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Tristan Kamin @TristanKamin
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On continue ?



Normalement, on enfourne nos 1200 tML de combustible chaque année, on laisse mijoter trois ans et on revient voir, mais on va faire ça en accéléré, hmmm ? 😁

On avance dans ce #thread sur le combustible #nucléaire !
On va voir très brièvement comment on gère la partie centrale du cycle du combustible : le passage en réacteur.
Pour rappel, on avait dans les 200-250 assemblages d'environ 250 crayons de combustible, dans un cœur de réacteur français. Mais que va-t-il leur arriver ?
Ils vont goûter la foudre d'Ouranos et Pluton, sous la forme d'une réaction en chaîne de fission nucléaire.

Des trucs radioactifs vont décroître, des trucs fissiles vont fissionner, et d'autres trucs vont bouffer du neutron et transmuter - ou pas.

Par ou je commence, moi ?
Par la matière noble, disons. L'uranium 235, qui constitue 3 à 5% de l'uranium qu'on enfourne, grâce a l'enrichissement. Lui, il est fissile, donc des atomes vont fissionner en libérant de l'énergie, deux ou trois produits de fission, et des neutrons.
Énergie qui va se transformer en chaleur transmise à l'eau du circuit primaire, neutrons qui vont aller se perdre ou provoquer d'autres fissions, et produits de fissions qui... Comment dire...

Faire tout et n'importe quoi.
Faut bien comprendre : les produits de fission, chimiquement, ils représentent la moitié du tableau périodique à eux seuls. C'est un chimie de l'enfer là-dedans !

Certains vont rester sous une forme chimique bien stable... Mais gazeuse, éventuellement (xénon, krypton...)
D'autres font faire des agglomérats métalliques. D'autres vont s'assembler pour former des molécules plus ou moins exotiques.

Le tout avec une immense diversité isotopique : tous les types de radioactivité, toutes les échelles de demi-vies imaginable.
Bref, ces produits de fission vont être l'incarnation du mal, et on est bien content de les voir confinés :
- par notre minuscule gaine en zirconium,
- par l'acier du circuit primaire,
- par le béton du bâtiment réacteur.

(Trois barrières de confinement minimum, toujours).
Puis on a une toute petite partie de l'uranium 235 qui va absorber des neutrons sans fissionner. Peu, mais c'est pas négligeable : ça va former notamment de l'uranium 236 qui a tendance lui-même à pas mal absorber de neutrons, ce qui étouffe un peu la réaction en chaîne.
Mais on y reviendra... Passons à l'uranium 238. Pas fissile à priori. Même si une infime partie va fissionner, l'essentiel va rester tel quel. En mode nobody cares.
Mais une partie de l'uranium 238 va être plus fourbe : elle va absorber des neutrons, devenir de l'uranium 239.
Demi-vie : 23 minutes.
Descendant : neptunium 239.
Demi-vie : 2,3 jours.
Descendant : plutonium 239.
Demi-vie, 24 000 ans.
Et voilà les enfants comment on produit le plutonium !
Donc là, dans un réacteur type UNGG, RBMK ou CANDU, on peut extraire le combustible pour avoir du plutonium bien frais.
Et si vous n'avez pas compris cette phrase, c'est qu'il vous faut lire ce thread là 😁

Dans nos REP par contre c'est un peu la misère de tout arrêter, dépressuriser et ouvrir la cuve, donc on ne récupère par le plutonium 239 trop vite, on le laisse mijoter.
Or, il est plutôt bien fissile, donc il va aussi contribuer à produire de l'énergie.
Par contre il absorbe aussi des neutrons sans fissionner et devient plutonium 240, 241... Et leurs descendants. Et parfois même des trucs plus exotiques comme de l'Americium, du Curium, du Californium. On les appelle actinides mineurs, on y reviendra.
Et notre pastille de combustible, comment elle vit tout ça ? Les contraintes chimiques, thermiques, mécaniques ?
Je vais pas entrer dans le détail, mais je tiens à le mentionner.
Et bien elle prend cher. Gonflement, déformation, craquage, limite effritage, elle est pas gâtée. Notamment, elle a le mauvais goût de gonfler au point de venir s'appuyer sur la gaine, avec des risques de la percer - un gros sujet d'étude dans la conception du combustible.
Enfin bref. À la fin de son utilisation, le combustible, il passe de, en gros, 5% d'U235 et 95% d'U238 à :
- 1% d'U235
- 1% de plutonium, majoritairement Pu239
- 4% de produits de fission en tout genre
- 95% d'U238.
Et des traces, à hauteur d'environ 0,1% (btw, je parle de pourcentages en masse de métal lourd initial, cf. premier thread de la série 😉) d'actinides (une famille d'éléments chimiques) autres que le plutonium et l'uranium. Le terme "mineur" vient de leur toute petite proportion.
Et combien de temps pour tout ça ?

Et bien... 3 ou 4 ans, quand même. Oui, le combustible passe 3 ou 4 ans en cuve.

Mais on recharge tous les 12 à 18 mois !
En fait, au fur et à mesure que le combustible passe du temps en réacteur (on dit qu'il est irradié), son efficacité se dégrade : d'une part, sa teneur en uranium 235 baisse, et, d'autre part, sa teneur en absorbeurs de neutrons (on les appelle "poisons neutroniques") augmente.
Parmi eux, l'uranium 236 dont on a déjà parlé, certains isotopes du plutonium, et certains produits de fission.

Et passé un certain temps, impossible de soutenir la réaction en chaîne. C'est pour ça qu'il reste de la matière fissile quand le combustible est usé.
Autre paramètre a prendre en compte, assez intuitif : on a un cœur à peu près cylindrique, donc les assemblages combustibles au centre vont bouffer beaucoup plus de neutrons et s'user beaucoup plus vite.
Donc dans l'idéal, il faudrait pouvoir en continu retirer le combustible au centre quand il est pourri, faire converger le combustible de la périphérie vers l'extérieur, et mettre du combustible neuf en périphérie.
Sauf que là, la technologie des REP avec sa cuve à 155 bar (c'pareil pour les REB), notre cas idéal, elle nous le met dans l'cululu. On peut pas ouvrir tous les jours, tout décaler, refermer.
Donc le compromis qui a été trouvé, entre utilisation optimale du combustible et perte de temps minimale, c'est d'ouvrir une fois par an, retirer le tiers du combustible, au centre, le plus pourri, tout décaler d'un cran et mettre un tiers de connu neuf en périphérie.
Bon, là par contre je caricature À MORT, ça dépend des réacteurs, de l'enrichissement, c'est pas tout a fait un an, et des fois c'est par quart de cœur et pas par tiers qu'on change. Mais vous comprenez le principe, la logique qu'il y a derrière, c'est l'essentiel :)
Et en fonction de la durée de fonctionnement de chaque réacteur, on va pas ouvrir exactement le même nombre de cuves chaque année et charger exactement la même quantité de combustible. C'est pour ça que depuis le début, je suis parti sur 1200 tML par an, mais c'est une référence.
En vrai, ça varie pas mal, ne serait-ce que parce qu'on s'est basé sur une production de 420 TWh/an qu'on ne voit plus trop depuis quelques temps 🙄
Une autre raison pour laquelle cette description est caricaturale, c'est qu'on ne répartit pas tout à fait en 3 ou 4 zones annulaires concentriques. C'est pas "tout le combustible frais sur le bord, tout le plus usé au centre", c'est une tendance.
Parce qu'il faut prendre en compte la présence éventuelle de MOx, l'emplacement des grappes de contrôle...

Et éviter de trop irradier la cuve, aussi. De ce point de vue, mettre le combustible le plus frais et réactif au contact de la cuve, c'est une idée à la con 😁
C'est entre autres pour ça que les configurations de cœur ont évolué avec le temps... Et c'est une des raisons pour laquelle nos réacteurs vont largement dépasser les durées de vie que leurs concepteurs visaient 😉
Bon, et après ça ?
Et bien après ses 3-4 ans de service, le combustible est sorti de cuve définitivement. Sous eau. Parce que la masse de produits de fission qu'il contient, ça produit un max de radioactivité et de chaleur.
Et l'eau, outre le fait que ça soit un bon moyen de garder le combustible pas trop chaud, ça fait aussi un bon écran aux radiations. Et c'est pas cher. Tout bon.

Et, toujours sous eau, on le transfère via un tunnel dans le bâtiment combustible où il trouve sa place en piscine.
Au passage, on utilise des sigles pour les bâtiments d'une tranche nucléaire. En l'occurrence, on va du BR, pour Bâtiment Réacteur, au BK. Pour Bâtiment Kombustible.

No troll 😁
Et ces piscines, qu'on appelle parfois piscine de désactivation, elle vont garder le combustible sous eau un an ou deux.
Le temps que les produits de fission à vie très courte se soient désintégrés (d'où le nom "désactivation"), et que donc le combustible dégage moins de chaleur
À ce moment, on pourra les sortir de l'eau pour les sécher et les enfourner dans un conteneur adapté à leur refroidissement et la protection contre les rayonnements, et transporter tout ça à l'usine de retraitement.
Et ça, ça sera l'affaire de notre prochaine étape du cycle 😉
(Qui ne tourne toujours pas rond, je sais 😁, c'est encore une belle ligne droite Amont ➡ Aval à ce jour !)
Questions ?

D'avance :
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