My Authors
Read all threads
Les femmes dans le droit et le mariage au Moyen Âge : un thread ⤵️
6e fil du thread sur les femmes au temps des cathédrales
Remontons aux peuples qui commencent le Moyen Âge Occidental : les sociétés celtiques, franque, burgonde et wisigothique ont pour cellule de base la famille.
La solidarité des liens naturels lui sert de socle, et non l’autorité du père comme dans la société romaine. Cette exigence du lien naturel limite les agrandissements et les solidarités politiques, comme dans les « gens » (terme latin bien sûr) antiques.
Les principes juridiques des Celtes étaient déjà assez égalitaires ; les Francs sont bien plus égalitaires que dans l’idée reçue les concernant : par ex., le wehrgeld (à mes souhaits) est le même pour les deux (prix à payer à la victime quand on lui a causé tort).
La famille est consolidée par le christianisme : le mariage y est en effet indissoluble.
Pourtant, Saint Paul est notamment connu par son asymétrie entre l’homme et la femme : « le chef de la femme, c’est l’homme » (Cor.,I) 1/2
Mais par rapport à l’Antiquité dont il fait partie, il reste en réalité assez révolutionnaire : « La femme n’est pas maîtresse de son corps, il est à son mari. Le mari n’est pas davantage le maître de son corps, il est à la femme » (Cor.,I).
Dès les premiers siècles, la virginité et le mariage sont tous deux loués par les chrétiens ; le mariage de l’homme et de la femme est même comparé par St Paul à l’union du Christ et de l’Église.
Cependant, les faits sont plus rudes. Il faut tout de même faire une transition entre deux conceptions très différentes : l’antique, et la chrétienne. Même chez les peuples barbares, cette asymétrie est tout de même bien réelle.
Les « adoucissements » viennent au début du Moyen Âge, comme le fait qu’on ne reconnaisse plus au mari le droit de tuer sa femme « que pour juste cause.... » 😬 (ça disparaît rapidement...)
Les évêques combattent pour imposer le libre consentement des époux, qui est une condition sine qua non du mariage chrétien ; ils ne font plus face à l’autorité des pères, mais à la pression des familles...
Ces mêmes évêques combattent également l’inceste, mais attention, celui de l’époque, plus large que l’acception actuelle du terme (cousins éloignés compris), avec une certaine réussite, mais pas une victoire totale.
La morale chrétienne est calquée sur l’ordre naturel : puisque des mariages incestueux naissent bien des problèmes, alors on interdit ces mariages, en suivant la logique de la nature.
Je vous donne un exemple parmi d’autres pour illustrer ce combat contre l’inceste (sens large) :
Le futur roi de France Robert II épouse, par obéissance à son père Hugues Capet, la noble Suzanne. Mais Robert a 18 ans, et Suzanne est « déjà âgée », selon les textes.
Il la quitte deux ans plus tard, les évêques ne bronchent étrangement pas. Il s’éprend de Berthe, mère de cinq enfants et mariée à Eudes, comte de Chartres, lequel a la bonne idée de mourir peu après.
Robert II épouse donc Berthe, très satisfaite aussi, mais qlq'un s’y oppose : le pape lui-même, Grégoire V. Parce que Robert se marie 2 fois, pensez-vous ? Que nenni ! C’est parce que Berthe est parente de Robert au 3e degré. Robert finit par céder (seum après excommunication ⤵️)
Après quel degré le mariage de cette époque est donc accepté ? 4e ? 5e ? Toujours pas : 7e degré. Et l’Eglise publie bien plus de prescriptions sur ce sujet qu’à propos des divorces.
Mais ce zèle pour empêcher la consanguinité a aussi son revers de médaille : vers le XIIe siècle, la parenté même très lointaine devient prétexte à des séparations bien arrangeantes, autrement dit, des divorces déguisés.
L’ex. magistral : Aliénor d’Aquitaine bien sûr, qui avait épousé le roi de France Louis VII, et invoqua après 15 ans de mariage — et un projet en tête — sa parenté lointaine avec son mari pour faire annuler le mariage, par un concile d’évêques non reconnu par le pape... 1/4
2/4 : Deux mois après son annulation, Aliénor épouse le fougueux futur roi d’Angleterre Henri II, lui apportant son immense domaine d’Aquitaine, objet de bien des guerres entre la France et l’Angleterre par la suite.
3/4 : La grosse blague, dans tout ça, est qu’Aliénor et Henri sont parents plus rapprochés encore qu’Aliénor et son ex-mari Louis VII, si vous vous demandiez si la belle était de bonne foi en faisant annuler son mariage...
4/4 : La suite tourne en casting de Marvel : Henri II et Aliénor mettent au monde l’intrépide guerrier Richard Cœur de Lion, pendant que Louis VII et Adèle de Champagne donnent naissance à l’un des plus grands bâtisseurs du royaume de France, Philippe Auguste...
En réaction à ce genre de magouilles, l’Eglise multiplie les prescriptions à l’encontre de ces divorces déguisés, et légifère :
- le divorce reste interdit, mais on rappelle la séparation des corps : deux époux irréconciliables peuvent vivre séparément, mais leur mariage perdure. Cette solution existe depuis le concile d’Agde (509).
- L’empêchement de consanguinité est ramenée au 4e degré.
Les formules employées pendant la cérémonie de mariage sont de vrais bijoux :
« Je te prends pour époux », « Je te prends à épouse » ; ou « De cet anneau je vous épouse, et de mon corps je vous honore » (deux superbes octosyllabes, avec rime à la césure pour le second 👌).
La mentalité médiévale accorde une grande valeur symbolique aux objets : l’anneau représente la promesse qui lie les époux, et il en va de même qd on achète un terrain : le symbole de l’achat n’est pas le contrat, mais la motte de terre ou le fétu de paille remis à l’acheteur.
Pour empêcher les mariages clandestins, l’Église instaure le principe des témoins et y fait correspondre une liturgie (un drap tendu — souvent de pourpre — par les témoins, au-dessus des mariés). Le témoignage oral a encore une importance juridique de premier ordre.
Peut-on se marier librement au Moyen Âge ? Bien plus que par la suite, sans aucun doute.
Les mariés sont les ministres du sacrement de mariage ; l’Eglise trouve un cadre à ce contrat capital pour apporter de l’ordre et éviter les abus de toute sorte.
Pour éviter que n’importe qui se marie, c’est-à-dire sans respecter les conditions requises, l’Église rend obligatoire la présence d’un prêtre devant l’échange des consentements des époux (XI-XIIe siècles).
Qlq rares rivalisent d’inventivité pr contourner les règles, comme ces deux fiancés qu’un prêtre ne voulait pas marier : ils frappent chez lui, tôt le matin, et récitent devant lui précipitamment les formules rituelles avant que le clerc ait eu le temps de repousser la porte !
Notez que le consentement des parents, loin de sa valeur antique, n’a aucune importance dans le mariage chrétien, et que ces derniers ne peuvent s’opposer à une union qu’ils n’approuvent pas.
Il faut attendre le XVIe siècle, l’époque moderne, pour voir cette notion réapparaître.
L’âge de la majorité est repoussé par le concile de Trente (XVIe siècle toujours) : 18 ans pour les filles, 20 pour les garçons. Depuis des siècles déjà, l’Eglise reconnaissait aux filles une maturité plus avancée que les garçons à âge équivalent.
Pendant la période féodale, la plupart des coutumes font des filles majeures à 12 ans, 14 pour les garçons ; dans la noblesse, la plupart du temps : 15 pour les filles, 18 pour les garçons.
À l’époque moderne (1492-1789), l’autorité du père reprend un pouvoir décisionnel dans le mariage de ses enfants, très présent dans les comédies de Molière par exemple, avec les conséquences que l’on sait.
Jean Portemer, qui a étudié le statut de la femme entre le XVIe siècle et le Code Civil, souligne que la législation royale, bien plus sourcilleuse que l’ecclésiastique, rend nécessaire le consentement des parents, parfois jusqu’aux 30 ans des époux !
Cependant, l’époque médiévale a ses exemples de mariages arrangés, mais ils concernent exclusivement la noblesse, vu les enjeux ; et certains y résistent : Richard Cœur de Lion refusa toute sa vie la princesse française qu’on lui avait prévue à l’enfance.
C’est aussi à cette époque moderne, qui suit directement le Moyen Âge bien entendu, que la femme prend systématiquement le nom de son époux. Au Moyen Âge, il n’y a aucune règle en la matière.
La femme du Moyen Âge n’est pas une mineure juridique, obligée d’avoir l’accord de son mari pour signer quoi que ce soit.
L’époque moderne, se symbolise par ces mots du jurisconsulte Pothier (XVIIIe siècle) : « La puissance du mari sur la personne de la femme consiste par le droit naturel dans le droit qu’a le mari d’exiger d’elle tous les devoirs de soumission qui sont dus à un supérieur »...
C’est un peu « l’homme est supérieur parce qu’il est supérieur », mais passons. L'influence du droit romain a supplanté la symétrie chrétienne : le Code civil de Napoléon, qui fait de la femme une mineure, ne sort pas de nulle part.
Le Moyen Âge est radicalement différent de cette pensée, à la lumière des écrits d’Isodore de Séville, repris par Hugues de Saint-Victor, qui dit de la femme : « nec domina, nec ancilla, sed socia » : « ni maîtresse, ni servante, mais compagne. » (socia = associée)
Juridiquement, ça donne quoi ?
Le juriste Pierre Petot, qui a particulièrement étudié le statut de la femme dans le dernier tiers du Moyen Âge, constate les usages suivants :
- Les intérêts pécuniaires de la femme, même mariée, sont solidement protégés.
- L’épouse demeure propriétaire de ses biens, le mari en a l’usage et l’administration, mais n’en dispose pas.
- Si le mari meurt, elle peut disposer d’une partie des biens du mari, la moitié dans les familles roturières, 1/3 dans les familles nobles (important pour les questions de terres).
- L’épouse participe de droit à tout ce que le ménage peut acquérir.
- Elle remplace sans autorisation préalable son mari si celui-ci est absent ou empêché, jusqu’au XVe siècle compris, c’est-à-dire jusqu’à la fin du Moyen Âge
(après quoi, elle devient « incapable » juridiquement : tous ses actes sont juridiquement nuls après le XVe s.).
- (là-dessus, on hurle en tombant sur les travaux de Sophie Cassagne-Brouquet, sortant oklm que les femmes médiévales étaient mineures à côté de leur mari, ce qui correspond au droit grec et romain...)
- Une femme exerçant dans le commerce peut porter témoignage devant la justice en tout ce qui ce rapporte à ce commerce.
« La veuve est moins favorisée au XVIIe siècle qu’à la fin du Moyen Âge, où non seulement elle recouvrait l’administration de ses biens, mais encore pouvait en disposer librement » ; tout le contraire ensuite (travaux de Portemer).
Pour les successions :
- La très ancienne loi franque, « loi salique » (des Francs Saliens), qui empêcha le roi d’Angleterre de régner sur la France, écartait la femme de la succession du fief.
- Mais dès le VIe siècle, cette exclusion est réduite à la résidence principale seule (les femmes peuvent donc hériter des terres).
- Fin VIe siècle, le roi Childéric Ier place les femmes en seconds héritiers (mieux qu’avant donc) : s’il n’y a pas de garçon, tout revient à la fille, et toutes les terres sont partagées également entre frères et sœurs (Édit de Neustrie).
- Au VIIe siècle, dans la plupart des peuples de la jeune Francie, toute priorité successorale pour les fils n’est plus obligatoire.
- La femme apporte dans le mariage une dot, et le mari un douaire ; or, chez les nobles au moins, l’épouse peut administrer elle-même le douaire s’il est important, du vivant de son mari.
Ainsi, il n’est pas rare que la femme médiévale achète, vende, conclue des contrats, administre un domaine, rédige son testament avec une liberté qui fut évaporée aux siècles suivants.
Merci pour vos lectures ! Le dernier thread sur ce thème des femmes au temps des cathédrales portera sur les femmes dans l’activité économique médiévale.
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Enjoying this thread?

Keep Current with Philippe Souchon

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just three indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!