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On continue notre série d’articles sur la Peste. Aujourd’hui, épisode 17 : « Faire des choses ensemble ». Même avant les réseaux sociaux, les médiévaux savaient bien combien il est important, durant une épidémie, de retisser en permanence le lien social. Un thread ⬇️ ! #histoire
Ibn Battuta, célèbre globe-trotteur du XIVe siècle, raconte avoir assisté à une scène exceptionnelle à Damas, en 1348, en pleine épidémie de peste. Le souverain de la ville ordonne d’abord un jeûne général pendant trois jours puis, le vendredi, une grande procession
L’originalité, c’est que cette procession rassemble les fidèles de toutes les religions : « les Juifs sortirent avec leur Pentateuque, et les chrétiens avec leur Bible. Tous, suivis de leurs enfants, pleuraient et imploraient Dieu »
Tous se rassemblent dans la grande mosquée du centre ville et prient ensemble, en public, pendant plusieurs heures.
Ces prières publiques entre communautés religieuses sont attestées assez souvent au Proche et au Moyen-Orient, dans des moments de crise intense. C’est notamment lors des grandes sécheresses que les autorités urbaines organisent ce genre de chose.
Au cœur de la crise, les barrières entre communautés confessionnelles s’estompent. Comme si on préférait mettre toutes les chances de son côté en priant Dieu dans toutes les langues, avec tous les textes sacrés, tous les prêtres, les rabbins et les imams possibles...
Bon. Clairement, au niveau de la contagion, ce rassemblement en public est une très mauvaise idée, qui a dû aider la Peste à se répandre... !
Mais au niveau social et politique, on comprend les motifs de cette prière inter-religieuse. Il s’agit de rassembler toute la communauté urbaine, à un moment où son existence semble menacée. Les habitants de Damas réaffirment qu’ils sont, malgré la peur de la mort, une société.
Deuxième exemple : en 1400, la France traverse une vague de peste. Selon une charte royale, « en ceste desplaisant et contraire pestilence de epidimie presentement courant en ce trescrestien royaume », le duc de Bourgogne sollicite le roi Charles VI...
Il lui demande de trouver une solution pour « passer partie du temps plus gracieusement ». Eh oui : la noblesse s’ennuie. Il faut donc « trouver esveil de nouvelle joye ». Pour cela, la charte continue : le roi crée une « cour d’amour ».
Les chevaliers les plus preux sont nommés Ministres de la cour d’amour : ils seront chargés de décerner des prix aux nobles les plus courtois vis à vis des dames... C’est un jeu aristocratique, dans la plus pure tradition de l’amour courtois.
Surtout, ces Ministres d’Amour doivent « faire serment solennel de tenir une fête joyeuse l’un après l’autre, dans leurs villes respectives, le premier dimanche de chaque mois, à deux heures après midi ». On y boira du vin, on y récitera des poèmes, etc...
Un jeu de noble qui profitent de leurs richesses et oublient la Peste ? On dirait bien. Quand le puissant duc de Bourgogne se plaint de s'ennuyer à cause de la pestilence, pour un peu, on penserait à Brigitte Macron se plaignant de son confinement dans les 14 000 m² de l’Elysée..
Mais la Peste plane en creux sur ce texte. La charte précise ainsi que les 24 Ministres d’Amour ne doivent venir aux différentes fêtes que s’ils sont « en santé » : il ne s’agirait pas de contaminer d’un coup toute la noblesse du royaume... !
On devine ainsi une inquiétude diffuse derrière ce texte. Les nobles savent bien qu’ils ne sont pas immunisés à la maladie, qui peut venir les faucher n’importe quand, comme le leur rappellent les danses macabres ou les poèmes du temps.
Dès lors, on peut presque lire dans ce texte une certaine fébrilité : la volonté des nobles de se trouver coûte que coûte une « plaisant passetemps » traduit peut-être la peur d’une élite face à une maladie toujours aussi terrifiante.
Deux façons, donc, de braver l’épidémie : se réunir tous ensemble pour implorer Dieu, en oubliant pendant quelques heures qu’on n’adore pas tout à fait le même Dieu ; ou se réunir dans le confort d’un entre-soi élitiste, pour oublier que la maladie peut venir n'importe quand...
La prière ou la fête : deux façons de se rassurer, de recréer du lien social quand la maladie menace de le détruire. Et vous, vous préférez quelle option.. ? En tout cas, rappelez-vous : on fait des choses ensemble mais en restant chacun chez soi 😉 La suite au prochain épisode !
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