appellation « communes », y voyant bien sûr l’apparition subversive d’un terme inspiré de la monarchie britannique, donc parlementaire.
Le clergé se déchire sur cette question. L’archevêque d’Arles tonne contre ceux qui reconnaissent l’appellation des « communes » ; ses soutiens qualifient d’ « irrespectueux » le fait de ne pas se ranger à l’avis d’un archevêque.
Les menaces de l’archevêque, qui clame que les huées ne lui font pas peur, n’impressionnent pas davantage ses opposants : « ...d’une voix de tonnerre et s’agitant, ou plutôt, se tordant les bras, il a cru en imposer à l’assemblée » (le curé Coster).
Sur ces entrefaites, 24 députés de la colonie négrière de St-Domingue débarquent aux Menus-Plaisirs (salle du tiers), prétendant être tout juste élus et arrivés.
Le tiers les accepte, mais trouve que leur nombre est injustifié : 1/2
2/2 En effet, le nombre de députés est dépendant de la part de population du bailliage/sénéchaussée qui les a élus. Or, les députés de St Domingue peuvent être 24, seulement si l’on compte dans la population qu’ils représentent... les (nombreux) esclaves noirs.
Mirabeau trouve la manœuvre sacrément gonflée, et leur lance cette pépite rhétorique vraiment jouissive :
À noter que ce discours suit la ligne de la Société des Amis des noirs, fondée en 1788 et protégée par le roi.
Les députés de St Domingue sont admis, mais ils ne peuvent participer aux votes.
5e conférence de conciliation pour se mettre d’accord sur la façon de vérifier les pouvoirs : nouvel échec !..
Bertrand de Molleville, intendant de Bretagne, rédige un document pour conseiller fortement au roi de dissoudre les EG sans plus tarder.
Pour transmettre son papier au roi, il veut éviter Necker, qui risque de le bloquer, puisque ce dernier a trop peur de la réaction du tiers en cas de suspension des EG.
Molleville passe donc par Montmorin, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
Malheureusement, ce dernier a trop peur de s’embrouiller avec Necker, et refuse de passer le document au roi. Ce papier, qui aurait peut-être pu éviter la Révolution, reste donc lettre morte.
10 juin 1789 : le tiers commence à se radicaliser. L’abbé Sieyès, qui en fait partie bien sûr, somme les deux autres ordres de se joindre à lui et ses collègues pour vérifier les pouvoirs tous ensemble, en commun, et tant pis pour les absents réticents.
Le tiers remplace le mot « sommation » par « invitation », et vote largement la motion ainsi adoucie sur la forme. L’idée date en fait du 13 mai : le bouillant Le Chapelier avait déjà émis l’idée de ce forcing de la vérification en commun.
(Le Chapelier ⤵️)
Le vote est joué d’avance, il a été présenté par Sieyès aux députés bretons la veille au soir, qui voient d’un bon œil que le projet soit porté par un leader naturel comme l’est cet abbé atypique.
Parmi les députés « des communes », le murmure de se constituer en nation grandit.
Un fossé commence à se creuser entre députés modérés (minoritaires) et députés radicaux (majoritaires)...
Le 11, lors de la fête-Dieu, Bailly rapporte qu’on le prévient que les bancs de ses députés (tiers) doivent être retirés pour laisser un plus large passage à la procession ; Bailly refuse, les députés ne bougent pas, et la procession passe en fait très bien.
La reine, toujours affligée par la perte de son petit garçon, est absente.
Les députés modérés du tiers, par l’intermédiaire de Malouet, profitent de cette interruption des EG pour organiser une entrevue entre Necker et Mirabeau : l’objectif est d’essayer de trouver un accommodement qui puisse éviter que les choses dégénèrent...
Necker demande donc à Mirabeau d’un ton un peu hautain : « M. de Malouet m’a dit que vous aviez des propositions à me faire : quelles sont-elles ? » 1/2
2/2 Mirabeau, sans doute en sueur (si l’entrevue venait à être éventée, Mirabeau serait accusé de traîtrise par les Bretons), et piqué par ce ton supérieur du ministre, se vexe - ou prend peur ? - et répond : « Ma proposition est de vous souhaiter le bonjour ». Il s’en va.
La rumeur d’une dissolution des EG par le roi se répand.
Dès lors, ou surtout depuis l’échec de la 5e conférence de conciliation (aucune autre n’étant prévue), le tiers entame une fuite en avant, sous l’épée de Damoclès qu’est cette menace de dissolution.
Le 12, le tiers invite pour la 3e fois le clergé à vérifier les pouvoirs avec lui ; une (petite) partie des clercs s’y rendent, d'autres les rejoindront les jours suivants. Le clergé est donc scindé en deux parties.
Selon le chanoine Coster, un archevêque se lamente dans un discours de cette division, jusqu’à faire semblant de pleurer amèrement, ce qui fait rire sous cape l’auditoire.
Le curé Barbotin, le 12, confirme pour les curieux comme vous que le haut clergé et la noblesse refusent la vérification des pouvoirs en commun, parce que le vote par tête en découlerait logiquement, puisque tout le monde se mettrait à travailler ensemble.
Le même jour, le duc de Luxembourg vient prévenir le roi du danger de la réunion des ordres (2x plus de votes pour le tiers) ; agacé, le souverain lui saisit le bras et s'exclame : « Vous les avez voulus, vous les avez demandés, ces états généraux. Eh bien, les voilà ! »
La noblesse, traversée par le doute, refuse à 4 voix près l’invitation du tiers à vérifier les pouvoirs en commun (116 contre, 110 pour).
Bailly essaie de revoir le roi ; là encore (cf Chapitre 10), Barentin fait tout pour le ralentir, et indisposer le roi contre le tiers : Barentin sort en effet au roi que l’ordre « espère une audience très prompte et en général supporte impatiemment les retards ».
L’entrevue se passe froidement, la méthode Barentin, pour le plus grand malheur du royaume, fonctionne : le roi répond froidement à Bailly.
(Bailly ⤵️)
Le 14 au soir, on enterre un député protestant du tiers ; nul membre du clergé ou de la noblesse n’est présent, mais qlq versaillais viennent apporter leur soutien : le contraste avec l’inhumation du début des EG (tt le monde y était) témoigne de l’évolution des tendances...
Les souverains se retirent à Marly jusqu’au 17. Bien que le séjour soit prévu depuis lgtps, on pense que le comte d’Artois et les tantes conservatrices du roi (dîner avec lui le 16) en profitent pour couper le roi du tiers état. L’objectif : le convaincre de suspendre les EG.
Barentin, le comte d’Artois, les tantes du roi et beaucoup d’autres conservateurs, en résumé, manipulent le roi pour obtenir de lui la suspension des EG. Ils veulent refermer rapidement cette boîte de Pandore, devenue dangereuse pour le régime.
Lundi 15 juin 1789, 7e semaine des EG.
Les discours à la chambre du tiers avancent sans complexe que l’ordre doit se proclamer assemblée, et que celle-ci est souveraine.
Les députés modérés sont discrédités par les Bretons : on invente qu’ils sont sans doute payés par le pouvoir pour servir les intérêts du roi contre le tiers (vrai dans certains cas seulement). Ainsi, s’il on n’est pas radical, c’est qu’on est vendu...
Mirabeau, populaire jusque-là, en fait les frais en déclarant : « Je ne connaîtrais rien de plus terrible que l’aristocratie souveraine de six cents personnes ». L’auditoire devient totalement hystérique :
Le député Legrand propose le nom d’Assemblée nationale ; Sieyès s’approprie tranquillement la paternité de l’idée ; ses partisans le défendent : « pourvu que la motion soit bonne, il n’importe d’où elle vient ». Le vote aura lieu le 17.
Une zizanie incroyable règne dans la salle du tiers. En plein vote, certains crient « à demain ! À demain ! », un des modérés répond en criant « assis, les bons citoyens ! »
Bailly commence l’appel nominal des députés, mais à chaque fois qu’il ouvre la bouche, des cris l’empêchent de parler.
« Ce jour me présenta l’image de deux armées » (Dusquenoy), 400 radicalisés avec les Bretons, face à 100 modérés qui crient encore plus fort.
Bailly attend le silence pour faire l’appel, ce qui lui vaut des injures, et les reproches de son inaction.
La délibération est finalement remise au 17.
Le roi, informé de cette agitation, écrit au tiers qu’il compte sur lui pour travailler au bonheur de la nation, en commençant par cesser d’appeler les deux autres ordres « les classes privilégiées ». Il écrit aussi aux nobles que leur entêtement est plus que regrettable.
Mercredi 17 juin 1789, journée historique.
Un député du tiers annonce la couleur des discussions, en taclant avec lyrisme clercs et nobles : « Les pontifes élèvent les autels de la religion contre les autels de la patrie ». 1/2
2/2 Il ajoute : « (...)Les droits de la noblesse sont anciens, les nôtres sont éternels, les siens se perdent dans la nuit des temps, les nôtres remontent jusqu’à l’origine des sociétés ».
Le tiers compte rédiger une constitution, jetant les bases d’un nouveau régime. Un député déclare : « On vous a dit que le roi ne sanctionnera pas votre constitution. Et depuis quand, Messieurs, la constitution des nations dépend-elle de la volonté des rois ? »
Pour appuyer son argument, le député prend l’exemple des Etats-Unis, ayant écrit leur constitution contre le roi d’Angleterre. L’idée de rébellion est donc assumée.
L’appellation « Assemblée nationale » est largement adoptée. Ces députés - du tiers, et qlq clercs - ne s’estiment plus comme une partie des états généraux, mais comme une chambre chargée de réformer le pays, qui n’a pas à souffrir de veto (venant des autres ordres, ou du roi).
En résumé, la noblesse et le haut clergé se sont opposés au tiers parce qu’ils craignaient des délibérations communes sur tous les sujets, avec naturellement le vote par tête, et non par ordre ; ils auraient été désavantagés, puisque le tiers est 2x plus nombreux.
On peut trouver de nombreuses causes au blocage des états généraux qui mena à cette 1ère journée révolutionnaire de la proclamation de l’Assemblée nationale, mais on peut laisser une grande part à l’erreur incroyable d’avoir laissé le tiers venir avec ce nombre double de députés.
Encore une fois, les députés du tiers ne représentent pas le tiers état du pays ; ça, c’est la logique pernicieuse de Sieyès. En réalité, chaque député du tiers représente seulement le tiers de SON bailliage/sénéchaussée.
Les états généraux doivent représenter la complémentarité de la société d’Ancien Régime : celle entre les trois ordres, complémentaires, indispensables les uns aux autres.
Ils ne devaient pas être une représentation proportionnelle de la population française...
En laissant le tiers venir avec deux fois plus de députés, le roi a lui-même laissé pénétrer l’idée de représentation proportionnelle aux États généraux, qui donne maintenant des ailes au tiers.
Revenons à la journée historique du 17 : les députés jurent de remplir fidèlement leurs nouvelles fonctions, sous un crépitement d’applaudissements et... de « Vive le roi ! »
On rêve, pour la plupart de ces députés, non pas de république, mais de monarchie parlementaire.
Tous les impôts sont suspendus dans la foulée par la nouvelle Assemblée, et ceux-ci ne pourront être restaurés qu’après un travail avec le roi, car ils n’ont pas été « préalablement consentis ».
Le duc d’Orleans essaie de convaincre la noblesse de rejoindre l’Assemblée, mais il s'évanouit à cause du stress et de la chaleur : il porte douze gilets par peur d’un attentat contre lui.
La noblesse rejette de peu l’idée de rejoindre le tiers (et les quelques clercs qui l’ont déjà rejoint) dans l’Assemblée.
Malouet, modéré inquiété par son propre ordre, dit à Necker que le roi ferait bien de suspendre les EG pendant plusieurs semaines...
Le comte d’Artois rallie les opposants à la nouvelle Assemblée. Tailleyrand, qui lui doit l’évêché d’Autun, lui expose la nécessité de dissoudre les EG.
(Le comte d'Artois, frère du roi, futur Charles X ⤵️)
La situation est plutôt critique : la monarchie absolue vient d’être abolie par l’Assemblée (certes, "illégalement")...
Le 18, à la sortie de la messe, des gens venus voir la famille royale clament « vive le roi et l’Assemblée nationale ! » ; Louis XVI préfère en rire.
Pour parachever cette quiétude inconsciente, le roi...
S’EN
VA
À
MARLY
🙃
...préférant ne pas prendre au sérieux les déclarations de l’Assemblée.
Merci d'être allé au bout !
Nous verrons lors du prochain chapitre comment cette insouciance, doublée de la peur de l’Assemblée que les états généraux soient dissouts, alimenteront cette fuite en avant révolutionnaire des députés du tiers état, vers le Serment du jeu de paume.
*canette pardon
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