Est-ce que je suis le seul à être choqué que, dans la conférence de presse d'avant-hier du gouvernement français, le Premier ministre É. Philippe et l'épidémiologue A. Fontanet qu'il invite à parler après lui exposent des stratégies OPPOSÉES? •1/14
Je n'ai pas tout regardé, mais dans ce que j'ai vu, Édouard Philippe parle d'aplatir la courbe, ce qui est une stratégie qui se tient tout à fait, puis passe la parole à Arnaud Fontanet qui parle de ramener le nombre de reproduction à <1, ce qui est complètement différent. •2/14
SI ON RAMÈNE LE NOMBRE DE REPRODUCTION EN-DESSOUS DE 1, L'ÉPIDÉMIE NE FAIT PAS QUE RALENTIR, ELLE RÉGRESSE. On n'aplatit pas la courbe, on la supprime. Un épidémiologue ne peut pas ne pas savoir ça. C'est flippant. •3/14
Faire régresser l'épidémie n'est pas forcément «mieux» que la ralentir, c'est une approche différente: on se retrouve sans immunité significative installée dans la population, donc l'infection ne demande qu'à repartir au moindre cas importé. •4/14
Je suppose que si je cite encore une fois mon fil d'il y a trois semaines sur les stratégies ① et ②, threadreaderapp.com/thread/1237372…, on va m'accuser d'être obsédé par ma propre présentation, alors … •5/14
… renvoyons plutôt au papier d'Imperial College (que je mets en perspective dans threadreaderapp.com/thread/1240713…), qui expose clairement ces deux stratégies dans l'introduction (p.3): «suppression» versus «mitigation»: arrêter ou ralentir, … •6/14
… et qui expose les inconvénients des deux (résurgence dans le cas de la suppression, grand nombre de morts dans le cas de la mitigation). Les deux se tiennent, on peut même décider de ne pas encore décider, mais il faudrait au moins ne pas mélanger complètement! •7/14
Ralentir l'épidémie, aplatir la courbe, passe par ramener le nombre de reproduction proche de 1 mais quand même AU-DESSUS de 1 (si possible 1+ε). Supprimer l'épidémie demande de rendre ce nombre AUSSI PETIT QUE POSSIBLE. •8/14
Évidemment, tout n'est pas si simple. Le nombre de reproduction peut être différent entre sous-populations (>1 chez certaines, <1 chez d'autres). Il peut varier dans l'espace et dans le temps. Il y a plein de nuances possibles. Mais les deux stratégies basiques demeurent. •9/14
Évidemment aussi, on n'est pas obligé de choisir maintenant. On manque cruellement de données sur l'ampleur réelle de l'épidémie et son vrai taux de létalité. On manque de tests ALÉATOIRES. On peut donc vouloir faire «pause» pour d'abord en savoir plus. •10/14
Ou bien on peut vouloir faire «pause» pour se donner le temps d'acquérir de nouvelles armes (tests, moyens de prophylaxie, moyens de traitement, etc.). Tout ça se tient, c'est parfaitement légitime, au moins si on l'explique. •11/14
Il est aussi parfaitement légitime de se dire «on va essayer d'arrêter l'épidémie, mais probablement pas y arriver parce que le confinement est difficile et ne peut pas durer trop longtemps, et faute de ça, on va ralentir»: OK, pas de pb, mais il faut le dire. •12/14
Mais la moindre des choses serait d'exposer la situation clairement: si on propose deux stratégies opposées, dire qu'on ne sait pas encore, qu'on hésite, qu'on verra, OK, mais dire QUELQUE CHOSE, quoi. Montrer qu'on a compris. Le gouvernement a-t-il compris? •13/14
Je trouve super flippant que si loin dans l'épidémie on n'ait toujours pas de signe clair que quelque décideur ait COMPRIS la dichotomie entre arrêter (=supprimer) et mitiger (=ralentir), ni même son existence. Y a-t-il eu le moindre signe dans ce sens quelque part? •14/14
