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Louis-Alex. Alciator @AlciatorLA
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La paix en Europe post-1945 à été assurée par plusieurs facteurs: la protection américaine, la construction européenne, les accords Est/Ouest d'Helsinki de 1975, le développement économique, et un aspect moins glorieux et passé sous silence: l'épuration ethnique post-1945 ⬇️
La motivation principale fut d'assurer dans leurs nouvelles frontières des États stables car monoethniques. La conférence de Potsdam en ouvre la voie en août 1945 pour ce qui est des Allemands de trois pays : Tchécoslovaquie, Pologne et Hongrie « de façon ordonnée et humaine »
S'ouvre en réalité un gigantesque marchandage de peuples qui vont concerner plus de 20 millions d'Européens, certains implantés en Europe de l'Est depuis mille ans. D'autres justifications viennent s'ajouter : punir les Allemands, et les protéger car victimes de pogroms.
Pogroms qui affectent, et c'est là aussi un aspect peu étudié, les juifs survivants de la Shoah, visiblement encore trop nombreux aux yeux de leurs anciens voisins. Les peuples victorieux n'étaient pas supérieurs en grandeur d'âme, loin de là. Ici Kielce, le 4 juillet 1946
Le précédent historique qui permet ce gigantesque transfert de populations est le règlement du conflit greco-turc en 1923. Après la défaite grecque à Smyrne le 9 septembre, et le massacre des Arméniens et des Grecs les jours suivants laissant craindre un nouveau génocide...
Les alliés (de 1918, hein, si vous suivez toujours) décident de revenir sur le traité de Sèvres de 1920 - avec une Arménie historique et un Kurdistan indépendant - pour le traité de Lausanne, où la Turquie prends ses frontières actuelles. Plus de 400000 musulmans sont expulsés...
de Thrace, Macédoine & Crête, plus de 1.2 millions de chrétiens sont expulsés d'Anatolie & d'Asie Mineure. Les musulmans grecs ont été expulsés en Turquie, les turcophones orthodoxes en Grèce, le vrai marqueur étant la religion et non la langue. 2500 ans grecs effacés d'un coup.
C'est que depuis l'affirmation des nationalités tout au long du XIXe siècle, les guerres ont été souvent justifiées par la présence de minorités chez le voisin, et toutes les minorités devaient être libérées. (le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en est la continuation)
Mais revenons aux suites de la seconde guerre mondiale : les esprits de 1945 sont les mêmes esprits de 1918, 1920, 1923 etcc, donc les solutions sont les mêmes.
C'est donc en toute légalité que les transferts suivants adviennent:
1 100 000 polonais et Juifs polonais (tant qu'à faire, Staline s'en débarrasse aussi) quittent la Biélorussie et l'Ukraine pour la Pologne, et 480 000 Ruthènes, Russes blancs et Ukrainiens prennent le chemin inverse.
500 000 autres Polonais quittent la Lituanie et d'autres régions de l'URSS; tous ces Polonais vont habiter les régions allemandes annexées par la nouvelle Pologne: Silésie, Prusse, Poméranie, auparavant vidées de leur population germanophone.
200 000 Souabes de Yougoslavie sont d'abord internés, puis dispersés ou expulsés dans des camps de travail en Sibérie. À ce jour leur histoire est largement à faire.
Les forces yougoslaves de Tito en profitent aussi pour, pendant l'hiver 45, massacrer 40 000 hongrois et en interner puis disperser entre 70 000 et 200 000.
Ah! Et les rives de l'Adriatique sont épurées de la présence italienne, 250 000 expulsé 11 000 fusillés. Fini l'héritage de Venise et en ligne directe de l'Empire Romain (le vénitien acheva de remplacer le dalmate au XVe «chaînon manquant» entre les langues de l'Ouest le roumain)
Les Bulgares en profitent pour venger les guerres balkaniques de 1913 et expulsent 30 000 Serbes.
50 000 Cosaques ayant combattu du côté allemand sont livrés à Staline par les Britanniques avec femmes et enfants. Direction le Goulag pour tous, très peu de rescapés.
Du côté Nord, Staline trouvait que décidément, la frontière finlandaise est trop proche de Saint-Pétersbourg: hop, on annexe la Carélie une deuxième fois, mais cette fois est la bonne: 410 000 Finlandais expulsés.
Idem en Estonie : certes le pays devient une République Socialiste Soviétique, mais il y a encore trop d'Estoniens en Estonie orientale. Il évacue Narva.
La Tchécoslovaquie reformée avait en son sein trop de Hongrois au goût d'Edvard Benes. 40 000 sont envoyés au pays des Sudètes, d'où les Allemands ont été expulsés; entre 40 000 et 120 000 autres ont été échangés contre 72 000 Slovaques de Hongrie. Faut dire que les Hongrois ...
Avaient eu le mauvais goût, un des plus vieux royaumes d'Europe, de se répandre dans la région, de constituer une solide alliance avec les Habsbourg, mais de perdre deux guerres mondiales de suite.
À peine à l'Est, les Roumains de Bucovine sont aussi gentiment priés de plier bagage pour la mère-patrie (alors qu'une ville comme Chernivtsi est un haut lieu historique de la culture roumaine, ici l'université). Pas de chiffres exacts.
Mais le mouvement de population majeur après 1945, c'est, après l'éradication d'une présence millénaire juive par la Shoah (+ « Shoah par balles » dont l'ampleur et l'horreur ne sont connues que depuis quelques décennies), c'est l'éradication millénaire de la présence germanique.
C'est entre 12 et 14 millions de déplacés, entre 500 000 et 2 millions de morts lors des transferts qui selon la conférence de Potsdam devaient se dérouler « de façon ordonnée et humaine ».
On remarquera qu'à l'époque il leur était reproché l'adhésion au nazisme, pas la Shoah.
En Tchécoslovaquie, avant les accords d'août 1945, entre 700 000 et 800 000 Allemands sont expulsés. Jusqu'en octobre 1946, c'est encore 2.6 millions d'expulsés. 250 000 sont autorisés à rester : communistes, emplois très qualifiés et... femmes mariées à des Tchèques. Les
hommes Allemands mariés à des femmes Tchèques sont eux séparés et expulsés. Au moins 30 000 sont morts, une commission jointe ayant en 1995 revu considérablement à la baisse l'estimation jusque là admise. (220 000)
En Hongrie l'expulsion n'est pas décidée et organisée par le gouvernement en place, mais directement par les soviétiques. Environs 270 000 Allemands sont expulsés ; les couples mixtes et les communistes sont autorisés à rester.
Aux Pays-Bas, c'est moins connu, le gouvernement lance le 10 septembre 1946 l'expulsion de 25 000 Allemands. Les Alliés bloquent les opérations, seuls 3691 sont effectivement chassés.
En Pologne, les frontières ont considérablement bougé. Jusqu'à la mi-1945, les plus récentes sources polonaises établissent le départ d'entre 4 et 5 millions d'Allemands suivant la retraite des armées. Jusqu'en 1950, c'est encore 3 155 000 évacués.
Le premier président communiste
Bolesłav Bierut, se rendant à l'évidence que les évacués Polonais n'étaient pas assez nombreux pour remplacer les Allemands (des régions entières de Prusse Orientale, Silésie sont désertes), décide d'en naturaliser plus d'un million, ceux qui avaient des rudiments de polonais.
L'étroite surveillance à leur égard les conduit à néanmoins quitter progressivement le pays entre 1951 et 1982, avec la presque totalité des Masuriens qui vivaient dans un environnement germanophone depuis 7 siècles.
Mention doit être faite des 250 000 Allemands qui n'avaient pas fuit le Nord de la Prusse Orientale, aujourd'hui Kaliningrad (la Königsberg de Kant).
155 000 furent envoyés au Goulag, en guise de réparations de guerre. Une petite moitié survécut.
En Roumanie les 650 000 Allemands étaient issus de trois histoires séparées : les «Saxons», arrivés avant le XIIIe siècle étaient en réalité originaires de Rhénanie, Moselle, Alsace, Pays-Bas; devenus protestants après la Réforme.
Appelés par les rois de Hongrie à défendre les montagnes contre les incursions des Coumans puis des Turcs ; les Souabes arrivés au XVIIIe siècle dans les plaines du Banat, sous-peuplées et récemment reprises aux Turcs Ottomans; et enfin les Allemands de Bucovine et Moldavie.
210 000 avaient déjà été expulsés de Bessarabie (Moldavie) et de Bukovine en 1940. Jusqu'en 1950, c'est encore 250 000 départs qui sont encouragés. Ils sont moins de 100 000 aujourd'hui, et l'un deux est président de la Roumanie: Klaus Iohannis, ancien maire de Sibiu/Hermannstadt
En Union Soviétique, dès 1941 plus d'un million d'Allemands sont internés. (ils avaient été appelés par les Tsars pour repeupler les nouvelles terres d'Asie, apporter leur savoir-faire, ou remplacer les Juifs expulsés (déjà) progressivement vers l'Ouest à partir de 1791...
dans les régions où ils avaient le droit de vivre, la Zone de Résidence (Tcherta osedlosti).
Dans les pays Baltes, le pacte Molotov-Ribbentrop ouvre la voie à l'expulsion de 70 000 Allemands. Ils sont installés par les Nazis en Pologne dans la région de Posen (Poznan), dans les maisons de juifs déportés. Ils seront à nouveau expulsés en 1945.
1941: 21 000 autres fuient.
Dans les pays Baltes, et en Estonie particulièrement, les gouvernements de l'entre-deux guerres ont procédé à des campagnes de changement de noms «volontaires»: en effet les Estoniens en 1920 avaient pour moitié des noms étrangers, surtout allemands et suédois. Les recherches en
sont rendues plus difficiles. En 1945, un nombre indéterminé quitte l'Estonie et Lettonie. 9 400 d'entre eux meurent noyés à bord du Wilhelm Gustloff le 30 janvier 1945, coulé par un sous-marin soviétique, au large de Gdynia.
Ce long thread ne s'arrête pas ici.
Le Procès de Nürenberg sonne le glas de la pratique des déportations, jusqu'ici couramment accepté et pratiqué par l'ensemble des nations.
La déportation est incluse dans la définition de crimes contre l'humanité. Une page se tourne.
Après Nürenberg 1946, c'est au tour de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 de prohiber la déportation. Vient ensuite la 4e convention de Genève en 1949, et la convention européenne de 1950.
Aujourd'hui les historiens et les juristes estiment que ces déportations étaient en violation des Conventions de La Haye de 1907, et celles postérieures à 1946 aussi en violation de la charte de Nürenberg. Le pari des puissances victorieuses de l'époque était de pratiquer...
...une fois pour toutes les méthodes du XIXe siècle pour ne plus avoir à instrumentaliser les minorités en Europe. En 1990, trois régions n'avaient pas été rendues ethniquement homogènes : la Transylvanie, le Caucase, la Bosnie et le Kosovo. Deux des trois ont connu l'horreur.
Et si une leçon doit en être tirée pour aujourd'hui, c'est que la paix dont nous avons hérité n'est pas toute propre, et surtout qu'elle est fragile.
Enfin ce thread ne peut être considéré hors du contexte des barbaries commises entre 1939 et 1945, (ni avant, nous l'avons vu en Turquie notamment); et ne dispense pas de se référer à des manuels complets. S'il a donné envie de creuser le sujet, alors seulement il aura été utile!
*1922
l'échange est successif au traité de Lausanne, 24 juillet 1923; la prise de Smyrne et les massacres sont successifs au 8 septembre 1922.
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