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Cet accident la semaine dernière est une bonne occasion de parler des pipelines et d’un système sur lequel j’ai travaillé il y a quelques années, justement pour détecter les chocs et les fuites ! 😊

#Thread
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Les pipelines en France il y en a des dizaines de milliers de kilomètres, de toutes tailles et de toutes longueurs, pour du pétrole bien sûr (brut et raffiné), mais aussi du gaz naturel et tout un tas d’autres produits, liquides ou gaz, "chimiques" ou "naturels".
De la même façon que pour les routes et l’électricité, il y a pour les pipelines des réseaux de transport et des réseaux de distribution.

Exemple avec le gaz, à gauche le réseau de transport, à droite le réseau régional plus fin pour la région sud-ouest (exploitée par TIGF).
Un pipeline c’est lourd à construire et ça coûte cher, mais une fois en place c’est imbattable, c’est le moyen le plus économique pour transporter de grandes quantités de fluides sur de longues distances et de manière quasi permanente.
Avant le démarrage des travaux de construction il se passe plein de choses : état des lieux avec l’exploitant, les propriétaires, les riverains et associations, les communes, les autorisations administratives, étude du cheminement, études environnementales, …
Une fois lancé, le chantier consiste à baliser le tracé, aménager la piste, déboiser, décaper la terre et la sonder pour vérifier qu’on ne tombe pas sur des canalisations privées, des vestiges archéologiques, ou des engins explosifs oubliés…
Une fois la piste préparée on amène les tubes (entre 10 et 20m de long).

Les tubes sont en acier enrobé avec un revêtement pour les protéger de la corrosion, avec parfois un matériau calorifuge (mousse).
Les extrémités sont laissées libres pour pouvoir faire les soudures.
Les tubes sont ensuite cintrés (courbés) à froid directement sur site avec des cintreuses hydrauliques, en respectant ce qui a été définit lors de l’établissement du tracé.
Puis les tubes sont positionnés bout à bout et soudés, soit automatiquement (ou quasi) soit manuellement.

C’est une étape délicate et à l’issue les soudures sont contrôlées (rayons X, ultrasons, …) pour vérifier la conformité.
La zone laissée nue entre les tubes peut maintenant être recouverte (bandes, manchons thermorétractables ou projection époxy) pour assurer une protection continue et empêcher la corrosion.

Le contrôle est fait au balai électrique pour détecter d’éventuels défauts.
La tranchée peut enfin être ouverte ! Pfiou 😓

Soit c’est facile et on prend la pelleteuse, soit c’est dur et on y va au brise roche (un gros marteau piqueur), à la trancheuse (photo) ou exceptionnellement à l’explosif.
La profondeur réglementaire du pipeline est au minimum 1m.
Vient alors une étape assez délicate : la mise en fouille.

Le pipeline est soulevé par plusieurs petites grues (porte-tubes) qui se répartissent la charge et le descendent au fur et à mesure en jouant sur la flexibilité de l’acier.
A noter que dans les zones marécageuses ou inondables il peut être nécessaire de lester le pipeline (enrobage en béton ou cavaliers de lestage, voir photos) ou de lui mettre des dispositifs d’ancrage.
Et voilà, plus qu’à remblayer la tranchée avec les déblais extraits précédemment et la terre végétale.
Un grillage avertisseur est posé un peu au-dessus de la canalisation, donc si vous voyez ce genre de truc en faisant des travaux, arrêtez-vous ^^
Terminé !
Enfin presque, il faut encore construire les équipements de la ligne : piquages, postes de livraison, de coupure, de sectionnement (ceux-là on en va en reparler après).
Un pipeline d’une centaine de km demande facilement 3-4 ans de travaux, avec des centaines d’ouvriers impliqués.

Vous comprenez donc aisément pourquoi la durée de vie est d’au moins 50 ans, certains pipelines ont été construits dès l’après-guerre et sont toujours en service !
Le pipeline qui a pété ces derniers jours c’est le PLIF (Pipeline d’Ile de France) qui transporte du pétrole brut sur 260 km depuis le Havre jusqu’à la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne), ou des produits finis de cette raffinerie vers le dépôt de Gargenville (Yvelines).
Le PLIF est une des artères qui constitue le réseau pétrolier de l’Ile de France, l’autre artère étant le pipeline LHP (Le Havre-Paris) qui représente à lui seul près de la moitié du trafic des produits pétroliers finis en France.
Le PLIF a été mis en service entre 1965 et 1968 (plusieurs sources qui divergent…), a un diamètre de 20 pouces (~50cm) une pression de service max (PSM) de 69 bar, un débit max de 1800m3/h et transporte chaque année environ 4.5t de brut et 1.5t de raffinés.
Voilà pour les chiffres, la fuite maintenant !

Je n’ai pas trouvé de communication officielle de Total qui gère le pipeline, mais la situation peut être suivie sur le site de la préfecture des Yvelines :
yvelines.gouv.fr/Actualites/Fui…
On y lit que :
"Dimanche 24 février 2019, vers 22h30, Total a détecté, par perte de pression, une fuite de pétrole brut sur le Pipeline d’Île-de-France (PLIF) au niveau de la commune d'Autouillet".
Autouillet c’est pas très grand et avec les photos aériennes j’ai retrouvé le lieu de la fuite sur google map.
Par contre j’ai pas trouvé ce que je voulais : le pipeline.
Alors bien sûr il est souterrain mais ça arrive qu’on distingue le tracé depuis les airs.
Mais pas là. Bref.
Comme vous l’avez surement vu, le tracé du PLIF comprend 5 stations de pompage (notées SP sur la carte) espacées d’environ 50 km, pour maintenir la pression et donc la vitesse du fluide dans la canalisation.
L’info que j'ai pas trouvé non plus, c’est s’il y a des Postes de Sectionnement (PS), habituellement disposés tous les 10-20 km environ sur le pipeline.

Exemple sur ce tracé d’un autre pipeline (400 km de long) :
Ces postes sont très importants et permettent d’interrompre la circulation du fluide dans le pipeline pour faciliter la maintenance et limiter les fuites en cas d’accident.

On en voit souvent sans y prêter attention le long des routes ou des champs.
Car les fuites de pipeline, c’est la merde.

Celle-là va couter à Total des millions d’euros, entre les pertes d’exploitation, la dépollution de la zone, l’indemnisation des agriculteurs et autres, la réparation et remise en état, les inspections supplémentaires et le suivi, …
Sans compter les pertes en termes d’image, même si celle de Total n’était pas bien haute 😎, c’est pas une raison pour la dégrader encore.

Donc les fuites, autant les éviter !
Les pipelines sont très surveillés, il y a des opérateurs H24 dans des salles de contrôle dédiées qui les surveillent en continu, avec en plus des inspections fréquentes en voiture, en avion et à pied.
Dans le cas du PLIF la fuite a été détectée par "perte de pression".
Et toujours d’après la préfecture : "Le pipeline a été aussitôt mis en sécurité par Total qui a arrêté les pompages […]."
Donc *à priori* aucun système de détection de fuite particulier n’est installé.

Avec ce moyen là (uniquement pression) la localisation est très imprécise (50 km entre deux stations…) et ça marche moyen en gaz (à cause de la compressibilité du gaz).
D'autres systèmes existent, par exemple par capteur à fibre optique.
ni.com/white-paper/11…

Le principe est d’installer ça tout le long à l’extérieur collé sur le pipeline, pour mesurer la déformation et surtout la température.
En effet s’il y a une fuite, dans le cas d’un liquide la température extérieure augmentera (le milieu extérieur est plus froid), et dans le cas d’un gaz la température baissera (car baisse de pression).
Ça marche, mais (à l'époque en tout cas) c’était très sensible donc pas facile de discerner les évènements.
Exemple sur un pipeline allemand :
Mais surtout le gros problème c’est qu’il faut le prévoir dès la construction pour les pipelines qui sont enterrés, car il est inenvisageable de les déterrer pour installer ce dispositif.
Et c’est là qu’on arrive au système sur lequel j’ai travaillé : la détection acoustique !

Le principe est simple : un choc ou une fuite sur un pipeline engendre une onde acoustique qui se propage dans le fluide et peut être captée.
Avec des capteurs répartis le long du pipeline, en connaissant la distance les séparant, la vitesse de propagation dans le fluide, et l’heure des détections respectives, on peut en déduire la position, le type et l’intensité de l’évènement ! 😊
Le capteur est installé sur des piquages directement sur la canalisation, dans les fameux postes de sectionnement (PS) en surface.

Ainsi aucun gros travaux n’est à prévoir pour les pipelines existants.
Un choc (mesuré à 1km à gauche) ou une fuite (mesurée à 5km à droite) sont très discernables et on peut les identifier clairement avec un traitement du signal approprié.
Traitement qui peut être très complexe en fonction des conditions d’exploitation (bruit de fond notamment).
Une fois détecté et identifié, le boitier électronique relié à chaque capteur va envoyer un signal aux autres boitiers pour leur dire "regardez voilà ce que j’ai reçu".

Cette transmission peut se faire soit avec le réseau de communication de l’exploitant, soit par... texto 📲
Si cette détection est corrélée par d’autres boitiers, l’un d’eux va faire l’analyse complète et prendre la décision d’alerter le centre de contrôle de l’exploitant avec toutes les données disponibles (choc/fuite, heure, localisation, intensité).
Tout ça se fait automatiquement et est très rapide : entre le temps de propagation de l’onde, traitement du signal et envoi des textos, en 2-3 minutes maxi l’exploitant a l’info de l’évènement et peut prendre des actions (vérification sur place, coupure, …).
La précision de localisation était de l’ordre de 1% de la distance inter capteurs.
Par exemple pour 10km ça donne une localisation à 100m près, ce qui fait 5-10 tronçons de pipe maximum à déterrer si suspicion de fuite.
Un gros avantage aussi est de détecter les fuites, mais aussi les simples chocs sans fuite immédiate.

Car beaucoup d’accidents de pipeline sont dus à des agressions externes types engins de chantiers, exemple avec la répartition des accidents sur les 5000 km gérés par TIGF.
Les chocs peuvent endommager les pipelines en les fragilisant, ou bien en dégradant l’enveloppe protectrice ce qui favorise la corrosion, et sont donc souvent précurseurs d’accidents, quand ils ne le sont pas directement.
Un cas connu c’est l’explosion de gaz de Ghislenghien en Belgique en 2004.

Pendant des travaux un engin a endommagé un gazoduc, qui a explosé quelques semaines plus tard pendant une phase normale de montée en pression : 24 morts et 132 blessés ou brûlés.
fr.wikipedia.org/wiki/Explosion…
Autre exemple d’accident de ce genre (heureusement moins dramatique) avec notre fameux PLIF, mais cette fois en mai 2014 à proximité du Havre.

500 m3 de brut déversés, 14 000 m2 souillés, 2 mois de travaux pour remettre le pipeline en état.
Le tube a été expertisé, et le rapport note des traces de chocs, griffures et déformations, "probablement réalisés par un engin sous l’effet d’un raclage par une pelle mécanique et/ou le passage d’une chenille".
Dans cette zone déformée mécaniquement, des fissures de corrosion se sont développées progressivement, ce qui a conduit à la rupture brutale de la canalisation.
Pour terminer ce thread sur l’accident actuel, le pompage et nettoyage du site est en cours, et l’exploitant (Total) doit remettre dans une semaine un rapport d’accident et un diagnostic environnemental, et réaliser la dépollution du site sous 4 mois.
yvelines.gouv.fr/content/downlo…
Donc avant de vouloir "faire payer" et "poursuivre" Total comme il a été suggéré par certains, attendons d’abord le résultat de l’enquête et le rapport d'accident, c’est peut-être pas entièrement de leur faute... 😉

#Fin
ERRATUM sur ce tweet, la quantité transportée annuellement est en MILLIONS de tonnes...
Heureusement que j'ai mis la capture d'écran ^^

Poke @maxcordiez et @OIL_MEN, ça parle de pétrole ça peut vous intéresser 😉
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