, 136 tweets, 22 min read
My Authors
Read all threads
Bon, j'en suis à la page 100 du nouveau @PikettyLeMonde (plus que 1150...).
1er commentaire: il tacle Aghion et @DrDaronAcemoglu sans les citer, notamment sur la distinction bon riche (Bill Gates) mauvais riche (carlos Slim) et sur l'impact de la peste noire sur la fin du servage
Je viens de finir la première partie (p243). Je vais transformer ce tweet en thread pour noter mes commentaires au fil de la lecture.
Commentaire de forme : c'est assez peu efficace. J'ai l'impression que les 240 premières pages auraient gagné à être résumées en 60. Beaucoup de détails sur les spécificités fiscales médiévales qui doivent sembler banales aux spécialistes, et que pour ma part j'oublierai...
...probablement assez vite.
Sur le fond, on sent un tiraillement entre la volonté de proposer un schéma mécanique des évolutions historiques, et une attitude très précautionneuse pour rappeler que chaque cas est unique, que rien n'est mécanique, que la complexité et le hasard sont au coeur de l'histoire.
Jusqu'à la première partie, le schéma général est le suivant : les sociétés d'ancien régime consacraient la domination de deux classes minoritaires (noblesse et clergé) sur une troisième (la classe laborieuse)...
Cette inégalité se justifie par la complémentarité entre les trois classes : il faut bien des gens d'arme pour protéger la population, des guides spirituels pour donner un sens à la vie, et des travailleurs pour faire manger tout le monde.
Bien qu'utilisée pour justifier des inégalités très grandes, cette idéologie permet néanmoins, au nom de l'unité de la classe laborieuse, de faire des progrès dans l'abolition du servage.
A long terme, cette société ternaire n'est pas tenable, pour deux grandes raisons : l'inégalité et l'arbitraire. que les hommes ne naissent pas égaux en droit semble de plus en plus dur à justifier à l'époque de la république des lettres.
Et les impôts dus aux classes dominantes ont un statut flou : s'agit-il du loyer de la terre ? Du financement de services publics ? Si oui lesquels et quelle qualité doit-on en attendre (notamment en matière d'éducation) ?
La transition vers les sociétés proprietaristes, graduelle en Angleterre, brutale en France, résout clairement le deuxième problème. Les anciennes charges sont remplacées par une fiscalité transparente, basée sur les capacités contributives de chacun. Les services publics...
sont désormais assumés par l'Etat central et non plus laissés à l'arbitraire des seigneuries locales.
La question de l'inégalité, pour sa part, est traitée de façon plus ambigüe. On abolit les inégalités formelles liées à la naissance, mais on ne remet pas en cause les inégalités matérielles, même lorsque celles ci proviennent des héritages.
La sacralisation de la propriété privée devient le nouveau ciment social. Celle-ci permet à chacun de s'épanouir sans risquer une expropriation arbitraire. Et sa sacralisation évite des dérives qui plongeraient la société dans le chaos au détriment des plus fragiles.
La conséquence de cette idéologie proprietariste est l'accroissement des inégalités qui culminent entre la fin du 19ème siècle et le déclenchement de la première guerre mondiale.
La première partie s'achève sur le constat de trois problèmes à régler à cette époque :
1- les inégalités internes aux pays européens.
2- les tensions nationalistes qui s'exacerbent.
3- les inégalités de développement entre les riches métropoles européennes et leurs empires coloniaux.
Je ne sais pas dans quelle mesure ces analyses peuvent sembler originales à des historiens.
Pour ma part, sans avoir les compétences pour évaluer la dimension historique de l'enquête, je suis plutôt convaincu par l'idée de décrire les interactions entre les inégalités...
...produites par chaque époque et le système idéologique mobilisé pour les justifier. Ça donne un recul salutaire sur certaines problématiques contemporaines.
#asuivre
Toujours ce manque d'efficacité dans le chapitre 6, consacré à l'esclavage. Si l'on s'en tient à l'objectif affiché du livre de produire une histoire des idéologies justifiant les inégalités, ce chapitre se résume en 1 tweet :
L'idéologie propriétariste, triomphante au 19e siècle, implique que l'abolition de l'esclavage s'accompagne de compensations pour les propriétaires d'esclaves, payées par les contribuables voire par les anciens esclaves eux-même (Haiti) ce qui est particulièrement injuste.
Les soixante pages du chapitre sont soit trop courtes, s'il s'agit de produire une histoire globale de l'esclavage (il en existe d'ailleurs plusieurs, écrites par des spécialistes du sujet), soit trop longues s'il s'agit simplement de documenter cette 'évidence' au yeux des...
...élites de l'époque de cette 'nécessité' des compensations. Les descriptions de la guerre de sécession ou des ambiguïtés de la seconde république suite à l'abolition de 48 sont intéressantes en soi, mais n'apportent pas grand chose à l'argument principal.
Argument principal qui me semble devoir se présenter comme suit : depuis plusieurs années, Piketty propose des réformes fiscales ambitieuses afin d'endiguer le mouvement actuel de reconstitution d'énormes patrimoines...
A ceux qui objectent que ses propositions saperaient les bases même de notre opulence, il répond : "on disait déjà ça quand il s'agissait d'abolir les privilèges, ou de créer un impôt progressif sur le revenu, ou d'abolir l'esclavage, ou d'accorder l'indépendance aux colonies".
Il a probablement raison, mais combien de personnes auront le courage de lire la totalité de son inavouée histoire globale des inégalités pour en digérer les arguments substantiels ?
#asuivre
Je change de perspective sur ce livre. Je cesse d'y voir une histoire des idéologies inégalitaires, et j'accepte de le lire comme une histoire globale des inégalités. Du coup j'ai aimé le chapitre 7 sur les colonies...
J'ai en particulier été étonné d'apprendre (c'est probablement connu des spécialistes) que jusqu'en 1945, les administrations des colonies françaises étaient à l'équilibre budgétaire : pas de transferts fiscaux depuis la métropole. Or le gros des dépenses était constitué...
du salaire des fonctionnaires, mieux payés que leurs homologues restés en métropole, et surtout infiniment mieux payés que les populations locales. L'équilibre budgétaire provenait donc d'une fiscalité très régressive qui portait sur les populations locales.
J'ai aussi découvert que la troisième république était sous pression de l'OIT qui lui reprochait de pratiquer du travail forcé (12 jour par an en théorie, parfois plus dans les faits) notamment pour la construction d'infrastructures (notamment le chemin de fer Congo océan)
Le chapitre s'achève sur des réflexions intéressantes sur les tentatives infructueuses de construire des rapports plus équilibrés entre métropoles et colonies entre la fin de la deuxième guerre et les indépendances. #asuivre
Chapitre 8: l'Inde.
Mériterait une seconde lecture car un certain nombre de noms propres difficilement memorisables m'ont fait un peu perdre le fil.
Les grandes lignes : l'idéologie européenne de la société ternaire a son équivalent indien, qui s'appuie sur le Manusmriti...
Texte religieux hindouiste qui ajoute une subdivision à la classe laborieuse (la plus basse étant, pour Piketty, à rapprocher des serfs européens). Il correspond davantage à l'idéologie des Brahmanes (la caste spirituelle) qu'à une réalité stricte.
Les colons britanniques figent et durcissent cette stratification sociale traditionnelle, en la confondant un peu (si je comprends bien) avec une autre stratification plus horizontale, basée sur les corporations professionnelles.
La décolonisation de 1947 pose la question de l'abolition de cette stratification. S'opposent une vision radicale visant à l'abolition pure et simple à une vision plus timide d'assouplissement. Cette seconde traduit des craintes d'effondrement des bases de la société...
...faisant écho aux débats de la révolution française sur les risques liés à l'expropriation des nobles, ou à ceux sur le dédommagement des anciens esclavagistes au 19ème siècle.
Toujours est-il que la solution retenue est celle de la discrimination positive, avec des quotas pour les castes inférieures. Non seulement avant les USA, mais, fait remarquer Piketty, avec des quotas passant par la loi et non le bon-vouloir arbitraire de quelques universités.
Le résultat est positif mais : 1- se pose la question de l'arrêt des quotas lorsque leur objectif est rempli. En effet, outre qu'ils ne correspondent pas à une définition très satisfaisante de la justice, ils ont pour effet pervers de renforcer la caste comme construction sociale
(et mince je me mets à parler comme un sociologue, c'est grave docteur ?)
2- abolir les inégalités entre castes est insuffisant, si d'importantes inégalités de revenus demeurent entre personnes, quelles que soient leurs castes. L'Etat ne peut donc faire l'économie d'une fiscalité redistributive ambitieuse.
Malgré ces limites, Piketty pense que l'Inde indépendante devrait être une source d'inspiration pour l'Occident en ce qui concerne la lutte contre les inégalités touchant les minorités. #asuivre
Comme un idiot, j'ai oublié de lier la suite au thread... elle est là :
Sabotage ! En fait ce n'est pas moi qui casse les fils, c'est Twitter. Du coup je dois me contenter de faire un thread de liens vers les threads de chaque chapitre...
Bref, le chapitre 10 est là :
Le chapitre 11 confirme le passage d'un livre à l'autre. Le premier (ch 1 à 9) était une histoire globale des inégalités avant le 20ème siècle. Résumé : "à chaque fois qu'on a voulu réduire les inégalités, des conservateurs ont poussé des cris d'orfraie"
Les suivants à partir du ch10 constituent un autre livre. Il y parle de notre époque, de ses diagnostics et de ses solutions. Le seul pont entre les deux livres semble être qu'il vous renverra au premier si vous poussez des cris d'orfraie au second.
Le chapitre 11 nous parle de la sociale-démocratie au sens large, c'est-à-dire un régime d'encastrement social des marchés (cf Polanyi). En pratique, le régime dominant dans les démocraties occidentales de la fin de la 2ème guerre aux années 80.
Comme indiqué au chapitre 10, la période est marquée par une forte chute des inégalités. C'est aussi une période de très forte croissance économique. On présente parfois l'équité et l'efficacité comme deux objectifs contradictoires entre lesquels il faudrait arbitrer.
La période qui s'achève dans les années 80 montre que, au moins dans certaines circonstances, on peut avoir de très bonnes performances sur les deux objectifs en même temps.
Piketty détaille ensuite 3 sujets concernant la social-démocratie : la cogestion, la démocratisation scolaire, la fiscalité sur le patrimoine.
La cogestion, c'est-à-dire l'octroi de droits de votes aux salariés dans les conseils d'administration, n'est pas présente dans tous les pays. C'est essentiellement une caractéristique des pays germaniques et du nord de l'Europe.
Piketty y semble très attaché. Elle permet de limiter les rémunérations excessives, et éventuellement des restructurations défavorables aux salariés... sans remettre en cause l'efficacité, cf la réussite industrielle allemande.
On tique un peu quand il écrit à la fois que 1- la cogestion n'est pas hyper efficace car pas assez forte dans les pays où elle existe (limitée au grandes entreprises et droits de vote insuffisants) et que 2- son existence prouve qu'elle n'est pas source de mauvaise gestion.
Les deux points sont peut-être liés : il est possible qu'elle ne soit pas préjudiciable précisément parce qu'elle n'est pas très forte !
On note l'explication donnée du faible intérêt pour la cogestion en France : la gauche radicale française y voyait un objectif contradictoire avec celui de nationalisation des grandes entreprises.
La démocratisation scolaire est une caractéristique forte de la période : les pays européens rattrapent leur retard sur les USA en la matière. Les progrès éducatifs sont à la fois source de croissance et de baisse des inégalités mais...
une fois atteint l'objectif de scolarisation massive des jeunes jusqu'au niveau bac, il est difficile de continuer sur une massification de tous les niveaux post-bac jusqu'au doctorat.
Conséquence : le type d'études poursuivies devient le nouveau facteur discriminant, au lieu de la durée des études. Et dans ce domaine, les inégalités sont frappantes, que ce soit en termes de moyens par étudiant ou d'équité de l'accès aux formations les plus prisées.
Note personnelle : j'aurais aimé une discussion à ce stade sur la question de l'éducation comme signal, et d'une éventuelle inflation scolaire (tout au moins dans le supérieur)
Enfin, les difficultés à imposer un impôt sur le patrimoine plus satisfaisant que la taxe foncière française (taux constant appliquée à une base opaque) et plus perenne que l'ISF sont l'occasion de dériver sur la question de la concurrence fiscale.
Et l'on pressent que la question du fédéralisme fiscal (notamment en Europe) et du contrôle des mouvements de capitaux est centrale dans la vision de Piketty.
Erreur des années 80 : libéraliser la finance (notamment sous les impulsions allemande et française) sans avoir au préalable mis en place des structures supranationales pour éviter l'évasion fiscale est une partie de l'explication de l'affaissement des impôt progressifs...
...et en tout état de cause un handicap pour une remise au goût du jour de la progressivité. #asuivre
(ha tiens, twitter n'a pas cassé mon fil ce coup-ci)
Pour ceux qui imaginent que les 1200 pages sont une façon d'apaiser la tension entre l'étendue des sujets traités et l'approfondissement de leur étude, détrompez-vous. Ici, le maître mot est l'étendue : on parle de tout, au détriment à la fois de la concision et de la profondeur.
C'est flagrant dans le chapitre 12 consacré aux sociétés communistes et post communistes. Les deux sujets sont déjà assez différents en soi, mais Piketty trouve le temps d'y ajouter des digressions sur la crise de la zone euro, le pacte de stabilité, le Venezuela, l’apartheid...
la démocratie participative, le patrimoine net des États occidentaux, l'indépendantisme etc.
Du coup, beaucoup de choses sont abordées avec à la fois de la nuance et de la conviction, mais rarement beaucoup d'éléments très probants en appui des démonstrations.
Sur le fond, l'échec du bolchévisme est attribué, peut-être un peu naïvement à une impréparation. Après tout, Marx avait beaucoup plus théorisé le capitalisme que le communisme, et n'avait pas donné de modus operandi pour conduire la dictature du prolétariat.
Piketty fait un parallèle entre le 'pandorisme' des sociétés propriétaristes du 19e ("si on commence à exproprier les très riches, on risque de ne plus savoir où s'arrêter et ça sera le chaos") et celui de l'URSS ("si l'on tolère de toutes petites propriétés commerciales...
...alors on risque bientôt de laisser se reconstituer une société capitaliste")
Conséquence : une répression terrible sur le moindre propriétaire d'échoppe.
L'industrialisation forcée crée de la croissance, et le contrôle des salaires diminue les inégalités (monétaires en tout cas). L'URSS bénéficie d'une certaine aura dans le monde jusqu'aux années 50 (victoire contre les nazi, universalisme, justice sociale...).
Mais dans la seconde moitié du 20ème siècle tout se gâte : la croissance s'affaiblit ; la décolonisation, les droits civiques, la démocratisation scolaire (etc) dans le monde occidental enlèvent des arguments aux défenseurs du modèle soviétique.
On connait la suite : en peu de temps, la Russie passe du modèle (autoproclamé) de justice sociale à un des pays les plus inégalitaires de la planète, avec des privatisations mal gérées qui ont fait des fortunes illégitimes, et une évasion fiscale qui bat des records, le tout...
doublé d'un régime autoritaire.
La question des thérapies de chocs est un des rares moments du livre où l'on se persuade qu'en effet, l'idéologie (de l'époque) a vraisemblablement eu un rôle déterminant (et néfaste)
Le cas chinois est un peu différent. Depuis 1978, les réformes sont progressives. La propriété publique a reculé, mais semble s'être stabilisée aux alentours de 30% des patrimoines totaux.
Il n'y a pas d'élections libres, mais le PCC compte 10% de la population adulte, il assure donc un lien entre la population et le gouvernement. Piketty n'est évidemment pas dupe des problèmes de transparence et d’arbitraire qui caractérisent la chine contemporaine.
Si celle-ci conserve un régime économique mixte avec un fort contrôle de l’État, les inégalités se sont néanmoins envolées ces dernières années, dépassant les inégalités européennes pour se rapprocher des niveaux américains.
Le cas des pays d'Europe de l'Est est intéressant. Les privatisations sont gérées de façon moins chaotique qu'en Russie (notamment grâce à solidarność en Pologne). L'intégration à l'UE a généré de la croissance, mais également des frustrations.
Les pays de l'Est sont le réservoir à main d’œuvre bon marché de l'Allemagne. Ils sont bénéficiaires nets des fonds communautaires, mais les rémunérations payées aux actionnaires ouest européens de leurs entreprises constituent un flux sortant supérieur à ces fonds.
Finalement, le niveau de vie des salariés peine à converger avec celui du reste de l'Europe. Cette frustration explique, selon Piketty, le repli "social nativiste" qui se manifeste en Hongrie ou en Pologne. @asuivre
@asuivre Chapitre 14 très stimulant sur la politique française. Mais je crains que Piketty ne soit trop optimiste sur le potentiel électoral des idées qu'il défend.
Pendant longtemps, la politique française était essentiellement binaire : les riches et diplômés votaient à droite, les pauvres sans diplôme à gauche. Il y avait d'autres clivages (catho-non-catho, ville-campagne, indépendant-salarié), mais soit ils ne remettaient pas en cause...
le clivage principal, soit ils le renforçaient.
Puis soudain, les enfants de pauvres sans diplômes ont eu des diplômes (démocratisation scolaire), ils sont restés à gauche, et ils l'ont transformée en un camp de diplômés.
Il y a toujours une droite qui attire les riches (la "droite marchande"), mais il y a maintenant une gauche qui attire les diplômés (la gauche "brahmane", référence à la caste spirituelle indienne)
A gauche, les plus fragiles sont abandonnés par le PS, à droite, le rejet de l'immigration se traduit par une réaction "nativiste", mais plutôt dans la partie la plus populaire de la droite.
Finalement, les nouveaux clivages sont bidimensionnels : pour ou contre les riches, pour ou contre les immigrés. Ce qui définit 4 camps de forces égales : La gauche brahmane défend les immigrés mais n'est pas très favorable aux politiques redistributives. La droite marchande...
est plutôt hostile aux immigrés, et défavorable aux politiques redistributives. La gauche "internationaliste-égalitariste" défend les pauvres et les immigrés, et la droite "social-nativiste" défend les pauvres mais rejette violemment l'immigration.
La gauche brahmane et la droite marchande se sont alliées en 2017 autour d'Emmanuel Macron (Piketty reprend le terme de "bloc bourgeois" de @bruno_amable et @StefPalomba), mais les aspirations des deux sont trop différentes pour constituer un bloc très stable.
Pourquoi, alors, dis-je que Piketty est probablement trop optimiste ? Il considère ces 4 blocs comme d'importance comparable au plan électoral, si bien qu'il s'en faut de peu pour qu'une plateforme "internationaliste-égalitariste" passe le premier tour d'une présidentielle...
et la gagne éventuellement.
Le problème, à mon sens, vient du fait qu'il se trompe en qualifiant d'"internationaliste" l'électorat de Mélenchon et de Hamon. En fait, lui, Piketty, est réellement internationaliste et égalitariste, mais je pense qu'il est minoritaire dans ce camp.
Le diagnostic qu'il fait des difficultés à imposer un agenda égalitariste repose sur une ouverture des frontières (notamment pour les capitaux) non-accompagnée d'institutions supranationales pour coordonner la fiscalité sur les facteurs mobiles (capitaux+diplômés)
Il n'y a que deux façons de régler le problème : 1- transférer du pouvoir à des institutions supranationales, 2- refermer les frontières, et donc revenir en arrière notamment sur l'UE et l'OMC.
Le choix entre ces deux solutions, à mon humble avis, et un sujet très clivant dans le camp qu'il appelle "internationaliste-égalitariste", et je ne serais pas surpris que l'option 2 y soit majoritaire.
En tout cas, les difficultés de LFI à appréhender la question du "populisme de gauche" pendant la crise des gilets jaunes montre que le sujet est loin d'être trivial. J'ajoute qu'alors que le camp "social-nativiste" rejette l'immigration à 91% (nativisme clair)...
le camp "internationaliste-égalitariste" n'a pas une position diamétralement opposée, car 1/3 de cet électorat la rejette aussi. Difficile de qualifier d'internationaliste un électeur qui pense qu'il y a "trop d'immigrés" (c'est la question posée dans le sondage qu'il commente).
Sans compter qu'on peut parfaitement avoir une attitude ouverte sur l'immigration (cas de 2/3 des électeurs de ce camp) sans pour autant être fédéraliste européen.
Soyons clairs : je ne dis pas qu'une coalition "Mélechon-Hamon" n'aurait pas pu gagner la dernière élection, ni qu'une coalition de ce type ne pourra pas gagner la prochaine. Mais à mon avis, en cas de victoire, il y a plus de chances qu'elle promeuve une politique...
de type "souverainiste de gauche" plutôt que de s'engager sur la construction d'une Europe Fédérale et Sociale, avec les transferts de pouvoirs que ça implique.
Sauf si les 1200 pages de "capital et idéologie" font des émules.
#asuivre
Les chapitres 15 et 16 sont difficilement dissociables, donc je les résume ensemble (@PikettyLeMonde devrait affiner sa théorie de la frontière entre les chapitres)
La tendance observée en France, d'une gauche qui devient le parti des élites diplômées, laissant à la droite l'élite financière, se retrouve dans d'autres pays, avec des nuances.
Aux USA, le parti démocrate est devenu le parti des diplômés et des minorités, ces dernières représentant 30% de l'électorat. Les classes populaires blanches se retrouvent dans le discours républicain, trumpiste en particulier.
Au royaume uni, le labor façon Blair a séduit l'élite intellectuelle bien plus que les classes populaires, volontiers attirées par les discours anti-immigrés.
Les brassages de population liés à l'ère post-coloniale tendent à remplacer le clivage riche-pauvre (la question de la propriété) par des clivages ethniques ou religieux (la question de la frontière)
En Pologne et en Hongrie, la gauche est tombée en discrédit, laissant l'essentiel du débat entre un conservatisme pro-business à un conservatisme social-nativiste.
En Italie, la crise de la dette couplée à celle des réfugiés a permis à l'alliance 5 stelle (pour le côté social) lega (pour le côté nativiste) de conquérir le pouvoir.
Pour Piketty, le social nativisme prend en fait en pratique une forme marchande-nativiste, puisque le volet social du social-nativisme se traduit surtout par des politiques commerciales agressives, et une fiscalité destinée à attirer les plus riches.
Il est convaincu qu'il n'y a pas de fatalité dans ces évolutions, et que les classes populaires issues de la majorité pourraient bien s'unir à nouveau avec les classes populaires issues des minorités ethniques ou religieuses, pourvu qu'un véritable programme politique...
de réduction des inégalités leur fasse retrouver une logique de classe (faire primer de nouveau la question de la propriété sur la question de la frontière)
Il trouve un espoir dans les cas indien et brésilien. Ces deux pays font exception à la disparition de la logique de classe : le PT brésilien est le parti des plus pauvres et des moins diplômés, de même que des métisses et des noirs.
En Inde, le parti du congrès est aussi un parti populaire, agrégeant non seulement les intouchables et les minorités religieuses (musulmane en particulier) mais plus généralement les classes populaires.
Mais, reconnait Piketty, le cas européen est particulièrement complexe, en raison du fonctionnement des institutions communautaires.
Le marché unique couplé à la règle de l'unanimité sur les questions fiscales pousse les pays à une forme de concurrence fiscale qui limite les marges de manœuvre pour taxer les hauts revenus.
On n'imposera jamais au Luxembourg une harmonisation des taux d'imposition sur les patrimoines, les sociétés ou les hauts revenus. Si les "grands" pays se coordonnaient pour pratiquer des taux élevés, les "petits" accueilleraient à bras ouverts les réfugiés fiscaux.
Et là, Piketty se lance dans ce que vous êtes libres de considérer comme une prophétie géniale ou comme un solo de flute à bec, en proposant son plan pour réformer l'UE (en fait il avait déjà publié ça il y a deux ans avec des co-auteurs piketty.pse.ens.fr/files/HPSV2017… )
L'idée est de créer, en marge des traités européens, une assemblée entre pays volontaires, avec des représentants des parlementaires nationaux et européens, pour voter certains impôts communs. Les recettes seraient pour moitié transférées aux États où elles sont prélevées.
L'autre moitié serait consacrée à des projets d'envergure européenne (climat, éducation, accueil des migrants...), mais toujours en évitant les transferts entre États pour éviter la défiance.
Le but de cette assemblée européenne est de commencer avec quelques gros pays, pour attirer finalement tous les autres membres de l'UE, par un jeu de carottes (possibilité de mutualiser les dettes) et de bâton (pressions sur la survie du marché commun, indispensable aux petits)
Vous devriez consacrer du temps à vous demander ce que vous pensez de cette idée, car elle correspond à un clivage fondamental (que j'évoquais déjà quelques tweet plus haut au sujet du chapitre 14).
Si vous êtes convaincus par Piketty qu'on est allé trop loin dans l'abaissement de la fiscalité pour les plus riches et qu'il faut revenir là-dessus, vous devez vous demander quelle est l'échelle pertinente pour le faire :
La nation ? Mais alors dans le cadre des traités actuels, vous serez victimes du comportement de passagers clandestins des paradis fiscaux communautaires. Donc : renoncer ou sortir de l'UE.
L'UE ? Mais alors vous allez buter contre la règle de l'unanimité. Donc : renoncer ou convaincre l'Allemagne de s'allier avec vous pour créer un gros machin parallèle à l'UE afin de mettre la pression sur les paradis fiscaux communautaires pour accepter une fiscalité commune.
Personnellement, je ne parierai pas un kopeck sur cette issue, étant donné le contexte de défiance qui règne en Europe depuis 10 ans (et que Piketty documente parfaitement d'ailleurs)
Le seul scenario que j'envisage, c'est celui dans lequel Piketty fasse tellement d'émules dans le monde que ses idées, marginales aujourd'hui, finissent par s'imposer comme une nouvelle idéologie. Je pense d'ailleurs qu'il n'a pas choisi le titre du livre au hasard. #asuivre
Aller, dernier chapitre dernière salve. [quand les collègues, à l'arbre de Noël de la fac, te disent : "tu commences à nous gonfler avec tes threads de 328 tweets", c'est que le moment est venu de conclure]
Le dernier chapitre est à la fois le plus important à lire, si vous voulez connaître les propositions de Piketty, et le moins "neuf" dans la mesure où, pour l'essentiel, il synthétise des choses qu'il a déjà dites dans les chapitres précédents.
Donc sans surprise, les deux points principaux sont : la cogestion et une fiscalité très progressive. Pas de grosse surprise sur les taux qu'il propose sur les transmissions et sur le revenu.
Les deux nouveautés sont un prélèvement sur le patrimoine montant jusqu'à 90%, permettant de financer le don d'un patrimoine de 60% du patrimoine moyen à chaque jeune de 25 ans, soit environ 120'000 euros.
Il convient de séparer les deux propositions. Donner à chaque jeune de 25 ans un patrimoine de 120'000 euros pose des tas de questions (acceptabilité par les générations de 26+ans au moment de la mise en place? condition de résidence avant et après?), mais n'a rien de délirant.
Ca représenterait environ 5% de revenu national. On peut bien trouver quelques dépenses en faveur des jeunes à rogner pour compenser, créer une taxe sur le patrimoine spécifique pour ceux qui ont bénéficié du don (choses que Piketty ne préconise pas, je précise), etc.
Mais faire dépendre ça d'un impôt allant jusqu'à 90% sur le patrimoine, c'est utiliser un moyen disponible uniquement à court terme pour financer une dépense qui n'a se sens que si elle est pérenne.
Lorsque je parle d'une recette uniquement à court terme, ce n'est pas pour faire du mauvais Laffer, mais simplement parce qu'en taxant à 90% les grosses fortunes du passé, elles disparaissent en 2 ans, et en taxant à 90% les revenus du présent, elles ne peuvent se reconstituer.
Plus généralement, bien que les rappels historiques de Piketty sur les impôts très progressifs d'il y a 50 ans convainquent que ceux-ci ne sont pas un obstacle à la croissance, transposer ça dans un monde de libre circulation des capitaux est malaisé.
Et c'est sur ce point qu'il est fragile, car il oscille continument entre une posture "on peut aller loin dans la progressivité, même dans un seul pays et dans le monde actuel" et une posture "la libéralisation des flux de capitaux empêche les États de taxer comme ils veulent".
C'est ce qui le pousse finalement à prôner un fédéralisme généralisé, un dépassement de l'Etat-Nation, en supposant que les replis identitaires actuels ne sont qu'une occupation éphémère de l'espace politique laissé vide par l'abandon par la gauche Brahmane de la justice sociale.
C'est là, je le répète, le point sur lequel je trouve Piketty le moins convainquant.
Merci d'avoir suivi cet interminable #Thread. Comme promis, je consacrerai, sur mon blog, une chronique plus analytique et plus digeste à ce "Capital et Idéologie" de @PikettyLeMonde
#fin
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Enjoying this thread?

Keep Current with Antoine Belgodere

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just three indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!