, 21 tweets, 8 min read
My Authors
Read all threads
Contrairement à une image trop répandue, le Moyen Âge est marqué par une grande inventivité politique. En Scandinavie, aux Xe-XIe siècles, on invente ainsi un mode original de partage du pouvoir : la co-royauté. Une pratique à découvrir... et à méditer ! Un thread ⬇️ #Histoire
Les royaumes scandinaves sont progressivement christianisés durant les Xe-XIe siècles. Mais ils conservent de nombreuses pratiques pas très catholiques, notamment la polygamie royale. Les rois ont une épouse officielle et plusieurs concubines...
...d'où des familles très étendues et très complexes (eh oui, déjà à l'époque... !) Le roi Magnus III de Norvège a par exemple cinq fils de cinq mères différentes !
Tous ces enfants sont égaux entre eux, car on ne connaît pas encore la notion de « bâtardise ». Pour éviter des luttes internes entre héritiers, plusieurs royaumes mettent en place une solution originale : celle des co-rois.
Concrètement, c'est très simple : au lieu de joyeusement s'assassiner comme on le fait ailleurs en Europe, les frères se partagent le trône et règnent ensemble, en ayant tous le titre royal
Il s'agit d'une vraie tradition familiale. En Norvège, Olav III et Magnus II, deux frères, règnent ensemble ; leurs fils respectifs (Magnus III et Hakon) se partagent également le trône ; les trois fils de Magnus III règnent ensemble pendant des années...
Le partage est avant tout territorial : chaque frère s'occupe d'une partie du territoire. Mais les trois se disent bien chacun « roi de Norvège » : le partage du pouvoir ne met pas à mal l'unité du royaume
Et visiblement, ce partage fonctionne : pas de guerres, pas de révoltes, pas d'assassinats. Sur les monnaies, Sigurd et Eystein, les deux fils survivants de Magnus III, tous deux rois de Norvège donc, se représentent chacun sur une face
Le fait de partager le pouvoir donne à chaque roi plus de liberté d'action. En 1107, Sigurd part ainsi en croisade et reste trois ans en Orient. Pendant ce temps, ses frères dirigent le royaume : Sigurd peut partir l'esprit tranquille
On voit le contraste avec d'autres traditions politiques : à la fin du siècle, Richard Cœur de Lion sera contraint de rentrer précipitamment de croisade pour empêcher son frère Jean sans Terre de s'emparer de son royaume...
De plus, ce partage conduit à une relative spécialisation des rois : Sigurd, surtout après son retour de croisade, est le roi guerrier, celui qui mène les troupes et ramène le butin. Au contraire, son frère Eystein apparaît comme le roi pacifique, sage, qui fait des économies.
On conserve une Saga de Sigurd, dans laquelle les deux frères, en plein banquet, se défient dans une joute oratoire. Sigurd met en avant ses exploits : il a vu Jérusalem et s'est battu contre les Sarrasins. C'est donc lui le vrai roi !
Eystein répond : pendant que son frère partait au loin, lui a gouverné, s'est occupé des pauvres, a fait construire des routes, des églises, des phares, a rénové les lois et les impôts... Son frère rapporte la gloire, mais c'est grâce à lui que le royaume existe encore
Les hommes sages qui écoutent la joute concluent qu'il est impossible de trancher : les deux rois sont des grands hommes, nécessaires l'un et l'autre. Belle conclusion qui souligne que le partage du pouvoir royal fonctionne.
La pratique de la co-royauté permet ainsi une grande souplesse politique. Evidemment tout ne se déroule pas toujours bien. Une pensée pour le roi Erik Ier (mort en 954), surnommé « à la hache sanglante » pour avoir fait décapiter dix-sept de ses frères...
Au cours du XIIe siècle, la pratique de la co-royauté s'efface peu à peu, sous l'effet de la christianisation du mariage et des institutions. Les partages marchent de moins en moins bien.
A la mort de Sigurd, le pouvoir est partagé entre deux de ses fils, mais très vite ils se font la guerre. Leurs enfants se partagent le trône, mais, là encore, en viennent vite à se faire la guerre, à intriguer et à s'assassiner mutuellement...
L'Église cherche à imposer ses propres modes de désignation du roi : Magnus V est le premier roi à se faire sacrer, en 1165, et il proclame une loi affirmant que seul son fils aîné pourra lui succéder.
Au début du XIIIe siècle, Hakon IV, soutenu par l'Église, met fin la guerre civile et réunifie le royaume. Après lui, il n'y aura plus de co-rois : à l'heure où les grands royaumes deviennent peu à peu des États, la tendance n'est plus au partage du pouvoir royal.
Impossible évidemment de revenir au Moyen Âge scandinave – vous imaginez un candidat aux #Municipales2020 surnommé « à la hache sanglante »... ?
Mais, face à des institutions très centrées sur une seule personne, il est bon de se rappeler que le pouvoir peut être partagé sans pour autant se faire moins efficace. Notre article du jour, à retrouver sur @libe ! ⬇️
actuelmoyenage.blogs.liberation.fr/2020/01/27/men…
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Enjoying this thread?

Keep Current with Actuel Moyen Âge

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just three indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!