C'est fou comment beaucoup d'auteur.e.s traitent super mal les luttes sociales dans leurs oeuvres. Particulièrement quand ce sont des personnes qui sont privilégiées et ne sont donc pas concernées par celles-ci, et encore plus quand il s'agit de fantasy/sf.
(Souvent les mêmes mondes de fantasy/sf où le racisme a disparu sauf pour les espèces non humaines et dont j'ai déjà dis ce que je pensais ici. )
Le point de départ de cette réflexion a été le dernier plot twist de Steven Universe où l'on découvre que Rose est en fait Pink Diamond, transformant ce personnage en pure fantasme de white savior : puisque c'est une dominante qui devient la leader de la rébellion des dominées.
Ça dit plusieurs choses frontalement en terme de message : Qu'il n'y a pas eu de rébellion avant elle, ou en tout cas pas de rébellion efficace. Ce qui du coup sous entend que pour qu'une lutte fonctionne, il faut impérativement s'attirer la sympathie des dominants...
Ce qui sert curieusement une certaine vision de la lutte sociale qui est loin d'être vraie.
Pour prendre des exemples un peu clichés : Les suffragettes n'étaient pas dirigées par un homme, pas plus que le mouvement des Civil Rights n'était dirigé par un blanc.
Pour prendre des exemples un peu clichés : Les suffragettes n'étaient pas dirigées par un homme, pas plus que le mouvement des Civil Rights n'était dirigé par un blanc.
D'ailleurs je viens de capter mais en fait Pink Diamond à la tête de la Rébellion c'est un peu comme si Rachel Dozelal avait mené Black Lives Matter, non ?? Ca fait froid dans le dos ?????
Ensuite se concentrer sur les Crystal Gems et leur action sans à aucun moment parler de luttes antérieures ou contiguës, tend à montrer une certaine image de la lutte sociale : LA Lutte Sociale.
Comme s'il n'y avait qu'une figure de proue, qu'un groupe et qu'une manière de lutter activement et efficacement.
Alors qu'en vrai dans un même temps et luttant contre les mêmes oppressions il y a souvent des dizaines de groupes avec des dizaines de points de vues et orientations politiques totalement différentes et parfois inconciliables.
Exemple cliché : Le Black Panther Party, qui était lui-même pas forcément super unis, a agis dans le même temps que le mouvement des Civil Rights. Exemple plus actuel :
Le hacking de la Pride de Paris par des collectifs queer racisés et queer radicaux. komitid.fr/2018/07/02/on-…
Le hacking de la Pride de Paris par des collectifs queer racisés et queer radicaux. komitid.fr/2018/07/02/on-…
Déjà il y avait plusieurs collectifs axés sur des questions très différentes qui se sont retrouvés unis lors de cette action.
Ensuite, c'était en opposition à la politique de l'Etat et aux actions d'associations prétendument du même bord politiques (puisque luttant soit-disant pour les droit des LGBT+) mais qui en réalité étaient totalement de droite...
Et qui auraient joyeusement jeté toutes les personnes se trouvant dans le cortège de tête sous le bus à la première occasion... (Ou en prison... Ou dans des pays qu'iels fuitent pour leur sécurité, je pense que vous avez saisi l'idée.)
Donc ouais "La Lutte" unique avec un groupe, une méthode, et un symbole unique est clairement une légende.
Une légende qu'il m'agace beaucoup de retrouver aussi fréquemment dans des œuvres de fiction.
Je ne jette pas particulièrement la pierre à Steven Universe parce que c'est une série pour enfants à la base, et que pour une série pour enfants elle arrive déjà à faire passer beaucoup de messages super positifs et de choses formidables.
Et que bon, Steven Universe va pas sauver à lui tout seul l'ensemble de la fiction...
C'était juste un bon exemple.
C'était juste un bon exemple.
Quoi qu'il en soit pour en revenir à ce que je décrivais plus tôt sur les luttes sociales et leur diversité, il y a deux manières d'en être informé.e.s : Avoir lu/vu sur l'histoire des luttes sociales, ou faire partie/graviter autour de ces même mouvements. Voire les deux.
Le problème c'est que comme pour le racisme, beaucoup des gens qui font ces fictions n'ont fait ni l'un ni l'autre. Ni se renseigner sur les luttes, ni vivre ces luttes.
Du coup souvent iels veulent parler de luttes sociales... Mais n'ont que des images très lointaines et très faussées de ces luttes : Gandhi, et Martin Luther King par exemple.
Résultat, dans le meilleurs des cas : très vites les gens ne savent plus quoi dire sur ces sujets.
Un exemple particulièrement criant est la série In The Flesh.
Un exemple particulièrement criant est la série In The Flesh.
Une série qui dans la saison 1 ambitionnait de parler de discriminations au niveau interpersonnel et étatique (ici un mélange de queerphobie et de racisme au travers des zombies), est vite partie dans la saison 2 dans un délire de prophétie, de terre promise et de sauveur.
Comme s'il n'y avait pas un milliard de choses à explorer avant... -_-
Non pas qu'In The Flesh arrive à grand chose non plus de ce côté puisqu'encore une fois la série s'était perdue rapidement dans l'opposition "bonne lutte pacifique VS mauvaise lutte violente".
Opposition qu'on retrouve notamment dans X-men (et qui a peut-être popularisé le trope??) faisant écho à une opposition d'idées et de stratégies de luttes, qui a été présentée par les blancs comme une opposition morale, entre Malcom X et Martin Luther King.
Montrant le premier comme profondément dangereux et le second comme profondément pacifiste et bon. -_-
Trope hyper populaire dans la fantasy/SF mais pénible car transformant des questions politiques en des questions morales. Nous faisant retourner dans l'éternelle question du bien contre le mal, là où il est surtout question de pouvoir et de qui le détient et au dépend de qui.
Par ailleurs, ça rentre complètement dans la politique de respectabilité.
En montrant une stratégie de lutte comme foncièrement mauvaise (au sens moral, pas en terme d'efficacité) car pas assez pacifiste POUR LES DOMINANTS, on se retrouve à mettre les bons dominés d'un côté et les mauvais dominés de l'autre...
Oubliant que le problème dans l'affaire c'est qu'il y a une domination, et qu'être un pacifiste n'a pas empêché MLK de se faire traiter de terroriste et assassiner.
D'ailleurs ce problème de méconnaissance et de mauvais traitement des luttes sociales me semble particulièrement lié aux œuvres de fantasy et SF.
Probablement parce que sitôt qu'une œuvre se penche sur l'histoire de mouvements réelles, si elle veut respecter un minimum son matériel de base, elle est obligée de au moins mentionner les différents courants au sein d'une même lutte et leur histoire.
Je pense spécifiquement à "Pride" (2014) qui montrait bien comment "Lesbians Against Pit Closure" s'était montée en se séparant de "Gays and Lesbians Support the Minors" et pourquoi.
Bien que traité avec une dérision un poil agaçante, ça touchait du doigt pas mal de sujets : L'invisibilisation des lesbiennes dans les luttes LGBT, l'inaptitude des mecs cis du mouvements à comprendre les problématiques féministes, etc.
Le truc c'est que la non-fiction ça peut être grave rébarbatif, et j'en sais quelque chose puisque je suis pas du tout attirée par les films historiques en général. La fantasy/SF a l'avantage de la métaphore.
Malheureusement la métaphore est souvent beaucoup trop simpliste quand elle ne sert pas un propos carrément honteux.
Ce qui rajoute une raison pour laquelle Sense 8 est super pertinente comme série :
Sense 8 parle totalement d'histoire des luttes, de pluralité des luttes et les montre comme complémentaires.
Sense 8 parle totalement d'histoire des luttes, de pluralité des luttes et les montre comme complémentaires.
Le Cluster que l'on suit arrive à lutter contre BPO parce qu'il y a eu des gens qui ont lutté avant eux, et parce qu'ils bénéficient du soutien d'autre sensates qui luttent de manières différentes, je pense notamment à l'Archipelago.
Et si à un moment iels bénéficient de soutien parmi les oppresseurs, ce n'est à aucun moment les oppresseurs qui les sauvent où dirigent leur lutte.
(Par ailleurs le point de vue des Wachowski sur les limites du pacifisme est assez clair, mais c'est un tout autre sujet.)
Après on peut se demander : Pourquoi c'est important de correctement représenter les luttes dans des œuvres de fiction ?
Déjà, ça fait des œuvres vachement plus intéressantes, disons le franchement.
Mais plus important : Pour les dominants qui désirent être nos allié.e.s et les dominés qui veulent se défendre, ça peut être un moyen de mieux comprendre nos stratégies de lutte.
Mais plus important : Pour les dominants qui désirent être nos allié.e.s et les dominés qui veulent se défendre, ça peut être un moyen de mieux comprendre nos stratégies de lutte.
Pour les dominés qui désirent se battre pour leurs droit, ça peut aussi les aider à réfléchir à ces stratégies, à leur limites et même pourquoi pas à en élaborer de nouvelles.
Ca peut aussi rassurer ces même dominés que la lutte c'est pas uniquement sortir de chez soit fourche à la main, pas plus que ce n'est seulement devenir politicien.e.
Seulement pour ça, il faut sortir du prisme moral établit par les dominants et présenter une vision plus réaliste des luttes et de leur complexité.
Conclusion habituelle à ces threads : On aura les œuvres de fictions qui parleront mieux des luttes sociales dont nous avons besoin, quand on laissera plus la paroles à des gens qui ont vécu ces mêmes luttes et qu'on leur permettra de s'exprimer librement.
Plus d'auteur.e.s divers.e.s, plus d'oeuvres diverses. Vous connaissez la chanson.
Si vous avez des exemples d'oeuvres de fantasy/SF qui abordent intelligemment les luttes sociales, ou au contraire d'oeuvres qui se vautrent complètement, ça m'intéresse !
(Par contre si vous venez juste m'attaquer parce que j'ai relevé des trucs déplaisants dans votre série fav, c'est le mute direct.)
The end.
