Thread by @Le___Doc

PEUT-ON RÉANIMER UN NOYÉ EN LUI SOUFFLANT DANS LE CUL ?

Histoire de la médecine [thread]

Au XVIIe siècle, la France découvre une invention « médicale » hollandaise visant à sauver les noyés à l’aide d’un soufflet et d’un peu de tabac.

Juin 1772, Paris. Il fait beau. René Huaut se baigne dans la Seine, et se noit. Il est transporté au corps de gardes le plus proche où l’on pratique la réanimation recommandée: frictions à l'eau-de-vie, insufflation d'air dans la bouche et "fumigation de tabac par le fondement"

En 1772, on trouve des postes de gardes le long du fleuve, organisés pour servir de relais de secours aux noyés, première organisation de médecine d’urgence (poke @DocAdrenaline)

René se réveille et survit.

À l’époque, à Amsterdam, depuis 1767, une société diffuse des méthodes innovantes, permettant de faire « revivre les noyés ».

« Premièrement, il faut souffler dans le fondement du noyé, au moyen d’une pipe ordinaire, d’un tuyau, d’une gaine de couteau ou d’un fourreau d’épée, dont on aura coupé le bout, ou d’un souflet »

« Plus cette opération sera prompte, forte & continue, plus elle sera avantageuse ; elle deviendra encore plus efficace, si l’on se sert d’une pipe à fumer, ou d’un fumigateur, pour introduire dans le corps du noyé, au lieu d’air simple, la fumée chaude & pénétrante du tabac. »

« On ne peut mettre trop de célérité dans cette première opération qui peut avoir lieu au moment même où le corps est tiré de l’eau, soit sur un bateau, soit sur le rivage, & en quelque lieu que le noyé soit posé. »

On imagine ... hein @boitasavon ?

Il ne faut pas non plus oublier de réchauffer le noyé (ce qui est pour le coup adapté), par frictions, ou en écorchant un mouton sur-le-champ pour couvrir le noyé de sa peau encore chaude, ou se coucher nu contre le malheureux hypotherme.

Et à l’époque, on y croit, puisqu’on créé des postes de gardes le long de la Seine avec des « boîtes fumigatoires » ... crées par un certain Dr Gardane , et diffusées par un apothicaire (déjà...).

Au-delà du ridicule que l’on prête aujourd’hui à ces pratiques, l’Europe a alors vu se multiplier des lieux destinés à la réanimation, notamment au bord de l’eau; et les boîtes à cul ont fleuris comme aujourd’hui les défibrillateurs...

Évidemment l’insufflation anale de fumée de tabac perdit rapidement du crédit, notamment vers la moitié du 18ème, mais curieusement elle faisait toujours partie des recommandations officielles au milieu du 19e siècle... mais en dernier recours 😬

« Dans le cas où, après une 1/2h d’administration assidue, les secours indiqués plus haut auraient été inutiles, et où le noyé ne donnerait aucun signe de vie, si le médecin n’était pas encore arrivé, on pourrait recourir à l’insufflation de la fumée de tabac dans le fondement. »

Précision «Si la canule se bouche en rencontrant des matières...ce qu’on reconnaît à la sortie de la fumée au travers des jointures de la machine...on la nettoie à l’aide de l’aiguille a dégorger,et l’on recommence,en ayant soin de ne pas introduire la canule aussi profondément»

Même les suisses appliquaient ces méthodes ...vous remarquerez que les suisses parlent de « croupions »...

Jusqu’en 1912 cette pratique fut tenté, probablement par dépit, et dans un cadre dramatique (par des marins bretons... oui je sais🍷), car la croyance peut apporter l’espoir.

En 1930, les choses changent, et on se moque bien évidemment des pratiques ancestrales non démontrées... les #fakemed de l’époque...

On rappelle d’ailleurs à cette époque que la thérapeutique de l’asphyxie par submersion comporte seulement comme manœuvre essentielle la pratique de la respiration artificielle...

Ou celle des « tractions rythmées de la langue » qui consistent à tirer la langue du noyé, tenue entre les deux pouces, et la remettre dans sa bouche, au moins vingt fois par minute... mouahahahah....😬😬

Et bien sûr rappel à l’époque ... la noyade d’un enfant est « désagréable »... sachez nager diantre !

Pour finir, d’où vient cette pratique ? Probablement de la Commedia dell'Arte du 17ème, des romans rabelaisiens, et des carnavals et contes, qui ont longtemps véhiculé l’image de la résurrection anale soufflée...

Et comment on expliquait son intérêt ?

Refouler le diaphragme et comprimer les poumons pour en éliminer l'eau?
Réveiller la « sensibilité » des intestins et par là lève du cœur par les « vertus » du tabac.
La magie ?

On peut bien sûr se moquer de ces pratiques, et de la crédulité des gens de l’époque...

On peut rire des bases erronées sur lesquelles la réanimation a été en partie construite...

Mais l’intérêt de tout cela est aussi de comprendre comment chemine la science...

Car la science, n’en déplaise à certains, ne progresse pas toujours sur des bases avérées, ou des principes démontrés.

Et d’une erreur manifeste peut aussi sortir un grand bien, en l’espèce les prémices de la médecine d’urgence et des antennes de secours.

(Si ce sujet vous intéresse, le spécialiste en est Anton Serdeczny, docteur en histoire, ATER à l’Université d’Aix-Marseille, dont je me suis très largement inspiré... et de son livre ⬇️)

Coucou @Padre_Pio toi qui aime l’histoire... 😉