Thread by @ClosertoSpace

[Thread] - Des fusées en Antarctique?

Aujourd'hui nous partons sur les traces d'un aspect très méconnu du programme spatial français, au cœur des Terres Australes et Antarctiques Françaises.
Manchots, neige, fusées et aurore boréales au programme, bref, c'est parti!
🇹🇫🚀

Le programme spatial français est né à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Avec les V2 nazis, la France réussie très vite à développer ses propres petites fusées-sondes, dont la plus connue, Véronique. Et cela ouvre un pan nouveau pour la science...

En effet, il est désormais possible d'aller étudier la haute atmosphère avec ces petites fusées! Bélier, Centaure, Dragon, Éridan, Dauphin, plusieurs fusées-sondes sont développées dans ce but. D'abord tirées depuis la France métropolitaine, elle vont vite s'exporter!

Eh oui, plusieurs campagnes vont alors débuter à l'internationale, Argentine, Pakistan, Inde, Islande, Norvège et Suède, tout le monde veut sa fusée-sonde française!
Et ça marche, petit à petit le CNES gagne beaucoup d'expérience dans la réalisation de ces vols lointains.

Mais un phénomène intrigue les scientifiques, des interactions électriques assez étranges se produisent au niveau de l'Antarctique, assez inexplicables...
De plus, la formation des aurores boréales est encore très mal comprise à cette époque.

Le CNES va alors tenter quelque chose de totalement fou pour l'époque, aller tirer des fusées directement en Antarctique, loin de toute civilisation.
Et la France est chanceuse, car elle dispose de nombreux territoires dans la zone, dont l'Île Kerguelen et la Terre Adélie.

(Je sais que la Terre Adélie n'appartient officiellement à personne depuis le Traité de l'Antarctique, n'y voyez rien de politique ici, juste une facilité pour expliquer la situation ^^)
La Campagne des Terres Australes est alors lancée, avec pour destination l'Antarctique...

En 1966, un bateau part de France métropolitaine à destination de Dumont D'Urville, le village le plus éloigné de la métropole. Mais la glace bloque le passage du bateau, et va falloir transférer les fusées sur une simple barge... 4 fusées Dragon sont alors débarquées.

Sur place il faut bien réaliser que la vie en Antarctique dans les années 60 n'était pas simple. Pourtant les scientifiques sur place réussiront la construction d'un pas-de-tir ainsi que d'un hangar d'assemblage entier!

En premier, des ballons-sondes du CNES furent envoyés dans la haute-atmosphère histoire de savoir un peu de qu'il s'y passait, avant d'y envoyer les vraies fusées.
Les scientifiques avaient pour ordre d'attendre la formation d'aurores boréales pour lancer les fusées.

10 jours passent, 20 jours, 30 jours, 40 jours... Et toujours aucune aurore en vue! Pourtant chaque matin les équipes viennent dégeler les fusées Dragon dans le hangar, au cas où...
Et le 26 février 1967, l'alerte est donnée, une aurore est en vue!

C'est ainsi que le 26, 27 et 29 février, quatre fusées sont tirées depuis l'Antarctique pour la première fois. Le scientifique américain présent dans la base française se dira d'ailleurs surpris par la grande maîtrise des scientifiques dans ce domaine...

Des 4 vols furent des succès, les fusées Dragon culminant à chaque à plus de 300km d'altitude, et permirent de comprendre bien mieux les interactions qui se déroulent là-haut.
Et si vous voulez savoir, les manchots s'en fichaient royalement des lancements...

Parce que des photos de lancements depuis l'Antarctique dans les années 60 c'est pas tout les jours, je vous en remet quelques unes:

Le CNES avait fournit une antenne de suivit très légère pour suivre les fusées. Après les 4 vols réussit, cette antenne fut démontée pour être emportée à Kerguelen, mais tout le reste du matériel resta sur place, et est encore visible aujourd'hui!

En effet, la prochaine destination était Kerguelen, île française glacée sur laquelle furent livrés trois fusées Dragon et deux fusées Éridan, pour des lancements s'étalant de 1968 à 1975.
Les lanceurs et le pas-de-tir furent installés à Port-aux-Français, la "'capitale"".

Mais ces campagnes de tir étaient un peu spéciale, en effet un drapeau soviétique flottait aux côtés du drapeau français pendant ces missions...
Eh oui, sans le savoir les français ont en leur possession une île qui a une position très, très avantageuse.

En effet, comme on le voit sur ce magnifique schéma fait par mes soins, Kerguelen est le point de départ d'une ligne du champ magnétique terrestre s'étendant jusque dans l'oblast d'Arkhangelsk, en URSS, à quelques kilomètres du cosmodrome de Plesetsk...

Le plan prévoit donc de lancer une fusée sur la trajectoire exacte de cette ligne, de libérer une charge d'électron, qui viendra percuter l'atmosphère au niveau d'Arkhangelsk, créant ainsi des aurore boréales (et non australes! ^^), que les stations de Plesetsk pourront suivre.

Une équipe soviétique était donc présente à Kerguelen pendant ces lancements, qui formait avec l'équipe française les "fusov", acronyme de "fusée" et de "soviétique".

(J'ai trouvé cette photo avec le nom de quelques membres de cette équipe, autant vous la partager)
La campagne de tir progresse à vitesse grand V, et les premières fusées sont alors tirées vers l'URSS.
Oui la France a tirée des missiles sur l'URSS, et l'URSS était contente.

Voici à quoi ressemblait la charge scientifique embarquée à bord et libérée vers l'URSS, un concentré d'instrument de mesure et de boîtes devant créer un flux d'électrons.
Les calculs étaient hautement complexes, mais à chaque fois Plesetsk réussit à capter les aurores!

Les lancements étant faits de nuit, il n'y a pas beaucoup de photos de ces événements malheureusement.
Notez sur la dernière photo la tente frappée de l'inscription Intercosmos, le programme de coopération internationale de l'URSS.

Après 1975, le besoin de réaliser de nouveaux vols ne se fait plus sentir, et le programme s'arrête donc là, c'est le dernier vol du CNES depuis les Terres Australes et Antarctiques Françaises.
Aujourd'hui, des restes de Dragon sont encore visibles sur l'île...

Lors du départ de l'équipe Fusov, les soviétiques offrirent un petit chiot à l'équipe française, qui passera le reste de ses jours sur l'île. Il sera dénommé Dragon en l'hommage de ces petites fusées-sondes.

Les fusées-sondes françaises seront tirées depuis de nombreux pays.
Aujourd'hui le CNES ne tire plus de fusées-sondes expérimentales à un rythme aussi élevé que dans les années 60, et c'est dommage, on aimerait bien revoir des vols depuis l'Antarctique...

Voilà ce qu'il y avait à dire sur les campagnes australes françaises! Je vous laisse avec ma photo préférée (avec celle du 1er tweet), et j'en profite pour remercier le @CNES, qui a réalisé ces vols, et les @TAAFofficiel, qui les ont accueillis!

Bref, si un jour vous passez en Antarctique ou à Kerguelen, faites attention, vous pourriez bien tomber sur un Dragon endormi...
J'espère que cette petite excursion dans les zones glacées de l'Antarctique vous aura plu!

[Fin de thread]

Un schéma d'époque un peu mieux fait: