Thread by @pierrealchaize

On m'a posé la question, je n'avais pas d'idées, c'est parti pour un fil dédié à l'arme suisse. Place à la hallebarde. Une arme "un poil" plus complexe que la lance.

Je ne vais pas non plus faire un déroulé total de l'histoire des armes d'hast. D'abord parce que ce serait trop long, ensuite parce que ! Mais il faut tout de même rappeler quelques petites choses.

La hallebarde est une arme composée de deux parties : une hampe, à savoir la longue poignée de bois permettant de la tenir/manier et le fer, qui en constitue l'élément principal.

Ce fer est évolutif, mais comporte généralement 3 parties, que l'on peut nommer assez clairement. D'abord, la pointe (appelée parfois "dague") qui sert à estoquer. Puis le tranchant, anciennement appelé "plat" ou "mail" en France. Et enfin la partie pointue/courbe, le "bec".

Niveau origines, c'est plus flou. On trouve des hallebardes dès la fin du XIVe, comme pendant les batailles de Sempach ou de Morgarten, dans les mains des confédérés suisses. Attention : la hallebarde n'est pas une vouge médiévale. C'est une arme propre, pas un outil ayant muté.

Fun story : dans un traité d'arts martiaux du XVIe siècle, le patricien Paulus Hector Mair, utilisant probablement des pages malheureuses des chroniques de Johannes Aventinus/Johann Turmair, dit "l'Hérodote bavarois", qui attribue l'invention de la hallebarde... AUX AMAZONES !!!

Ce n'est pas une blague, en plus. Le texte dit clairement " Bipennis antiquissimis usus, quod Amazonum inventum dicitur...".
En allemand "Die hellenbarn gar ein alte wher, haben die kriegßweiber, so man Amazones genent hat, erstlich erfunden..."

Maintenant, parlons un peu matériel. Comme d'habitude, je vais devoir causer taille et poids. Et comme d'habitude, je vais rappeler qu'une hallebarde n'est pas excessivement lourde. Ce serait même l'inverse.

Prenons par exemple ce petit objet, daté du début du XVIe siècle. L'arme, AVEC la hampe, pèse 2.1 kg et mesure 1.94m. Si on enlève le poids du bois, soit environ 700-800 grammes, on a un fer qui pèse entre 1.2 et 1.4 kg. Le poids d'une épée.

Prenons cet autre petit objet sympathique, une hallebarde vénitienne de 1550. Là, on est dans une autre catégorie : l'arme mesure 2.38 m (c'est GRAND) et pèse en tout ... 1587 grammes. Enlevez le bois ( 1 kilo) et vous avez un fer de moins de 600 grammes. Soit une épée/2.

Bien évidemment, mes exemples sont un peu extrêmes, mais vous pouvez vérifier les chiffres du Metropolitan de New York vous même : les armes sont légères, beaucoup plus qu'on ne le pense.

metmuseum.org/art/collection…

Niveau utilisation, on note deux usages principaux. D'abord, la bataille, dont je ne parlerais pas beaucoup. Grossièrement, la hallebarde militaire est une arme offensive/polyvalente, liée aux troupes de chocs, capable aussi bien de frapper que d'établir une défense rapide.

Individuellement, l'arme devient très vite un marqueur de la puissance militaire suisse, et par extension, de l'ensemble de la bourgeoisie urbaine allemande ( je laisse @JDDelle_Luche le soin d'apporter des précisions sur l'autre truc rigolo des armées urbaines, l'arbalète)

Par répercussion, l'arme devient aussi un outil de l'autorité de ces mêmes bourgeois, et finalement un outil des "polices" de ces cités. Une arme de contrôle des foules, mais aussi un symbole de pouvoir. Une arme de guerre pour la paix civile, notez, ça rappelle des trucs.

Mais comment une hallebarde s'utilise t'elle ? Et bien, je vous dirais "de plein de manières différentes". Le premier texte d'arts martiaux qui en parle est difficile à identifier, tant l'arme ressemble parfois aux haches d'armes chevaleresques apparaissant au XVe siècle.

Néanmoins, on trouve des mentions de plus en plus fréquentes dès le début du XVIe siècle dans divers manuels. La page de garde du traité de Gregor Erhart, daté de 1533, montre clairement une hallebarde parmi les armes dont la maîtrise est vantée.

De fait, le premier texte technique enseignant la hallebarde nommée hallebarde, on peut dire que c'est la compilation de Paulus Hector Mair, déjà mentionné plus haut, datée autour de 1540-1550.

Ici, point de doute, il s'agit de combat à un contre un, dans un duel, sans protections et/ou sans volonté de tuer. Ou un minimum. Notez d'ailleurs que les "dagues", les pointes des hallebardes, sont mouchetées.

On retrouve cette tendance à l'affrontement "civilisé" dans une autre source technique dédiée à la hallebarde, le manuel du strasbourgeois Joachim Meyer, publié en 1570. L'auteur y mentionne quelques règles de l'usage militaire de l'arme, mais parle surtout du duel.

Fun fact : on fait des frappes à une main avec un bâton et avec une hallebarde "sécurisée" dans les compétitions d'arts martiaux.
Testé pour vous, je témoigne : ça assomme.

Certains mouvements sont clairement pour le show, cela dit.

Mais cela existe également avec la pique. Oui, une pique de 4m de long. En estoc. Avec une seule main.

J'ajoute que ce sont des techniques absolument historiques, rencontrées à la fois dans des manuels d'arts martiaux ET dans quelques récits contemporains. Donc fortement crédibles, jusqu'à preuve du contraire.

Revenons à la hallebarde. Si on trouve des originalités au XVIe siècle, il faut avouer qu'elle s'utilise (un peu) comme les armes d'hast précédentes, comme la hache d'armes. Cela dit, son introduction dans le monde urbain "civilisé" amène un grand raffinement technique.

Finissons donc avec un petit découpage technique, à savoir celui de la planche numéro 17 du chapitre de la hallebarde, tel qu'écrit dans le gigantesque manuel d'arts martiaux de 1540 de Paulus Hector Mair.
Titre : 🔽
"Entailler puis renverser l’adversaire depuis un crochetage."

"Avance le pied droit et lève ta hallebarde au-dessus de ta tête, avec la lame tournée vers le haut. Tu te tiens comme si tu allais t’approcher de l’adversaire afin d’entailler par-dessus."

"Si tu te tiens aussi avec le pied droit avancé, place ta hallebarde sur ta droite, en la dirigeant vers le visage adverse. Marche à l’intérieur avec ta jambe gauche et pose le creux de ta lame devant son cou."

"Si l’adversaire réalise ceci, envoie le talon de ta hallebarde sous son aisselle gauche et tire sur ta droite. Profite de l’occasion créée pour reculer ton pied droit et entailler la tête adverse par-dessus avec ton arme."

"Si l’adversaire entaille ainsi ta tête, monte ta hallebarde devant ton front et pare avec ta hallebarde. Marche derrière son pied gauche avec ta jambe droite et contrôle sa hallebarde avec ton arme."

"Si l’adversaire contrôle ta hallebarde de cette manière, recule ton pied gauche et tourne le talon de ton arme vers son bras gauche."

"Si l’adversaire fait ainsi, marche derrière son pied droit avec ta jambe gauche, pose ta lame devant son cou, puis fais un croc en jambe par l’extérieur de sa jambe droite. Saisis l’occasion pour pousser le haut loin de toi alors que tu tires le bas vers toi. Il sera renversé."

En bref, ce n'est pas une grosse hache, ou une arme défensive. La hallebarde permet de maîtriser un adversaire, d'en imposer, et accessoirement, est expressément interdite de port dans les tavernes.
Ce qui tend à signifier que les gens rentrent dans un bar avec leur hallebarde !?

C'est la fin de ce fil. Abonnez vous si vous avez aimé ce blabla interminable.