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Pourquoi la question intersexe émerge-t-elle aujourd'hui?
Est-ce que les intersexes ont toujours existé?
Thread pédago du dimanche :
Pourquoi la question intersexe émerge-t-elle aujourd'hui?
Est-ce que les intersexes ont toujours existé?
Thread pédago du dimanche :
D'abord il faut rappeler que l'intersexuation, comme l'homosexualité par exemple, n'existe pas "en soi" : elle n'existe que dans la mesure où les sociétés humaines mettent en place des représentations des sexes comme mutuellement exclusifs
et que chaque écart d'une des 2 définitions est considéré comme une déviance.
Or cette représentation qui paraît "aller de soi" aujourd'hui dans nos sociétés occidentales est relativement récente.
Or cette représentation qui paraît "aller de soi" aujourd'hui dans nos sociétés occidentales est relativement récente.
Jusqu'au 18e siècle en Occident on considérait que les femmes étaient des "hommes ratés", que les organes génitaux d'une femme étaient des organes génitaux masculins "retournés", etc. Dans ce contexte les cas "intermédiaires" étaient aisément concevables.
Au Moyen-Âge on croyait qu'il était tout à fait possible de passer de l'un à l'autre par accident, par exemple on conseillait aux jeunes filles de ne pas sauter de trop grands ruisseaux, de peur que des testicules leur tombent de l'entrejambe.
On parle alors de "modèle à un sexe", lire à ce sujet Thomas Laqueur.
Foucault a répandu à tort l'idée que les "hermaphrodites" étaient brûlé.e.s au Moyen-Âge. On sait aujourd'hui qu'aucun cas de ce type n'a été recensé. Au contraire, il existait des séries de lois régissant le statut social des "hermaphrodites".
Leur sexe social devait être choisi en fonction du "sexe dominant", et en cas d’ambiguïté totale, illes pouvaient le choisir. Sans grande surprise, la plupart choisissaient alors le sexe masculin et tous ses avantages. Des règles complexes organisaient les droits au mariage.
« Dans un tel cadre conceptuel, l’existence d’individus possédant des traits des deux sexes n’était pas perçue comme un événement extraordinaire, mais plutôt comme une confirmation de l’ordre naturel des choses » Marry et Löwy
Au 18e puis au 19e siècles une série d'évolutions sociétales vont dégrader la place des "hermaphrodites" : la passion pour la classification naturelle dans le mouvement encyclopédique,
qui va devenir la caractéristique de la science à l'occidentale, avec "une place pour chaque chose et chaque chose à sa place", et la détestation du vivant qui ne se laisse pas ranger dans une case;
le développement de la famille bourgeoise, et son imposition aux classes populaires pour la canaliser et la réguler, avec l'émergence de la société industrielle nécessitant des populations nombreuses et stables pour le travail ouvrier
Rappelons qu'au 19e siècle le concubinage est rangé dans les vices populaires au même titre que l'alcoolisme, et que la bourgeoisie contraint les travailleurs/ses au mariage, pour s'assurer de la main-d’œuvre, tout en valorisant son modèle socioéconomique basé sur l'héritage.
Sans surprise c'est à la même époque que l'homosexualité (et non plus la seule pratique de la sodomie) commence à être pathologisée. Le terme "homosexualité" est inventé au milieu du 19e siècle.
Or cette notion d'"anormalité sexuelle" comprend de la même façon l'attirance homosexuelle, la transidentité, et l'hermaphrodisme, puisqu'on considère à l'époque que tout cela découle de déséquilibres de l'organisme.
Globalement l'idée est que ce qu'on appelle aujourd'hui les gays, hommes bis et femmes trans ont trop de féminin dans leur organisme, et que ce qu'on appelle aujourd'hui les lesbiennes, femmes bies et hommes trans ont trop de masculin
(On pratique notamment des clitoridectomies sur les personnes assignées femmes et pas assez conformes aux normes de genre pour faire redescendre leur taux de masculinité)
"Dans la seconde moitié du XIXe siècle, hommes et femmes sont considérés comme incommensurablement différents sur le plan de l’anatomie et de la physiologie."
"Le discours médical développé à leur sujet est donc mû par la volonté inflexible d’en finir avec cette subversive indifférenciation. La neutralité sexuelle est absolument insupportable au regard médical du temps. " Muriel Salle
Les recherches se développent dans la 2nde moitié du XIXe siècle et s'accélèrent au début du XXe siècle au fur et à mesure des découvertes scientifiques.
L'orientation sexuelle et l'identité de genre sont progressivement rangées dans les pathologies mentales avec l'émergence de la psychiatrie, tandis que les "hermaphrodites" sont considéré.e.s comme des être sous-développés, au même titre que les criminel.le.s
La différenciation sexuelle devient une obsession : "La volonté de classer les individus de sexe « douteux » en homme ou femme s’impose donc, coûte que coûte.
Au nom de cette bi-catégorisation tyrannique les médecins convoquent des éléments anatomiques, physiologiques, psychologiques, sans jamais parvenir pourtant à s’accorder sur ce qui fonde l’appartenance à tel sexe ou à tel autre." (M. Salle)
Les chromosomes dits sexuels sont découverts au début du 20e siècle, la testostérone et l’œstrogène entre les 1920 et 1930. Elles sont (trop) vite nommées "hormone masculine" et "hormone féminine", le modèle binaire s'étant imposé.
Entre 1930 et 1940 les hormones dites sexuelles sont synthétisées ; en plus des chirurgies, les médecins tiennent un nouveau moyen d'influencer les caractéristiques sexuelles.
En 1917 le terme "intersexuality" est créé.
Au 19e et dans la première partie du 20e siècle, les opérations et traitements de conformation de personnes "hermaphrodites" sont réalisés sur des adultes en demande.
Au 19e et dans la première partie du 20e siècle, les opérations et traitements de conformation de personnes "hermaphrodites" sont réalisés sur des adultes en demande.
Les chirurgies sur les enfants commencent dans les années 1950, entre demandes des parents et injonctions des médecins.
John Money émerge comme spécialiste de l'"hermaphroditisme" avec sa thèse de 1952, où il démontre que les "hermaphrodites" ne souffrent pas de plus de troubles psychiques que les autres personnes. Quelques années plus tard il verrouille l'accès à ce document.
En 1966, membre de de la John Hopkins University de Baltimore, il défend la mutilation précoce des enfants intersexes et leur éducation dans un genre assigné et le secret le plus total. Son étude de cas John/Joan devient une référence mondiale.
La personne en question, David Reimer, arrivé à l'âge adulte, finira pourtant par dénoncer ce traitement en 1997 et se suicider en 2004.
Mais ce qu'on appelle "le paradigme Hopkins" est en place. Sans aucune évaluation, il est appliqué avec enthousiasme dans les hôpitaux occidentaux et exporté partout dans le monde.
Les premières personnes ainsi mutilées arrivent à l'âge adulte à la fin des années 80. En 1993 une chercheuse féministe en biologie, Anne Fausto-Sterling, publie un article rappelant la diversité sexuelle, intitulé "Les cinq sexes" qui questionne la dichotomie binaire des sexes.
Cet article fait du bruit et des personnes intersexes en profitent : Cheryl Chase publie en réponse dans le courrier des lectures, prétendant représenter une association de personnes intersexes. C'est un coup de poker qui paie : elle est contactée par des dizaines de personnes.
C'est le début du militantisme intersexe. D'abord en Amérique du Nord, autour de l'Intersex Society of North America, puis dix ans plus tard dans le monde avec la création de l'Organisation Internationale Intersexe.
Pour en savoir plus sur cette période, relire le live-tweet de la conférence de Janik Bastien-Charlebois (@BastienJanik) :
Voilà comment les médecins obsédés par la binarité sexuelle ont créé en deux siècles un problème, sa "solution" criminelle, et un mouvement de résistance à son encontre.
Une prochaine fois : l'émergence du militantisme intersexe en France ! Stay tuned 😉
Une prochaine fois : l'émergence du militantisme intersexe en France ! Stay tuned 😉
